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Quelques mythes à débusquer à propos de la classe moyenne canadienne

Les Conservateurs, les Libéraux-ales et les membres du NPD veulent gagner la confiance des CanadienNEs. Mais une question s’impose quand on écoute leurs discours : de qui parlent-ils quand ils utilisent le concept de « classe moyenne » ?

Sanita Fejzici [1]rabble.ca, 20 février 2014,

Traduction, Alexandra Cyr

Qui au juste compose la classe moyenne canadienne et est-ce juste de dire qu’elle est en voie de disparition ? La question est examinée dans un récent article du Globe and Mail : « On peut conclure selon les données de Statistiques Canada, que la classe moyenne se réduit en nombre depuis le milieu des années quatre-vingt-dix mais pas à cause de la baisse des salaires. La proportion des familles à revenu moyen s’est réduite pendant que celle des niveaux inférieurs et supérieurs a augmentée ».

Un autre article, de la CBC cette fois, définit la classe moyenne comme étant le :« 60% de CanadienNEs dont le revenu est plus élevé que les 20% qui ne gagnent que 10,000$ (par individu) et par année et moins que l’autre 20% qui gagne moins de 60,000$ (par individu) et par année ».

Ces données financières peuvent aider à déterminer le statut de ceux et celles qui composent la classe moyenne mais cela demeure une évaluation assez subjective. Historiquement, dans les années d’après guerre, la classe moyenne était définie en Amérique du Nord comme la famille avec un seul gagne-pain (typiquement le père) et une mère au foyer avec, en moyenne trois enfants. Cette famille pouvait être propriétaire de sa maison, d’une voiture, mettre suffisamment de nourriture sur la table, avoir un peu d’épargne et la capacité d’épargner.

Si vous vous adressez à des experts ils vous diront qu’il y a de multiples façons de définir la classe moyenne. Pour le Professeur Leslie Pal, du Centre de la gouvernance de l’Université Carleton, la classe moyenne « existe mais elle est menacée. Le problème n’est pas de savoir si elle se rétrécit mais de se demander si une personne de 20 ou 30 ans aujourd’hui peut penser entrer dans cette classe dans le futur. La réponse est non ».

Définir la classe moyenne canadienne

On observe deux manières d’examiner la classe moyenne. La première s’arrête sur les « baby boomers » et donne une définition basée sur leur expérience. C’est assez problématique mais a quand même du sens à deux égards : cette catégorie de la population est nombreuse au Canada. Par rapport au rétrécissement, elle devient une moyenne. Par ailleurs, parce qu’elle est majoritaire, son poids électoral compte et la plupart des partis politiques s’en servent pour construire leurs discours sur la classe moyenne. Le problème avec cette position, c’est que la plupart des « baby boomers » sont relativement à l’aise financièrement.

La deuxième manière de voir la classe moyenne analyse sa situation en tenant compte des points de vue inter générationnels. Selon Paul Kershaw, directeur intérimaire du Human Early Learning Partnership à l’Université de la Colombie-Britannique et fondateur de Generation Squeeze Campaign : « Les données nous invitent à être très prudentEs avec la notion de rétrécissement de la classe moyenne. Cette formulation populaire chez certains partis politiques cache que le rétrécissement est plus une question d’âge qu’autre chose ». Comme il le signale, la hausse de la valeur immobilière explique pour beaucoup que les personnes de 55 à 64 ans déclarent que leur richesse a pour ainsi dire triplé par rapport à ce qu’était celle des personnes de leur âge il y a une génération. « Ce n’est pas la classe moyenne qui se rétrécit, explique-t-il, c’est que la moyenne des personnes qui arrivent à la retraite n’a jamais été aussi riche dans ce pays ».

Le prix élevé des maisons qui fait la richesse de ceux et celles qui les ont achetées il y a des dizaines d’années étouffe leurs enfants et petits-enfants qui rêvent encore de devenir propriétaires. Paul Kershaw ajoute : « Les personnes des générations X et Y payent pour leurs maisons pratiquement le double de ce qu’ils auraient payé antérieurement en tenant compte de la fluctuation des prix à la consommation. Leur salaire est plus bas de 3.00$ de l’heure même s’ils sont deux fois plus forméEs que dans le passé et ils et elles ne bénéficieront pas de généreux fonds de pension. En fait c’est surtout pour la jeune génération qu’il y a un rétrécissement »

Les politiques sont fixéEs sur la classe moyenne représentée par les « baby boomers »

93% des CanadienNEs se disent de la classe moyenne ; cela devient un grand enjeu quand les partis politiques veulent gagner les cœurs de ces électeurs-trices. M. Pal soutient qu’il s’agit là d’un champ de bataille électoral. Non pas pour savoir quel parti sera le plus favorable à la classe moyenne mais pour savoir lequel sera le plus habile à convaincre cette catégorie grisonnante et vieillissante. En d’autres mots, les trois partis ignorent la composante générationnelle de cette réalité ou ne la comprennent tout simplement pas. Ils ne font que s’assurer que le vote des « baby boomers » de classe moyenne leur revienne.

M. Pal soutient que les trois partis ont pris deux tangentes pour s’adresser à cette partie de la population : « L’une d’elle est d’offrir des « politiques bonbon » et l’autre est de s’attaquer aux problèmes les plus importants ». Les « politiques bonbon » offrent de bien petites choses à ces électeurs-trices « baby boomers » ; ils et elles vivent relativement confortablement et n’ont pas de sentiment d’urgence. Ce sont les déductions fiscales pour les équipements sportifs, pour les titres de transport en commun et la politique qui met fin aux ventes par forfaits des cablodiffuseurs. Pour le NPD, l’importance est mise sur le haut niveau des frais de retrait par les guichets automatiques qui ne sont pas ceux de votre banque ou caisse. Pour le Professeur Pal, il s’agit là de petites politiques séduisantes mais qui ne résolvent aucun problème.

Le deuxième axe veut résoudre des problèmes plus répandus et met l’accent sur les réformes nécessaires du système de financement des retraites. Beaucoup a été fait pour cela mais beaucoup reste à faire.
Pour M. Pal, les politiques utilisent le terme « classe moyenne » comme une simple rhétorique en général. « Les Conservateurs en ont fait un concept très restreint en le limitant aux « baby boomers ». Ils ont une pratique dure contre les criminels, sont fixés sur les baisses d’impôt et mènent une politique stricte en immigration.

Les Libéraux ont un programme un peu plus souple en immigration et mettent l’accent sur les minorités. Ils cherchent à rendre les contribuables solvables et veulent rendre l’éducation accessible. Le NPD se concentre pour sa part sur l’endettement des ménages et lutte pour la baisse des intérêts sur les dettes par cartes de crédit. Il a créé des systèmes sociaux de support qui ont protégé la classe moyenne dont le système de soins. Mais leur intérêt premier a toujours été la protection des travailleurs-euses et des minorités.

Aucun des trois partis n’a élaboré de politiques qui visent la disparition éventuelle de la classe moyenne. En se préparant à l’élection de 2015, ils ne devront pas oublier de préparer des politiques qui tiennent compte des segments de la population qui auront le plus à perdre, soit la génération coincée par le statut attribué aux « baby boomers » (dans la conjoncture politique et économique actuelle). Ils disposent d’instruments sophistiqués pour mesurer finement ces segments de l’électorat.


[1Sanita Fejzic est une écrivaine indépendante qui vit à Ottawa. Elle collabore à de nombreuses publications dont rabble.ca

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