Édition du 26 mars 2024

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Québec

Perte de plus 20,000 membres à la CSN : que s’est- il passé ?

Un segment de ma vie politique vient de se terminer d’une manière brutale il y a deux semaines lorsque j’ai appris la fin de mon affiliation vieille de 15 ans avec la Confédération des syndicats nationaux. Je deviens membre de l’Alliance du personnel technique et professionnel de la santé et des services sociaux (APTS), une organisation que je pourrais qualifier de néo-corporatiste. C’est-à-dire que cette organisation prône le syndicalisme de proposition, comme le disait récemment Régine Laurent. Cette organisation prône aussi une forme de distinction professionnelle laissant entendre que les employé-es dans le réseau de la santé et des services sociaux peuvent s’entendre entre eux et elles et faire entendre raison aux gestionnaires sans avoir une approche conflictuelle.

Depuis cette annonce, je ne cesse d’en parler à mes collègues de la CSN, mais aussi à ceux et celles qui ont voté APTS. Pourquoi ? L’enjeu de la distinction professionnelle revient dans les réponses que j’ai récoltées en plus de la question des cotisations et des assurances qui étaient plus avantageuses. Par ailleurs, la mobilité professionnelle jouait à la faveur de l’APTS, car nombreux étaient les professionnel-les qui avaient travaillé dans des établissements syndiqués APTS et qui avaient été satisfait-es des services rendus.

La raison pour laquelle je voulais rester membre de la CSN était mon attachement à l’autonomie locale des syndicats de la CSN et la question du deuxième front, c’est-à-dire qu’on y développe, des liens avec les mouvements sociaux et qu’on encourage leurs luttes. Je pense que ceux et celles qui ont voté APTS n’ont pas été touchés par la possible autonomie locale d’un syndicat dans un établissement de 4,000 membres dans un établissement de 16,000. Et les membres n’ont pas besoin de la question du deuxième front pour aborder les questions politiques puisqu’ils ou elles sont en mesure de militer dans des causes féministes ou environnementales de leurs propres chefs. Pas besoin d’un syndicat pour ça !

15 ans donc d’action syndicale à la CSN qui se termine. J’aurai en souvenir de bons moments : la très bonne mobilisation contre le projet de réingénierie contre le gouvernement libéral en 2003 qui avait culminé avec un Premier mai de 100,000 personnes en 2004. Je me souviens de la grève de la SAQ en 2005. L’appui à l’émergence de la gauche en Amérique Latine et celle aussi de Québec solidaire sont des moments forts. Tout aussi forte notre lutte locale contre les compressions budgétaires en 2010-2011 au CSSS Jeanne Mance qui avait duré une année complète. Je me souviens aussi des débats que nous avons menés sur la grève sociale en 2014. J’ai des souvenirs pénibles de conflits internes et malsains, car les rapports sont souvent difficiles dans les organisations syndicales. Mais dans l’ensemble, le bilan est positif d’autant plus que depuis quelques années, une nouvelle gauche syndicale est en train de prendre forme et que je suis optimiste quant à son impact futur.

Poursuivre mon témoignage serait peu édifiant dans le contexte actuel. Il faut chercher à comprendre ce qui se passe à la CSN puisque nous sommes plus de 20,000 travailleurs et travailleuses du réseau de la santé et des services sociaux à avoir perdu notre affiliation. C’est la vague orange dans le mouvement syndical qui vient de passer. Je n’ai pas de réponse claire à apporter, mais j’ai quand même certaines hypothèses à émettre.

Il faut éviter certains pièges lorsque vient le temps de faire un bilan. Par exemple, il serait tentant de dire que les travailleurs et les travailleuses de la santé et des services sociaux, les jeunes en particulier, n’ont pas compris les vertus de l’appartenance à une grande centrale et que ces travailleurs et ces travailleuses ont une vision corporatiste et de courte vue de leur pratique. Michel Van Schendel disait que la classe ouvrière a toujours raison même quand elle a tort. Il y a d’autres raisons pour expliquer cette sortie massive de la CSN du réseau de la santé et des services sociaux.

L’autre danger serait de mettre tout sur le dos du ministre Barrette qui savait très bien qu’en créant de grosses structures comme les Centres intégrés de services regroupant de 10 à 15,000 travailleurs et travailleuses, la CSN allait être noyée dans une mare de syndicats et que ses chances étaient moindres de pouvoir survivre. Les orientations du ministre Barrette étaient claires, mais cette réalité ne dispense pas la centrale de réfléchir à l’orientation politique de cette centrale depuis les vingt dernières années. Je parle des vingt dernières années, car je pense que le sommet socio-économique de 1995 a été un moment déterminant dans l’histoire du mouvement syndical québécois.

Quelle a été l’orientation politique de la CSN depuis le sommet socio-économique de 1995 durant lequel on a collaboré à l’assainissement des dépenses de l’état en acceptant des suppressions de postes par dizaine de milliers dans le secteur public et en faisant la promotion de l’économie sociale ? Que s’est-il passé par la suite ? Après avoir assisté à des fermetures d’hôpitaux d’une manière importante, une entente rapide est conclue dans la négociation du secteur public pour faire place à l’équité salariale en 2003. En 2004, la direction de la centrale, après avoir mobilisé les membres et la population, contre le projet de réingénierie, laisse tomber la grève sociale sous prétexte que la FTQ ne voulait pas la faire. En 2005, les travailleurs et les travailleuses subissent un décret honteux dans le cadre de la négociation du secteur public et le mouvement syndical a été incapable d’y répondre. En 2010, on s’entend sur une négociation à rabais sous prétexte que nous avons récupéré le droit de négociation. Mieux valait une entente faible que pas d’entente du tout. En 2012, les directions syndicales, dont la CSN, cherchent à jouer les médiateurs lors de la grève étudiante et promettent la paix sociale. Les étudiants et les étudiantes rejettent cette proposition d’entente à plate couture. Et la dernière entente dans le secteur public est conclue en 2015 ce qui a causé un tumulte important au sein de la centrale puisque la Fédération de la santé et des services ne l’a pas appuyée.

Inutile de dire que la centrale n’est pas responsable entièrement de ses déboires et que nous sommes en période de néo-libéralisme. Mais nous pouvons penser que la CSN s’est empêtrée après 1995 dans une logique de reproduction de son appareil sans vouloir mener les luttes qui s’imposaient contre le néo-libéralisme. Or, un projet de reproduction d’appareil ne correspond pas aux besoins de jeunes travailleurs dans le réseau de la santé et des services sociaux surtout si l’histoire récente de la centrale démontre que les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux n’ont pas amélioré d’une manière tangible leurs conditions de travail.

Dans le fond, l’autonomie locale des syndicats et le deuxième front ne sont que des questions secondaires. Le principal vecteur d’analyse d’une organisation syndicale comme la CSN est sa capacité de se mesurer à l’état québécois et par le fait même de mobiliser ses membres dans un projet politique émancipateur dans la reconnaissance pleine et entière de leurs droits.

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