Édition du 26 mars 2024

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Canada

Projet de loi C-51 : à attaque radicale, réponse radicale

En 2002, Maher Arar, citoyen canadien, a été déporté en Syrie. Il y a été incarcéré jusqu’en octobre 2003 et a été torturé. Une enquête a démontré par la suite, que des informations que la GRC partage (avec d’autres corps policiers dont américains), avaient été utilisées pour entrainer sa déportation et sa détention.

NORA LORETO, www.noraloreto.ca, 9 mars 2015,
Traduction, Alexandra Cyr,

En 2013, l’étudiant de l’Université Laval, Ahmed Abassi, s’est vu annuler son visa abruptement, sans explication lors de son séjour pour son mariage en Tunisie. Il est tombé dans les filets d’un agent secret du FBI. Il a été arrêté sur des soupçons de terrorisme et a été incarcéré aux États-Unis pendant presque un an. M. Abassi est formel : cela n’a pu se produire que parce que des policiers canadiens ont partagé des informations avec leurs collègues américains. Il n’a jamais pu revenir terminer ses études au Canada même si toutes les accusations reliées au terrorisme ont été retirées.

Nous savons maintenant, grâce aux révélations d’Edward Snowden, que les Canadiens-nes vivent sous la surveillance des agences de sécurité du pays. Et nous voilà devant le projet de loi C-51 soit disant de lutte contre le terrorisme. Il semble bien que plusieurs des changements qu’il apporterait ne seraient qu’une façon de légaliser ce qui se passe déjà.

Cette loi, (si le projet est adopté), ouvre la porte à plus d’histoires comme celles de Ms Arar et Abassi.

Rien là de nouveau pour les Premières nations et les communautés. Ils sont déjà les plus criminalisés et les plus policés au pays. Cette législation a tout l’air d’une attaque de plus contre eux dans la foulée de celles passées et présentes : les famines organisées, le système des réserves, les pensionnats, les placements forcés des enfants dans les organismes d’assistance et protection de l’enfance et les emprisonnements.

La protection du pays ? [1]

Tous ceux et celles qui mettent en doute la légitimité du Canada ou qui manquent de respect au fil de souveraineté sur lequel il repose sont ses ennemis. Leur existence même est une menace à sa souveraineté.

On ne sait pas encore comment cette future loi sera administrée. Mais il est faux de dire comme certain-e-s le font, qu’il ne s’agit que de surveillance. Au contraire, elle ouvre la voie à des pratiques dangereuses. Si les Conservateurs sont réélus elle va permettre les formes de répression les plus extrêmes.

Le projet définit ce qu’est une activité qui met en danger la sécurité du pays : « celle qui met en danger la souveraineté, la sécurité ou l’intégrité territoriale du Canada ou encore la vie et la sécurité du peuple canadien ». Il donne des exemples de ce que ces activités pourraient être. Parmi les plus significatives pour les militants-es :

 b- changer ou influencer fortement un gouvernement au Canada par la force ou par des moyens illicites…
 f- s’attaquer à des infrastructures stratégiques,
 h- une action qui cause des blessures sérieuses à une personne ou endommage gravement sa propriété à cause des liens qu’a cette personne avec le Canada.

Une précision est ajoutée à cette partie du projet de loi : « Plus précisément, cela ne vise pas les représentations légales, les protestations, les dissidences et l’expression artistique ». Quand on connait le nombre de fois où les protestations sont jugées illégales la confiance que l’on peut avoir en de telles déclarations est plus que limitée.

Le projet ouvre aussi largement le bassin de raisons qui pourraient justifier la détention ou encore le harcèlement policier. L’article 12.1 stipule : « S’il a y des soupçons raisonnables de croire qu’un acte précis constitue une menace à la sécurité du Canada, le Service peut prendre les mesures sur le territoire ou à l’extérieur du pays pour faire diminuer cette menace ».

Donc, si les agents du gouvernement pensent que vous prenez part à une activité qui représente une menace pour le pays, ils peuvent « diminuer » la menace. À vous de conclure….

Pour que cela n’ait pas l’air de donner carte blanche à des disparitions, on précise que les moyens employés pour « diminuer » la menace ne doivent pas comporter intentionnellement ou par négligence criminelle, de blessures ou l’assassinat de personnes, l’obstruction volontaire des procédures judiciaires ou des agressions sexuelles. Il est toutefois permis, sous réserve d’obtention d’un mandat, de violer la Charte des droits et libertés pour « diminuer » la menace.

Il faut résister

C’est probablement suffisant pour convaincre les partisans de M. Harper. Mais cela devrait alarmer tous ceux et celles qui pensent que nos droits à la dissidence et à la protestation dans un pays démocratique, sont vraiment attaqués.

Il faut résister à cette loi. Et ce sera le cas, même si des gens seront arrêtés et détenus, si leurs droits seront violés et leur vie ruinée. Comment est-il possible que quelqu’un lutte pour la souveraineté des peuples indigènes sans mettre en danger la souveraineté et l’intégrité territoriale du Canada ? Comment les souverainistes du Québec qui demandent une redéfinition des frontières peuvent-ils le faire sans mettre en danger la souveraineté du Canada ?

Si des actions menacent des infrastructures stratégiques (chemins de fer, oléoducs, stations électriques etc.) ou endommagent la propriété mais ne blessent personne, ceux et celles impliquées dans leur organisation vont sentir toute la force de cette nouvelle loi contre le terrorisme sous surveillance améliorée ou non.
Le mouvement ouvrier à l’avant-garde…,

Dans From Demonised to Organized, Building the New Union Mouvement, je plaide pour que le mouvement ouvrier agisse comme la véritable opposition officielle au Canada et fasse face au Premier ministre Harper. S’opposer au projet de loi C-51 serait un bon début. Le Congrès canadien du travail ne l’a pas encore commenté publiquement. Mais il faut que les dirigeants-es du mouvement dépassent les discours, résistent activement au projet du gouvernement et empêchent l’adoption de ce projet de loi.

Les syndicats sont dans une position privilégiée dans la gauche canadienne. Avec leurs ressources et leurs membres, ils peuvent blocquer l’économie ; personne d’autre dans la société civile n’est en mesure de mener à bien un tel projet. Ils démontreraient ainsi leur solidarité avec ceux et celles qui sont les plus visés par C-51 dont de certains de leurs propres membres. Il pourrait être invoqué que les grévistes sont une menace à la sécurité du pays. Est-ce que les députés conservateurs n’ont pas employé un tel argument lors de l’affrontement entre Poste Canada et le syndicat des postiers en 2011 ? Une grève illégale doublée d’une attaque contre une infrastructure stratégique, par exemple que des grévistes obstruent une voie de chemin de fer, pourraient mener à l’arrestation des dirigeants-es du syndicat et même des membres impliqués-es selon le projet de loi.

Les syndicats nous rappellent souvent qu’ils protègent la démocratie contre le totalitarisme. En effet, quand ils défendent les droits à la libre association et à la libre négociation ils aident à modérer les désirs extrémistes des gouvernements.
Tout cela est vrai mais les rappels doivent être suivis d’actions.


[1Les têtes de chapitres sont de la traductrice.

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