Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur les politiques d’alliance

Québec Solidaire après Françoise David

Le départ prématuré mais prévisible de Françoise David laisse un grand vide. C’est comme si une mère en confiance avait quitté le nid familial, ses enfants vigoureux et en santé avec l’avenir devant eux. Françoise a été depuis le début le visage et le symbole de Québec Solidaire. Elle incarnait son capital de sympathie dans le population, capital qui malheureusement ne s’est jamais transposé de façon substantielle en votes lors des élections. Le départ de Françoise c’est l’occasion pour Québec Solidaire de faire le point après dix ans d’existence et de se donner un second souffle.

L’arrivée probable de Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois comme porte-paroles ouvre une nouvelle ère pour le parti. C’est l’occasion de se donner un nouveau leadership bien trempé dans l’expérience des dix premières années mais également ouvert au renouveau et au changement de génération dans un contexte québécois et mondial qui a beaucoup évolué. C’est également l’occasion de voir où en est le parti. Tout d’abord avec son programme dont on devrait enfin mettre les dernières virgules et points virgules au congrès de mai prochain, puis aussitôt commencer à le remettre à jour. C’est aussi le moment de préciser sa vision, sa raison d’être et son rôle dans la société québécoise en prenant exemple sur les autres partis dits de la gauche radicale ailleurs dans le monde tout en inspirant peut-être certains d’entre eux.

Pour ce faire il faut tenir compte du contexte québécois et mondial dans lequel nous vivons. Je pense au développement des populismes et des extrémismes sous toutes leurs formes qui se développent et au danger de toute forme d’absolu. C’est souvent une réponse inadéquate et dangereuse de repli sur soi suite à des craintes et peurs légitimes qu’elles soient économiques, sociales ou identitaires, brassées et ébranlés que nous sommes par des changements trop rapides qui changent nos vies et sur lesquels nous n’avons rien à dire. Je pense aussi aux inégalités qui grandissement et qui amplifient des phénomènes comme la migration de dizaines de milliers de gens vers un ailleurs meilleur et auxquels les réponses simplistes ne suffisent pas. Ne serait-il pas préférable d’intervenir en amont et de faire en sorte qu’ils puissent vivre décemment et en sécurité chez eux plutôt que de s’exiler.

Je pense également à la grande emprise des puissants de ce monde sur notre avenir et celui de la planète, emprise qui ne peut être contrebalancée par les milliers de projets intéressants porteurs de d’autres valeurs, souvent au niveau local, qui ont cours dans le monde, sans le développement d’une force collective locale et planétaire unifiée autour de valeurs communes pour changer notre monde pour le mieux. Cette mainmise se précise dans une forme de gouvernance politique de plus en plus autoritaire et un rétrécissement de l’espace démocratique. L’éparpillement des luttes et des combats au nom du respect de la diversité ne peut être une réponse adéquate. Des mouvements comme l’ont été Le printemps arabe, Occupy, Nuit debout ou le Printemps érable, ou d’autres à venir, se doivent de s’inscrire dans la continuité et avec une direction. Il nous faut beaucoup plus d’unité ici et avec les gens d’ailleurs pour profondément et rapidement changer le cours des choses alors que la planète s’en va à sa perte et nous avec.

La gauche ici comme ailleurs, traditionnelle ou radicale, semble déboussolée et sans repères, et peine à se remettre sur ses pieds et à proposer une orientation et un plan d’action aux milliers d’individus qui partagent des valeurs communes et dessinent chaque jour dans leur milieu les contours d’un monde meilleur. Et pourtant la porte est grandement ouverte alors que les véritables ‘’ pelleteux de nuages ‘’ ne sont pas ceux qu’on pense mais bien les gens de pouvoir, leurs experts, et leurs valets politiciens qui nous amènent directement dans le mur. Nous avons les arguments pour les confronter quotidiennement et férocement, et nous avons des solutions concrètes à proposer, mais nous manquons énormément de confiance en nous.

Il faut également tenir compte de la désaffection d’une grande partie de la population vis à vis de l’action collective et des organisations incluant les organisations syndicales et les partis politiques. Il faut aussi tenir compte de la confusion de bien des gens en ce qui concerne ce qui est important ou non, puisque tout nous est présenté sur le même pied à travers les médias et les réseaux sociaux. Tout est devenu opinion personnelle, impression personnelle, défoulement, intérêt personnel ou de groupe, et le collectif a de la difficulté à émerger à travers tout ça. Devant l’ampleur des défis de toute nature et le sentiment d’impuissance, la tentation du repli sur soi et sa vie privée est très fort. Il faut redonner le goût aux gens de s’engager pour le bien commun et le plaisir de lutter et de vivre ensemble, redonner un sens au vivre ensemble. Remettre l’amour et la compassion au centre de nos préoccupations et de nos relations devient une priorité.

Je crois personnellement que les gouvernements arc-en-ciel, les gouvernements de coalition comme nous voyons dans plusieurs pays répondent à la diversité des points de vue qui ont cours dans nos sociétés de plus en plus elles-mêmes de plus en plus diversifiées. Un tel modèle de gouvernement repose sur le scrutin proportionnel et demande une grande maturité politique. A la limite que l’on soit de gauche ou de droite, de haut ou d’en bas, ce qui compte c’est d’avoir le coeur à la bonne place et de penser au bien commun, d’être intègre, de discuter dans le respect, et de prendre les décisions les plus éclairées dans la contexte du moment. La vérité ne loge pas à une seule adresse. Pour un parti comme le nôtre cela veut dire à la fois exprimer chaque jour notre rejet du système capitaliste néo-libéral tout en recherchant avec les autres partenaires sociaux et les autres formations politiques comment défendre à court terme et concrètement le bien commun sur telle ou telle question à un moment donné. Comment concilier bien commun et propriété privée me semble un important, défi que l’on peut décliner sur bien des plans de notre vie en commun ( la terre, le travail, le logement, les services, le patrimoine, la culture etc. ), et redéfinir le rôle de l’état, du secteur à but non lucratif et du privé.

Il faut également réfléchir sur le membership du parti. Comme plusieurs autres partis identifiés à la gauche radicale on a parfois l’impression que Québec Solidaire regroupe une variété d’individus et de groupes sociaux diversifiées mais que malgré sa préoccupation de justice sociale il rejoint peu les prolétaires traditionnels si on peut les appeler ainsi. Il y a très peux de ‘’ gars de shop ‘’ et de vendeuses de magasin au sein de notre parti. Il ne faut pas laisser ces gens souvent absents du discours politique et abandonnés par la gauche se tourner vers des partis populistes de droite comme cela se passe dans plusieurs pays d’Europe ou aux Etats-Unis. L’implication de Québec Solidaire dans la lutte pour le salaire minimum à 15$ est un bon exemple à suivre pour montrer que nous avons leurs intérêts à coeur et les amener à voter pour nous et à s’impliquer au sein du parti.

Un autre aspect de la réflexion concerne la place de Québec solidaire au sein du mouvement social, syndical, et populaire et le leadership que Québec Solidaire désire ou non assumer notamment à l’occasion de moment d’effervescence collective comme Le printemps érable, la lutte contre l’austérité et la dernière lutte des travailleurs, travailleuses du secteur public. Je pense personnellement que Québec Solidaire aurait du assumer à ce moment un leadership politique et contribué à unifier les forces vives dans l’action et à porter au niveau politique leurs revendications et leurs aspirations tout en critiquant les leaders syndicaux qui nous ont livré pieds et mains liées au gouvernement Couillard. Nous avons manqué collectivement un moment rendez-vous important et les conséquences sont désastreuses notamment pour les personnes les plus vulnérables de notre société. En lien avec cet aspect reste à préciser la place du parti avec les gens dans la rue, et au parlement, et le lien entre les deux.

Et finalement il y a évidemment la question nationale qui est une pierre d’achoppement sinon une menace d’éclatement au sein du parti qui tangue à la fois vers l’indépendance ou le flou constitutionnel à travers la fameuse proposition ambiguë sous le couvert d’ultra démocratisme prônant la mise sur pied d’une assemblée constituante qui pourrait mener à l’indépendance du Québec, au statu quo ou à je ne sais quoi. Il va bien falloir que le parti reprenne ce débat à bras le corps plutôt que de le restreindre à la simple question de l’alliance ou non avec le Parti Québécois pour renverser le gouvernement libéral sans coeur et corrompu en 2018, alliance que je souhaite de tout coeur au nom du bien commun et le plus tôt possible, c’est à dire au sortir du congrès de mai. Bref il y a du pain sur la planche pour le jeune parti qu’est Québec Solidaire mais le défi est enthousiasmant.

Yves Chartrand, membre de Québec Solidaire dans Ste-Marie/St-Jacques

Yves Chartrand

Intervenant social
Montréal

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