Édition du 26 mars 2024

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LGTB

Entrevue avec MIchel Dorais

Quand les ados gais LGBT crient à l’aide

Selon l’enquête menée par le sociologue Michel Dorais auprès de 239 jeunes lesbiennes, gais, bisexuels, et trans du Québec, ces derniers seraient deux à trois fois plus nombreux que leurs pairs hétérosexuels à avoir eu des idées suicidaires. Les jeunes LGBT, qui font leur sortie du placard de plus en plus jeunes, sont confrontés à des milieux et des situations hostiles, et dans certains cas dangereux, qui nécessiteraient selon le chercheur de multiplier les initiatives pour contrer l’homophobie, l’intimidation et surtout la cyberintimidation, vecteur aujourd’hui privilégié de l’ostracisme.

(tiré de Fugues)

Pourquoi cette enquête ?

J’ai été contacté par une association française pour les aider dans une enquête menée auprès de 500 jeunes gais et lesbiennes à partir d’un questionnaire sur Internet. Sous ma direction et en collaboration avec Isabelle Chollet, cette enquête a conduit à la publication d’Être homo aujourd’hui en France en 2012. Mais, parmi tous les répondants à cette enquête, certains n’étaient plus si jeunes, un des répondants au questionnaire avait même plus de 60 ans (rires). Et puis, plusieurs personnes au Québec m’ont dit qu’il serait intéressant de faire une enquête semblable ici. Bien évidemment, une enquête demande du temps et les fonds nécessaires. Malgré le peu de financements, j’ai pu entreprendre cette enquête avec la collaboration précieuse de Manuel Mendo et Annie Vaillancourt. Je voulais absolument que les plus jeunes puissent prendre la parole et se révéler, c’est pourquoi le questionnaire s’adressait à des jeunes de 14 à 21 ans. En tout, 259 ont répondu. Nous nous étions fixé le chiffre de 250. Nous avons donc dépassé nos attentes. Les résultats sont un bon indicateur de la réalité des jeunes LGBT au Québec, de leur perception de leur différence, de leurs attentes et des difficultés qu’ils vivent encore.

Même s’il y a des avancées, familles souvent plus ouvertes, il existe encore beaucoup de rejets.

Oui, et le plus souvent ce sont pour des motifs religieux. Il n’y avait pas dans notre questionnaire une question sur l’appartenance religieuse, mais dans les réponses sur l’acceptation ou non par la famille, les parents le plus souvent, la religion venait en premier dans la condamnation de l’homosexualité. On se rend compte, de plus, qu’à l’extérieur de la famille, les jeunes LBGT subissent encore beaucoup d’intimidation. Il faut agir comme société, comme institution, et aussi comme communauté. Les différents organismes GRIS font un travail extraordinaire, mais il faut multiplier les initiatives de ce type. Il faudrait aussi regarder comment des fossés existent entre les générations, dans la transmission de l’histoire de nos communautés. Je trouve que nos communautés son refermées sur elles-mêmes, les jeunes avec les jeunes et les vieux avec les vieux. Il faut réfléchir à cela. Et les jeunes qui découvrent leur attirance pour quelqu’un du même sexe ou qui ont des questions sur le genre se retrouvent seuls.

On le voit avec les chiffres beaucoup plus élevés pour les jeunes LGBT que la moyenne en ce qui a trait aux épisodes dépressifs, aux idéations suicidaires et aux tentatives de suicide ?

Tout à fait. Avec l’avancée des droits, la visibilité de personnalités ouvertement gaies ou lesbiennes ou encore des personnages gais et lesbiens dans les télé séries, au cinéma, au théâtre, nous avons l’impression que pour les jeunes, révéler son orientation sexuelle aujourd’hui ne pose plus aucun problème. Toutefois, beaucoup vivent encore la honte, l’isolement et le désarroi. Je crois qu’il faut brasser la cage et ne pas les oublier. Nous avons aujourd’hui une politique de lutte contre l’homophobie, les ressources nécessaires pour intervenir. Je pensais en faisant cette enquête qu’on obtiendrait des réponses différentes que celles données par les jeunes Français, du fait de la perception de la plus grande ouverture et de la plus grande acceptation des minorités sexuelles au Québec. Il n’en est rien du tout. Les chiffres sont semblables des deux côtés de l’Atlantique, ce qui nous donne une idée du chemin qui reste à faire, et que l’on ne doit pas s’endormir sur nos lauriers.

Avec De la honte à la fierté, parait en même temps une édition revue et mise à jour de Mort ou Fif, qui montraient la triste réalité du rejet, de l’intimidation, de la difficulté à vivre au grand jour, à travers les récits de jeunes garçons. L’édition première remonte à 2000, et presque quinze ans plus tard, la situation n’a pas tellement changé...

Comme si malgré les initiatives comme la sensibilisation, les interventions du GRIS, les jeunes semblaient encore les oubliés des grands changements qui ont marqué les trente dernières années, ce qui est d’un côté surprenant. On peut y voir encore une résistance du milieu de l’éducation, des milieux sportifs, ou encore même des familles malgré l’engagement des gouvernements. Les chiffres parlent et ils nous disent que la situation est préoccupante. Mort ou Fif démontrait que les jeunes gais étaient plus nombreux à avoir des idéations suicidaires, ou à commettre des tentatives de suicide. Quinze ans plus tard, c’est encore le cas. Il faut prendre en compte ce constat et réagir. On parle de nos jeunes qu’on ne peut laisser seuls avec les conséquences qu’ils subissent.

C’est donc un message qui s’adresse à l’ensemble des composantes de la société ?

Nous sommes tous concernés, à tous les niveaux par cette détresse, et donc nous devons collectivement remédier à cette situation. On l’a bien fait pour d’autres catégories de personnes.

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De la Honte à la fierté : 250 jeunes de la diversité sexuelle se révèlent

Michel Dorais, VLB Éditeur, 2014

Mort ou fif : Homophobie, intimidation, suicide

Revu et mis à jour. Michel Dorais, Édition Typo, 2014

Être homo aujourd’hui en France : Enquête Le Refuge auprès

de 500 jeunes gays et lesbiennes, Michel Dorais, H&O, 2012.

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