Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

Qui fera donc l'indépendance ?

Au grand dam du PQ et de sa chef, voilà l’indépendance à l’ordre du jour et en priorité en plus. Merci à son nouveau champion sorti tout droit de son antre pour mettre les pendules à l’heure.

Mais qui donc fera l’indépendance ? La réponse spontanée est bien sûr : le peuple, tout le peuple y compris ceux et celles de droite autant que de gauche, comme se plait à le répéter M. Bernard Landry. Sans aucun doute ! Puisque en bout de course tout le peuple aura à conjuguer et vivre avec la situation. Mais quand à tout le processus qui peut nous amener à l’indépendance la question est posée depuis la naissance du PQ et elle est d’une actualité brulante même si les « gens ordinaires » qui s’expriment dans les sondages ne semblent pas y tenir tant que cela.

La stratégie

Depuis que le PQ s’est accaparé de la démarche vers l’indépendance il a misé sur l’objectif comme s’il s’agissait d’une marchandise. L’indépendance est un projet qu’il faut « vendre » à la population. Avec le temps et les échecs référendaires il s’est mis à attendre le moment où il y aura suffisamment d’acheteurs-euses pour organiser un nouveau référendum, gagnant cette fois.

Le PQ persiste et signe et nous propose encore une fois cette stratégie au cours de la campagne actuelle, en voulant, aujourd’hui comme hier, que tous les souverainistes se rallient à sa politique. Il ya pourtant deux vices majeurs dans cette proposition : 1- c’est ravaler la souveraineté à une simple marchandise et 2- faire l’indépendance au dessus de la tête du peuple.

1-La souveraineté est un projet trop fondamental et sérieux pour ne pas s’en remettre à des campagnes de mise en marché pour y arriver. Ce genre de démarche mise sur des explications en forme de slogans, courtes, sans grande substance réelle. Il s’agit de « séduire » au sens qu’en donne le Petit Robert : détourner du droit chemin, corrompre ». Autrement dit, il pas n’est si important de comprendre les tenants et aboutissants de la chose il suffit d’adhérer sur la base d’un certain confort personnel devant le projet ; et tant mieux si vous arrivez à être enthousiastes ! Ce que nous voulons c’est votre vote pour le Oui ! Après on verra ! Même si on ne peut absolument pas garantir la qualité de l’avenir dans une telle démarche, il n’en reste pas moins que la simple honnêteté veut que des perspectives réalistes soient élaborées : que peuvent donner les négociations avec le fédéral ? Voudra-t-il tout simplement négocier ? Qu’elle sera la position des États-Unis ? Et qu’elles peuvent être les répercutions dans nos vies ? Il faudra bien nous préparer et être minimalement capables de faire face.

Il y a quelques années, au moment de sa candidature à la chefferie il me semble, Mme Marois avait osé dire que l’accès à la souveraineté ne se ferait pas sans tremblements. Elle s’est fait rappeler à l’ordre très vite et n’en a plus jamais parlé. Cela ressemblait trop aux publicités pour les médicaments à la télévision américaine : on vous dit qu’il vous traitera pour une maladie quelconque et on fait, souvent pendant de longues minutes, la liste des effets secondaires qu’il peut apporter.

2- Dans cette stratégie la démocratie reste encore et toujours remise à un corps d’élite qui concocte les contenus et les stratégies pour les implanter. Ça n’a rien de nouveau dans notre histoire et dans celle de l’humanité. Il suffit de lire Une histoire populaire des États-Unis d’Howard Zinn pour constater comment ce mécanisme a structuré la nature de la fondation de la république américaine qui se perpétue encore aujourd’hui. La classe dominante a pris le pays en main et ne le lâche pas. L’instauration de la Confédération canadienne n’a pas fait autre chose et le rapatriement de la Constitution de 1982 a poursuivi le processus de façon encore plus scandaleuse si cela se peut : le refus du Québec d’y adhérer a été balayé du revers de la main alors que le résultat d’un référendum devrait être validé par le gouvernement fédéral (loi sur la clarté). Les exemples sont multiples dans l’histoire des nations : le peuple est tenu à l’écart des discussions et négociations juste bon à approuver, souvent après des campagnes de peur, ou rejeter ce que d’autres, plus puissantEs lui ont concocté.

C’est sur cette base, que personnellement, depuis la naissance du P.Q., je n’ai jamais pu embarquer dans sa proposition.

L’adage qui veut que la souveraineté n’est ni de gauche ni de droite mais droit devant ne tient la route que si on trouve légitime cette captation du pouvoir par les unEs et l’instrumentalisation des autres. Il semble que cette question soit aussi vieille que la naissance moderne du projet d’indépendancei.

Il ne s’agit pas ici de vouloir exclure qui que ce soit du projet indépendantiste à fortiori du processus qui y mènera, au contraire. Il s’agit de donner une place aussi égale que possible dans une société fondamentalement inégale à tous les segments de la population. L’enjeu, dans notre société de classe où le pouvoir est largement capté par une minorité, est que tous et toutes puissent se prononcer sur la nature du futur pays : une république ? De quel type ? Quel maintient ou rejet des règles de gouvernement héritées de l’Empire britannique ? Les droits de tous et toutes ? Etc. Etc. Pour avoir tourné les coins ronds à ce chapitre, la Révolution française à laissé sur le côté du chemin les femmes et les esclaves……… !! Il a fallu des centaines d’années pour corriger ces erreurs.

Et qu’en est-il de l’élaboration de la constitution ? Je vous invite fortement à lire les chapitres 4 et 5 de l’Histoire populaire des États-Unis d’Howard Zinn (Lux éd.) Il y décrit comment les classes dominantes ont réussi à s’accaparer du processus, à coopter certains segments de la population et surtout à tenir à l’écart tous ceux et, bien sur celles, qui ne possédant rien ou presque ne comptaient pour rien. Elles se sont même assuré en écrivant cette constitution que leurs choix ne seraient jamais remis en question dans le futur. Elles ont structuré et assis leur pouvoir pour des siècles et en profitent encore aujourd’hui. Pourtant, les AméricainEs vénèrent leur constitution comme peu de peuple le font. Comme quoi, quand la domination est installée avec force et habileté, elle peut être à l’œuvre pendant longtemps et même convaincre les dominéEs que leur sort est enviable.

Nous avons eu depuis quelques 3 ans sous les yeux un processus d’élaboration de constitution beaucoup plus encourageant, celui de la Tunisie. Ce fut tout sauf facile et le résultat le plus rassurant n’est peut-être que la population ait évité le pire. Mais il faut mesurer la qualité du processus : une constituante a été mise en place, des débats ardus, très violents parfois y ont eu lieu et les partis qui tentaient d’imposer leurs vues ont été maitrisés. Ce fut long et pénible à bien des égards, il y a même eu des morts mais le débat national a été le plus fort et quand les citoyenNEs se sont présentéEs aux urnes pour le vote final, les choix étaient les plus clairs possibles dans les circonstances.

On a posé ces derniers jours la question de la monnaie, des frontières et de leur étanchéité ou porosité. Ces problèmes fondamentaux sont traités comme des sujets aussi dérangeants que de mauvaises mouches à cette étape ; encore une fois on verra plus tard. Cela se défend mais simplement parce que le processus de construction du pays n’est pas entamé ; mais est-ce que le fameux livre blanc de Mme Marois offrira autre chose qu’une série de réponses-propositions que nous devrons approuver ou rejeter ? On nous promet des ateliers de discussion. Quel seront leurs pouvoirs même de simple influence ?

Conclusion

J’en appelle sur cette question éminemment sérieuse et engageante, à l’introduction de la démocratie participative, la représentative ne suffisant pas dans les circonstances, (comme dans bien d’autres). Pour cela, il faut que la population s’empare de la question sur des bases indépendantes. Les organisations populaires existantes, les syndicats et les groupes de lutte sur des questions particulières devront se mobiliser pour impliquer le plus de monde possible dans le débat, pas seulement sur le OUI ou le NON.

Si l’indépendance concerne toute la population il faut être conséquentEs et donner une place égale à tous et toutes en travaillant le plus possible au-delà des appartenances de classe. Les partis politiques peuvent représenter la gauche ou la droite les citoyenNEs ne doivent pas avoir à se qualifier de la sorte pour que leurs visions des choses soient prises en compte. Des structures neutres doivent être mises en place pour organiser cette participation où les partisanEs de toutes les tendances pourront débattre sachant que leurs conclusions seront prises en compte. Les partis continueront à faire valoir leurs positions de droite comme de gauche.

Il faut impérativement se couper des conceptions « souveraineté-marchandise » et de l’incantation pour la concentration dans un seul parti de ceux et celle qui favorisent l’indépendance. La présence de plusieurs partis défendant cette option avec des analyses et objectifs différents est saine. Ce qu’il faut absolument, c’est que dès maintenant, les mécanismes pour arriver à l’indépendance et structurer le pays soient mis de l’avant, présentés à l’électorat. Il n’est pas trop tôt. Laisser le seul PQ imposer les siens n’est plus honnête finalement.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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