Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur la question nationale

Pluralisme et indépendance (1)

Depuis le référendum de 1995, les appuis pour l’indépendance du Québec sont demeurés minoritaires dans les sondages d’opinion. Les militantes et militants indépendantistes ont cherché par divers moyens à donner un nouveau souffle à leur projet, sans succès. Le débat sur la stratégie continue à diviser un mouvement globalement désorienté et plutôt pessimiste. Les milieux nationalistes sont partagés entre un courant désireux de mettre la perspective indépendantiste sur la glace pour mieux reprendre le pouvoir et un autre qui préfère perdre les élections que de renoncer à ses ambitions. Personne ne semble capable de mettre de l’avant une manière de gagner les élections tout en s’affirmant clairement pour l’indépendance.

Pour consulter la deuxième partie du texte.

Beaucoup d’indépendantistes affirment qu’il faut mettre de côté les divers contenus que pourrait avoir le projet de pays et mettre de l’avant une stratégie du plus petit dénominateur commun : l’indépendance tout court. D’autres, dont je suis, affirment au contraire que seul un projet avec du contenu démocratique, social et environnemental significatif permettrait de rallier une majorité de la population.

Sortir de la polarisation et tenir compte du pluralisme

Pour bien comprendre le paysage idéologique actuel sur la question nationale, il faut reconnaitre le pluralisme des systèmes de valeurs (ce qu’on appelle en philosophie politique contemporaine le pluralisme axiologique). Le Québec n’est pas simplement divisé en deux camps : les fédéralistes et les indépendantistes, avec des nuances selon qu’on soit plus ou moins « pur et dur » ou impur et mou…

Si on part du principe qu’il y a une multitude de systèmes de valeurs parmi la population d’une société moderne - un pluralisme qui ne relève pas seulement de la culture, des croyances religieuses ou de l’ethnicité mais aussi des générations, des milieux de vie, des régions, etc. - alors on doit admettre que l’indépendance du Québec peut se positionner de toutes sortes de manières différentes dans le système de valeurs de chaque personne.

Ces variations sont sans doute trop nombreuses pour être toutes identifiées. Pour arriver à un portrait utilisable de la situation, nous allons les schématiser en définissant cinq grandes catégories de positionnements de l’indépendance du Québec sur le plan des valeurs. Puis nous apporterons des réflexions sur ce que cet aspect du paysage idéologique pourrait signifier pour la stratégie du mouvement indépendantiste.

Catégorie 1 : L’indépendance avant tout

Une certaine portion de la population du Québec voit l’indépendance comme l’alpha et l’oméga de la politique, tous les autres objectifs ou critères lui étant subordonnés. C’est l’indépendance par tous les moyens, au plus vite, avec n’importe qui. Pourvu e que ça se fasse. Les autres questions pourront être débattues plus tard. C’est le camp du « l’indépendance n’est ni à gauche, ni à droite, mais en avant » ou encore du « un pays comme les autres ». Transférer tous les pouvoirs du gouvernement fédéral vers le Québec est non seulement vu comme une fin en soi, quelque chose d’utile, mais comme la fin suprême de l’action politique tant et aussi longtemps que ce ne sera pas fait.

Catégorie 2 : L’indépendance est une bonne chose

D’autres considèrent l’indépendance comme une valeur positive parmi d’autres, une bonne chose si rien d’autre ne change par ailleurs, mais en accordant une importance certaine à ce qui se passe par ailleurs. Ces personnes sont sensibles à des enjeux comme la protection de la langue française ou le redressement des torts causés au Québec historiquement. Mais leur appui au projet n’est pas inconditionnel. Ces personnes auraient de la difficulté à appuyer l’indépendance si d’autres valeurs qui leurs sont chères étaient remises en question par le parti politique qui domine le mouvement. Par exemple, si le mouvement indépendantiste était dirigé par un parti plutôt conservateur et que la réalisation du projet devait aller de pair avec des reculs sur le plan des droits syndicaux, des droits des femmes, des droits des minorités, ces personnes auraient de sérieuses hésitations à cautionner le projet et à se faire les complices d’un tel programme. Mais à partir du moment où la réalisation de l’indépendance signifie des progrès sur certains plans et pas de reculs significatifs dans d’autres domaines, elles jugeront que le jeu en vaut la chandelle.

Catégorie 3 : L’indépendance comme moyen

Pour une autre catégorie de la population, l’indépendance n’est envisagée que comme un moyen d’atteindre d’autres objectifs : démocratiques, écologiques, sociaux, etc. Sans le potentiel transformateur du « pays de projet », l’indépendance n’aurait pas de sens. Ces personnes considèrent que de simplement transférer des pouvoirs d’Ottawa vers Québec, sans que rien d’autres ne change, est une proposition sans intérêt ou dont les avantages sont équivalents aux inconvénients. Il faut que le projet ait du contenu sur d’autres plans ou elles pourraient annuler leur vote ou s’abstenir advenant une consultation populaire. Elles ne feront pas de la question nationale une priorité, mais pourraient se joindre au camp indépendantiste si celui-ci met de l’avant une vision emballante du pays à construire.

Catégorie 4 : L’indépendance, si nécessaire

Il y a aussi des gens qui pourraient se rallier à l’indépendance comme un mal nécessaire, en vue de réaliser d’autres objectifs. Elles ont une préférence pour une approche pancanadienne ou globale des enjeux politiques. Elles se méfient du nationalisme en général. Elles peuvent considérer voter OUI dans un référendum en fonction de la dynamique politique québécoise et canadienne concrète du moment. Si elles constatent que le mouvement indépendantiste partage en bonne partie leurs valeurs sur d’autres questions mais que le régime politique fédéral est plutôt fermé à ces mêmes valeurs, elles pourraient appuyer le mouvement pour des raisons tactiques.

On peut aussi mettre dans cette catégorie les autonomistes déçus du manque de flexibilité du reste du Canada. Ces personnes ont voté OUI en grand nombre en 1995 à cause des échecs des accords constitutionnels de Meech et Charlottetown. Certains ont appuyé l’ADQ puis la CAQ.

Catégorie 5 : L’indépendance, jamais de la vie

Bien entendu, il y a aussi une portion de la population du Québec qui est complètement hostile à l’idée de l’indépendance et le sera toujours. Ces personnes sont disposées à tout pardonner au régime fédéral et ont un préjugé défavorable très fort face à ce qui est mis de l’avant par les partis souverainistes. Même si toutes leurs autres valeurs se retrouvaient dans le programme indépendantiste, elles préféreront voter pour un parti fédéraliste qui rejette ces mêmes valeurs. C’est l’image miroir de notre catégorie 1.

Conversions et convergence

Changer le paysage idéologique en faveur de l’indépendance peut se faire de deux façons : les conversions et la convergence. La première méthode est celle du militantisme traditionnel. Il s’agit de convaincre les gens de « changer de catégorie » en leur apportant des arguments suffisamment convaincants. Sans doute qu’un mouvement indépendantiste plus actif, avec des moyens et un certain niveau de mobilisation, pourrait faire des gains de cette façon.

Par exemple, les membres de la catégorie 1 peuvent convaincre ceux de la catégorie 2 d’accorder plus d’importance à la question nationale, en faire des 1.5 si on veut. Pour ce faire, il faudrait les amener à considérer l’indépendance non pas simplement comme un objectif politique parmi d’autres mais à reconnaître son importance centrale. Autrement dit, on veut les convaincre que leurs autres objectifs seront plus faciles à atteindre une fois que le Québec sera indépendant, voir qu’ils seraient pratiquement impossibles à atteindre autrement.

On peut aussi chercher à convaincre les gens de la catégorie 3 d’accorder une valeur positive à l’indépendance en soi, donc en faire de nouveaux membres de la catégorie 2. Pour ce faire, on peut faire appel à des valeurs comme la résistance à l’oppression néocoloniale (dans ce cas, celle du peuple Québécois face aux institutions canadiennes), la diversité culturelle (défense du fait français face à l’anglicisation), la souveraineté populaire (vs la constitution imposée d’en haut en 1982).

Les 2 et les 3 peuvent convaincre les 4 de rester neutres entre les options Québec et Canada (les déplacer vers la catégorie 3) en arguant que les avantages de l’indépendance sont suffisants pour neutraliser les problèmes associés à la séparation. On peut aussi faire ressortir que le nationalisme canadien n’est en rien supérieur au nationalisme québécois et même que l’indépendance permettrait au Québec de jouer un rôle plus positif sur la scène internationale.

Règle générale, il est plus facile de convaincre nos voisins de catégorie que les personnes ayant des positions plus éloignées. Les 1 peuvent difficilement dialoguer avec les 3 et les 4. L’idée d’un appui conditionnel pour l’indépendance est exaspérante pour les indépendantistes les plus enthousiastes. On comprend mal une vision politique qui ne reconnaît pas l’importance de la question nationale elle-même et on pense avoir affaire à des fédéralistes « déguisés ». De l’autre côté, on trouve que les 1 sont « nationaleux », obsédés par l’indépendance au détriment d’autres considérations.

En somme, il faut sans doute déployer des efforts pour convaincre, mais cette méthode est probablement insuffisante pour arriver à note objectif dans un avenir prévisible. D’abord, il y aura toujours de nouvelles personnes à convaincre : les jeunes, les néo-Québécois, etc. Aussi, il y a des institutions et des organisations qui travaillent constamment dans le sens contraire et disposent de plus de moyens grâce à l’appui de l’État canadien et des milieux d’affaire.

Selon nous, la seule méthode qui pourrait donner des résultats significatifs à moyen terme est celle de la convergence. Pas celle des partis, qui est une toute autre question, mais celle des courants d’idée et des attitudes face à l’indépendance. Il s’agit d’accepter le point de départ des gens (nos quatre premières catégories) en cherchant à les amener au même point d’arrivée sans leur demander de modifier leur système de valeurs. Autrement dit, il faut trouver les arguments pour regrouper tout ce beau monde autour d’un grand projet commun.

Un projet enraciné dans les enjeux contemporains

Partir de où en sont les gens, ça veut dire se baser sur leurs préoccupations actuelles. Le projet de pays doit s’enraciner dans les enjeux concrets de notre époque et leur donner une perspective positive crédible. À partir du moment où notre objectif est de rallier des gens des quatre catégories, la question qui se pose est quelles valeurs, autres que l’indépendance elle-même, sont les plus susceptibles d’obtenir leur adhésion au projet.

Autrement dit, il nous faut identifier une série d’enjeux autour desquels nous pourrons rassembler cette majorité dont nous avons besoin. Bien entendu, la réalité du pluralisme s’applique aussi à ces autres questions et nous pourrions créer des catégories pour chacune ! Par exemple, certains indépendantistes de notre catégorie 1 accorderont une grande importance aux questions de justice sociale, d’autres moins.

Le choix des enjeux devrait donc se faire sur la base de leur potentiel rassembleur (à travers nos différentes catégories) et mobilisateur (par leur pertinence et leur importance immédiate), et de la contribution positive que l’accession du Québec au statut de pays souverain pourrait apporter.

(Nous développerons ce que devraient être ces enjeux et quelle position le mouvement indépendantiste devrait y prendre dans la 2e partie de ce texte.)

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