Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec solidaire

Populisme de gauche et liens avec les mouvements sociaux

Quel avenir pour Québec solidaire ?

Un débat en 7 moments

Les résultats décevants de QS aux dernières élections partielles de Richelieu, mais aussi les difficultés quotidiennes qu’ont les porte-paroles et députés de QS à percer le mur médiatique et à faire entendre leur discours anti-austérité, n’ont cessé depuis quelques temps d’alimenter doutes, questionnements, espoirs et propositions sur les chances de développement futur de ce parti. D’autant plus que de l’autre côté de l’Atlantique, des partis comme Syriza et Podemos –dont Québec solidaire se sent très proche— ont commencé à jouer un rôle sociopolitique de premier ordre. Pourrait-il en être de même pour QS ?

(Ce débat a été mis en forme par Pierre Mouterde).

C’est à toutes ces questions que, par l’intermédaire d’un échange courriel très libre, des responsables et militants de QS comme Amir Khadir, Jonathan Folco, Roger Rashi, Pierre Mouterde, ont essayé de répondre. Rejoignant d’ailleurs en partie une lettre d’Antoine Casgrain publiée le 20 mars dans Le Devoir.

Vu l’intérêt de ces questions et avec leur accord, nous avons cru utile –tout en les explicitant et les remettant dans leur contexte— d’en publier d’amples extraits. En espérant que cet échange puisse stimuler de larges et féconds débats et permette à QS de faire ce saut qualitatif auquel nous aspirons tous.

Le point de départ de toute cette discussion, c’est un échange entre Jonathan Folco et Roger Rashi sur la valeur du « populisme de gauche » et des stratégies respectives de Podemos (Espagne) et Syriza (Grèce) ainsi que sur l’éventualité qu’elles puissent servir aujourd’hui de point de repère politique à QS. https://www.facebook.com/jonathan.durand.folco?fref=ts). Et c’est à cet échange auquel Amir Khadir a voulu se joindre, notamment sur la base d’une longue réflexion qu’il avait entreprise à propos des rapports que QS devrait pouvoir entretenir avec les mouvements sociaux.

1) Quand Amir lance le débat...

« Salut les amis,

On a attiré mon attention sur des échanges impliquant les amis Rashi et Folco.

Figurez-vous que moi aussi je m’y intéresse. Mais je dois vous confesser une fois de plus mon immense intérêt – généré au fil de longues discussions avec feu l’ami Francois Cyr – pour un certain type de « populisme de gauche ». Ce « populisme » doit être noble et de bon aloi, mais décomplexé pour permettre à la gauche de reprendre sa fonction « tribunitienne » - pour permettre de capter la colère populaire contre les privilèges et les injustices. Fonction qui l’a si bien servie à divers moments, au cours des bouleversements politiques des 3 derniers siècles.

Je n’ai aucun problème conceptuel ou de tempérament avec ce genre de populisme s’il arrive à exister… À moins que déjà elle n’existe ! Un article récent y fait référence. Et il n’y a aucun besoin, contrairement à ce qui semble être le cas en Espagne, d’en exclure une forte identification à gauche. Tout est dans le choix de certains thèmes et des mots… et peut très bien se concilier avec le contenu exact de notre plateforme. Il s’agit d’en identifier ce qu’elle recèle de charge anti-système, d’opposition aux privilèges des élites et d’indignation devant l’injustice et les humiliations subies aux mains des élites dominantes par le grand nombre. Et le grand nombre ne se résume pas aux prolétaires, aux travailleur-euses, aux exclus sociaux. Le grand nombre inclut : le propriétaire terrien en région menacée par l’accaparament ; la classe moyenne en montérégie asphyxiée par l’injustice fiscale, les petits commerçant des cités qui sont les dindons de la farce de la lutte à l’évasion fiscale pendant qu’on laisse échapper les milliardaires. Et on n’a pas besoin de se peinturer dans le coin extrême gauche de l’arène politique si nous-mêmes avons atteint ce degré de maturité qui nous permet d’avoir confiance en nous-mêmes, en notre identité et en notre cohésion. »

Et Amir de citer notamment en appui à ses dires, un article du journal Le Monde, La Gauche radicale : la clé, c’est Laclau, de Gaël Brustier : « (…) La victoire de Syriza le 25 janvier 2015 et la constante progression de Podemos en Espagne depuis un an a révélé l’influence intellectuelle d’un penseur argentin important pour la Gauche radicale : Ernesto Laclau (1935-2014). Avec sa collègue et compagne Chantal Mouffe, ils ont contribué à puissamment renouveler la pensée stratégique à gauche dès les années 1980, en travaillant sur les questions relatives à l’hégémonie, à la démocratie et au populisme. Ernesto Laclau se situe dans le droit fil de l’analyse gramscienne de nos sociétés. Dans l’introduction à leur livre le plus connu datant de 1985 –Hégémonie et stratégie socialiste : Vers une politique démocratique radicale– Ernesto Laclau et Chantal Mouffe revendiquent d’ailleurs explicitement l’héritage de Gramsci.(...) » 

2) Et quand Roger Rashi lui répond, en critiquant la posture « ni gauche, ni droite » de Podemos...

« Bonsoir Amir

Bien heureux que tu aies pris note de ce débat entre Jonathan et moi.

J’aimerais que l’on définisse ce que l’on veut dire par populisme de gauche.

Si c’est pour adopter une posture "ni gauche, ni droite", je suis totalement contre car c’est une erreur conceptuelle et stratégique qui, j’en suis convaincu, mènerait QS à sa perte.

Mais si c’est pour muscler notre discours en attaquant les privilèges d’une caste corrompue et « contraster » son mode de vie avec celui des classes populaires, je n’ai aucun problème, car c’est une stratégie discursive que j’approuve.

Disons-le clairement : prétendre que Laclau est l’inspiration de la gauche radicale européenne est faux. C’est bien le cas de Podemos. Mais non celui de Syriza, du Bloc de gauche au Portugal ou de Die Linke en Allemagne. Ces derniers sont plutôt influencé par les thèses du sociologue marxiste Nicos Poulantzas [1] sur "la voie démocratique au socialisme". (L’État comme champ d’interventions stratégiques, combiner luttes électorales et mouvements populaires, la nécessité d’un parti anticapitaliste de masse, alliance des gauches de transformation sociales, le caractère prolongé du processus de transition au socialisme, etc.).

Le vrai débat derrière cet échange entre Jonathan et moi touche à ce que devrait être la stratégie d’un parti comme QS en cette période de crise et de lutte à l’austérité. Pour moi, QS a besoin de bien plus qu’une stratégie discursive de type populiste de gauche.

Il faudrait que QS, à l’instar de Naomi Klein, fasse sans hésitation le lien entre changement climatique et capitalisme (ou entre lutte environnementale et lutte contre l’austérité) et se dote d’un vrai programme de transition environnemental et social. Le mouvement de justice climatique nous a déjà ouvert la voie avec son slogan "changer le système et non le climat". Dépasser le capitalisme ne doit pas rester une simple phrase dans le programme. De plus, comme Naomie Klein le démontre si bien, l’on peut rendre ces notions accessibles et populaires auprès d’un grand public. Jumelé à une stratégie discursive de genre "populiste de gauche" qui ciblerait les pétrolières, les banques, les grandes compagnies minières ainsi que les gouvernements à leurs ordres, un tel programme de transition pourrait être un outil puissant entre nos mains.

Il faudrait aussi que QS améliore son travail dans les mouvements sociaux. Notre approche actuelle, qui tend à se limiter de plus en plus à une simple représentation parlementaire des mouvements, démontre ses limites. La montée des luttes contre l’austérité ne se traduit pas par un gain d’influence ou un recrutement accru au parti. La tactique de Syriza, qui est celle d’un rapport d’entraide et de collaboration entre mouvements et parti tout en respectant scrupuleusement l’indépendance des mouvements (je nomme cela un rapport "organique"), est beaucoup plus prometteuse. Merci de m’avoir donné cette occasion de revenir sur ces questions de stratégie politique. »

3) Quand Jonathan Durand Folco voudrait, suivant en cela Podemos, que QS développe un ethos [2] de la victoire....

« Bonjour à vous,

Concernant la question névralgique du populisme de gauche, je suis en bonne partie d’accord avec les commentaires de Roger Rashi mais j’amènerais les remarques suivantes. Tout d’abord, il serait impossible pour QS d’adopter une posture « ni gauche, ni droite » à l’instar de Podemos car notre parti est fondé sur les principes de la gauche, l’écologie, le féminisme, l’indépendance, le pluralisme, etc.

La stratégie discursive de Podemos découle d’une analyse des « signifiants vides » pour traduire le discours des « Indignados » en changement politique en forgeant une unité avec les gens qui ne sont pas sortis dans la rue. Ils désirent déplacer le clivage gauche/droite ou État/marché pour forger l’antagonisme qui oppose « ceux d’en bas » (gens ordinaires) à « ceux d’en haut » (casta, élites). Leur stratégie politique ne découle pas non plus d’une « alliance » avec les mouvements sociaux, car ils ont remarqué que la schéma mécanique (montée des luttes sociales + changement politique) ne se réalise pas toujours dans la pratique ; ils veulent mobiliser directement les non convaincus, les classes moyennes et populaires, en identifiant les partis en alternance au pouvoir à la même élite corrompue.

À mon avis, nous devrions trouver aussi notre « signifiant vide » pour catégoriser adéquatement le PLQ, le PQ (même la CAQ) avec les banquiers et les pétrolières, par un seul terme qui résonne dans l’imaginaire populaire (je n’ai pas encore trouvé ce mot malheureusement). (Voici l’entrevue la plus approfondie que j’ai trouvée en français sur le sujet, avec le responsable des relations internationales de Podemos, Jorge Lago : http://www.dailymotion.com/video/x29h8nv_les-alternatives-sur-mediapart-jorge-lago-et-l-experience-podemos_news)

Pour QS, nous ne pouvons pas créer une nouvelle identité politique « ex nihilo » comme Podemos, car nous avons notre histoire, notre programme, notre culture militante, etc. Nous ressemblons davantage à Syriza sur ce plan, car nous sommes une coalition de forces progressistes opposées au néolibéralisme. Je suis d’accord aussi avec le fait que nous devons développer nos liens avec les mouvements sociaux et pousser davantage notre critique du système vis-à-vis les changements climatiques, mais même avec un discours légèrement plus « populiste » et plus d’entraide avec des luttes dans la rue, ça ne sera pas suffisant pour transformer une majorité sociale en majorité politique.

Il faut en quelque sorte capter l’imaginaire de ceux et celles qui ne sont pas dans la rue, défaire la frontière rigide entre militants et non-militants, « ouvrir notre parti » pour le rendre plus interactif et participatif, critiquer la bureaucratie et la technocratie sans pour autant condamner les services publics, etc. Cela pourrait même, dans le cadre de la révision de nos statuts l’année prochaine (printemps 2016), impliquer une refonte de notre structure pour que nous ne soyons plus un « simple parti politique » fondé sur le même ADN organisationnel que les autres partis.

Autrement dit, ce qui m’intéresse le plus dans Podemos n’est pas tant le fait de rejeter l’axe gauche/droite (nous devons assumer notre posture de gauche et lui donner un sens accessible pour monsieur madame tout le monde), mais dans la façon de forger un protagoniste citoyen et populaire par leur modèle organisationnel et leur ethos de la victoire. À la fin d’une conférence sur les gauches radicales où il y avait des militants de Podemos, Bloco de Esquerda, Parti de gauche et Manon Massé, une militante espagnole a pris la parole en disant que lorsqu’elle a entendu pour la première fois le discours de Pablo Iglesias, celui-ci disait qu’on était pas là pour avoir raison mais pour gagner, et qu’on allait pouvoir prendre le pouvoir en moins de deux ans.

Ce discours d’empowerment ne doit pas devenir pour nous une simple figure rhétorique, mais la direction politique et nos membres doivent y croire, et il faut penser sérieusement à l’ensemble des choses que nous devons faire d’ici 2018 pour faire un « saut qualitatif ». Cela implique au minimum 15% dans les intentions de vote, six députés et au moins une personne en dehors de Montréal. En deçà de ce niveau, QS ne sera pas à la hauteur de sa tâche historique, même après 12 ans d’existence.

Bien que notre parti ait fait une lente montée et ait réussi à gagner trois députés depuis sa création, nous devons « changer de vitesse » pour les prochaines élections. Beaucoup de personnes à l’interne semblent partager la « théorie des petites victoires », ce qui mine à notre avis la possibilité d’un réel changement dynamique dans nos façons de faire. Comme le note Daniel Bensaïd en reprenant les thèses de Walter Benjamin, il semble que la gauche soit confinée dans une logique linéaire qui confond la consolidation d’une forteresse orange avec un progrès qui mènerait graduellement mais sûrement à la victoire. « Le temps « homogène et vide » du progrès mécanique, sans crises ni ruptures, est un temps impolitique. L’idée, soutenue par Kautsky, d’une « accumulation passive de forces » s’inscrit dans cette temporalité. Version primitive de la force tranquille, ce « socialisme hors du temps » et à pas de tortue dissout l’incertitude de la lutte politique dans les lois proclamées de l’évolution historique. »[1].

C’est pourquoi, pour résumer, je suis plus proche de la perspective « podemosienne » pour le contexte québécois, celui d’une gauche populaire qui mise sur la transformation des mobilisations du printemps étudiant et les nouvelles méthodes d’organisation (et de démocratie numérique) pour capter l’imaginaire en sortant des sentiers battus de l’action partisane traditionnelle, alors que Roger semble davantage miser sur une perpective « syrizienne ». Il y a sûrement des éléments à combiner des deux côtés, ces approches ne sont pas forcément exclusives, mais nous devons réfléchir sérieusement aux « modèles » dont nous pouvons nous inspirer afin de créer notre propre modèle maison afin de construire un « socialisme d’ici » pour reprendre l’expression de Fernand Dumont.. Bien à vous. Jonathan Durand Folco »

4) Quand Pierre Mouterde pourfend le populisme et insiste sur de nécessaires victoires sociales

« Bonjour à vous tous

Bravo pour cet échange qui, sans renier ses arrières plans théoriques, se centre sur l’essentiel : que faire pour que QS sorte de sa marginalité et ait quelque chance de devenir un parti de masse capable de peser substantiellement sur les rapports de forces socio-politiques traversant le Québec.

J’aimerais néanmoins apporter quelques nuances.

Il faut le dire et le répéter : il n’y a rien de bon dans le populisme, qu’il soit de gauche ou de droite. Et là je ne parle pas que des théorisations de Laclau, dont on sait la conceptualisation positive qu’il a opéré de ce terme en s’appuyant sur Gramsci, mais au prix d’un appauvrissement de ses thèses puisqu’il en élimine l’essentiel des enracinements socio-économiques. Je parle aussi et surtout de ce populisme qui s’est développé ces deux dernières décennies et qui est toujours en dernière analyse l’expression de " l’absence d’un peuple citoyen intervenant sur le mode participatif", y compris dans le cas du Venezuela, au moins après 2007. Pensez à Marine Le Pen, à Harper, au maire Labeaume, à Denis Coderre, à l’ex maire de Toronto, Rob Ford, etc.

Je ne considère pas non plus les thèses de Poulantzas comme pouvant être l’antidote théorique aux glissements effectués par Laclau. Peut-être sert-il de référent à certains membres de Syriza et sans doute a-t-il lui aussi été influencé par Gramsci, il n’en reste pas moins que ses conceptions de l’État tendent à gommer le moment de la rupture et de la constitution d’un contre-pouvoir hégémonique alternatif que toute approche anti-capitaliste suppose à un moment ou à un autre [3].

Je partage cependant tout à fait le point de vue de Roger Rashi sur le fait que QS a besoin de bien plus que d’une stratégie discursive de type populiste de gauche. Certes je reste sensible aux préoccupations d’Amir concernant la capacité « tribunitienne » que tout parti de gauche devrait avoir ainsi qu’à cette nécessité pour QS de ne pas parler qu’au seul cercle des convaincus. Mais si le mots choisis sont évidemment importants, ces derniers ne prendront néanmoins de force sur le moyen et long terme que s’ils sont en phase avec une stratégie de fond qui partant d’une véritable analyse de la conjoncture et de ses possibles quant au développement de Qs, cherche pas à pas à en modifier les facteurs limitants.

Or c’est cette stratégie de fond que QS n’a pas et qu’il devient urgent de préciser. Et là, j’abonde dans le sens de Roger Rashi, mais peut-être à partir d’autres arguments ou préoccupations. Les politiques d’austérité, mais pas seulement, cette remise en cause lente et systématique des acquis de la période précédente (faite d’affirmation nationale et de progrès sociaux) ont créé un sourd malaise dans la population québécoise, fait de colères rentrées, de peurs et de frustrations souterraines. Et en général c’est ce mal-être que la droite ou l’extrême droite parviennent à capter (et à manipuler) à leur avantage en s’en faisant l’écho haut et fort. Non seulement en n’ayant pas peur d’en exprimer sur le mode démagogique l’odieux ou le scandaleux, mais aussi en proposant des solutions apparemment neuves et radicales. C’est ce que nous ne faisons pas assez collectivement (d’être scandalisés et de proposer des solutions allant à la racine des choses), craignant de « polariser » inutilement, alors qu’au contraire c’est seulement ainsi que nous pourrons élargir notre cercle d’appui et de sympathie (qu’on pense à l’appui populaire qu’ont finalement reçu les étudiants en 2012 en tenant bon et restant unis !).

À condition toutefois que nous joignions le geste à la parole et que nous soyons capable de compter sur nos alliés naturels (les mouvement populaire, syndical, etc.), ne serait-ce que pour faire bouger le rapport de force général. D’où la nécessité d’améliorer considérablement nos liens avec le mouvements sociaux. Là encore, la réflexion, comme la pratique avancent à pas de fourmis à QS, surtout quand on pense aux négociations dans la fonction publique qui s’en viennent très rapidement, et aux très nombreux militants de QS qui dans leurs syndicats ou instances respectives vont avoir à se prononcer, de l’intérieur, sur tout ce processus de luttes cruciales.

Quant aux derniers commentaires de Jonathan, il a tout à fait raison d’insister sur le fait qu’il faut partir de l’histoire même de QS, de ses caractéristique historiques, etc. Car si on peut s’inspirer d’une expérience autre, on ne doit jamais la copier à la lettre (« Ni calque, ni copie », dixit Mariategui). Ceci dit, si je suis très sensible à ce que dit Jonathan sur ces sauts qualitatifs, ces « bonds de tigres » —à la Walter Benjamin— qu’il serait nécessaire que QS ose faire sur le mode du volontarisme, je ne suis pas sûr que le seul discours à la Podemos de l’empowerment suffise. Car n’étant pas nous-mêmes inscrits dans le même parcours historique —ayant été moins violemment touchés par la crise que les Espagnols—, une victoire électorale ou même des gains électoraux substantiels sont beaucoup moins facilement envisageables ici que là-bas. Une victoire électorale doit chez nous être à l’évidence précédée d’autres « petites ou grandes » victoires. Et au Québec de 2015, c’est d’abord sur le terrain social que se donneront de possibles victoires ou défaites… D’où l’importance de s’investir en toute priorité dans ces luttes !

En fait, si les exemples de Podemos et de Syriza peuvent nous aider à faire atterrir nos analyses, il faut reconnaître que ces 2 formations politiques sont fort différentes —et chacune à leur manière— de QS. Au moins, le fait de chercher à établir des parallèles, de faire ressortir des différences aide-t-il à mieux cerner les possibles qui pourraient être les nôtres ici. C’est en cela que cet échange devrait pouvoir se poursuivre et s’élargir. Merci à Amir, Roger et Jonathan de l’avoir lancé. Bonne journée... Pierre »

5) Quand Amir revient à la charge en évoquant la nécessité de changer de paradigme et en se référant à un article qu’il a écrit sur les mouvements sociaux dont voici quelques courts extraits :

« (…) QS en est pleinement conscient. Ses porte-parole ont à maintes reprises reconnu qu’il serait illusoire de penser qu’un parti politique de gauche de la nature de QS puisse se développer significativement sans un soutien organisé, efficace et systématique d’une partie significative ou de l’ensemble du mouvement social. QS se présente bien sûr avec des atouts très appréciables. Radicalement à gauche, mais avec une grande diversité des tendances en son sein, QS a une culture très démocratique qui n’est pas encombrée par les rigidités idéologiques qui ont jadis beaucoup nuit à la gauche contestataire au Québec.

Du côté des Mouvements Sociaux, la possibilité de changer le mot d’ordre de neutralité partisane qui prévaut encore largement au sein des organisations, rencontre naturellement beaucoup de scepticisme. Rappelons cependant, pour relativiser les choses, que pendant des décennies, cela n’a pas empêché un appui organisationnel substantiel des composantes importantes des Mouvements Sociaux au PQ. On doit donc minimalement espérer que cet appui objectif, rarement ouvert et public, mais non moins planifié et organisé, qui allait auparavant au PQ, soit graduellement transféré vers QS. (...) »

Certains acteurs au sein des mouvements sociaux semblent prêts à aller un peu plus loin. Il est réjouissant d’apprendre que des réflexions sont menées et des propositions d’échanges intersectorielles entre différents mouvements Sociaux se produisent depuis quelques temps dans plusieurs régions avec l’objectif de faire d’abord se forger une analyse commune.

Il semble donc que la réflexion qui doit, le cas échéant, initier le changement de paradigme nécessaire à une meilleure articulation des rapports de complémentarité entre mouvements Sociaux et partis politiques, soit déclenchée de part et d’autre. Tout le monde convient que cette articulation est inévitable pour qu’une coalition sociale de longue durée réussisse à émerger du mouvement Social avec l’objectif de viser la transformation sociale et s’il le faut, le changement du pouvoir politique. Mais nous sommes plusieurs à être convaincus que même à court terme, toute stratégie de lutte efficace contre l’austérité passe par une concertation qui devra prendre la forme qu’elle pourra, mais qui suppose quand même une amorce de changement de paradigme. Il s’agit non pas d’une remise en question de l’autonomie des organisations des mouvements Sociaux, mais du paradigme qui stipule que cette autonomie est tributaire d’une stricte neutralité objective sur le plan partisan (...) »

6) La conclusion (provisoire) reviendrait-elle à Roger Rashi ?

« Merci à vous tous pour ce cet échange de haute teneur et fascinant.

1. Merci, Amir, pour ce texte sur les mouvements sociaux. Je suis en train de le lire plus en détail. Une petite remarque : il me semble d’ores et déjà que nous devons revoir notre stratégie envers les mouvements sociaux québécois. Nous devons trouver les moyens d’engager un débat politique, amical mais ferme, avec la mouvance anarcho-syndicaliste ainsi qu’avec la mouvance "neutralité politique¨. Je pense qu’il faut aussi dynamiser nos militants qui sont actifs dans les MS en articulant ce que devrait pourrait leur posture publique tant envers le parti que sur les questions tactiques des luttes immédiates (ex. grève sociale ou pas ce printemps, les négos du Front Commun, etc..). L’objectif étant non pas de soumettre les MS au parti mais plutôt de developper un rapport « organique », d’appui mutuel dans le respect de l’autonomie de chacun. Je dois t’avouer que je suis surpris du manque d’initiative de la direction de QS sur cette question : la première rencontre tenue à l’été 2014 pour discuter du lien QS-MS est restée sans suite. Peut-être regrouper nos militants actifs dans les mouvements sociaux par "front de lutte » pour creuser ces questions ?

2. Je partage les mêmes critiques que Pierre Mouterde sur la question du populisme. Adopter une attitude « tribunitienne », absolument essentielle pour un authentique parti de gauche, n’équivaut pas à adopter les thèses populistes. D’autant plus que le populisme tant de droite que "de gauche » a de multiples adeptes au Québec. Amir (suivant en cela le feu François Cyr) a bien raison : adressons-nous à un grand public, frappons les privilèges des élites économiques et politiques, dénonçons la corruption, illustrons le thème du 99% contre le 1%. Mais de grâce, ne partons pas du présupposé que ceci voudrait dire gommer la démarcation droite-gauche ou brouiller notre identité anti-sytémique. J’ai suggéré de développer l’approche « changer le système non le climat », donc d’articuler un vrai programme de transition sociale et environnementale (non un simple programme de sortie du pétrole), comme moyen de mieux concrétiser notre appel à « dépasser le capitalisme ».

3. J’inviterais Jonathan à être prudent dans l’attribution d’objectifs électoraux précis pour 2018. D’abord il est impossible de prévoir le contexte politique et électoral trois-années-et-demi à l’avance. De plus, l’essor électoral d’un parti de gauche anti-systémique se fait rarement par une croissance lente et régulière, mais plutôt par bonds qualitatifs à l’occasion de crises ou de conjonctures particulières. Revenons aux luttes d’aujourdhui : comme le dit Pierre, c’est d’abord sur le terrain social que se donneront de possibles victoires ou défaites… Roger Rashi . »

7) Pour poursuivre et relancer le débat : que dire des dures interrogations d’Antoine Casgrain ? (lettre publiée le 20 mars dans Le Devoir)

« Denis Christian Morin [4] a malheureusement raison lorsqu’il dit que Québec solidaire est une gauche sans histoire. Désamarré du mouvement ouvrier, hanté par le socialisme, féministe orphelin, il ne chante l’indépendance qu’avec de fausses notes. Sa bannière orangée ne vient de nulle part, l’Union des forces progressistes ayant abdiqué, lors de la fusion, le vert-blanc-rouge des patriotes. La porte-parole du parti a par ailleurs la fâcheuse habitude de confondre son histoire personnelle à celle des forces progressistes. 
 
Pourtant, l’amnésie du parti est signe de faiblesse, non d’impuissance. Sa coque est fragile, mais QS reste le seul à résister aux sirènes qui pointent vers un futur qui n’offre qu’écueils économiques et tempêtes écologiques. Sans héritage, ce parti ne confond pourtant pas le patrimoine d’un pays et le patrimoine d’un milliardaire. Les solidaires font une courtepointe en rapaillant les tissus que les péquistes ont délaissés. Les dirigeants nationalistes préféreraient ignorer les luttes éparses d’aujourd’hui : de l’altermondialisme aux carrés rouges, en passant par la marche des femmes et le non à la guerre, sans oublier les « lockoutés » de Montréal ou de Jonquière.
 
L’histoire sans la gauche n’ira pas plus loin que la gauche sans histoire. Pourquoi donc voudrions-nous accoucher l’enfant d’une Révolution tranquille qui a avorté depuis longtemps ? Voulons-nous un parti qui a raté son rendez-vous avec l’histoire, ou un parti qui tente de redessiner l’avenir ? Antoine Casgrain. »

À suivre, donc !


[1Nicos Poulantzas, né en 1936 et mort en 1979, est un politologue et sociologue français d’origine grecque, qui fut tout à la fois influencé par Louis Althusser et Antonio Gramsci et qui a cherché à esquisser les contours théoriques d’une voie originale vers un socialisme démocratique proche des conceptions de l’eurocommunisme.

[2L’ethos est un mot grec qui signifie le caractère habituel, la manière d’être, les habitudes d’une personne.

[3Voir l’idée de penser l’action politique de gauche sur le mode de « la rupture démocratique », c’est-à-dire sur le modèle d’une rupture s’effectuant au fil d’un processus transitoire ne cessant de s’approfondir (par ruptures successives) grace au renforcement d’un pouvoir populaire contre-hégémonique grandissant chaque fois plus actif, participatif et puissant. C’est la seule manière de penser la transformation du réel (avec ses inéluctables rapports de force), en n’en restant pas au domaine de « l’utopie chimérique », ni en se rabattant sur le surgissement d’un hypothétique événement révolutionnaire (Rancière, Badiou, et bien des libertaires). Voir Quel avenir pour Québec solidaire, La voie de la rupture démocratique (NCS, numéro 12, Automne 2014).

[4Antoine Casgrain fait ici référence à une lettre publiée, elle aussi dans Le Devoir, de Christian Morin qui affirme –suite aux résultats décevants de QS dans Richelieu— que QS est une gauche sans histoire, c’est-à-dire incapable de mobiliser et de susciter ou entretenir le débat public.

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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