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Asie/Proche-Orient

Qui se cache derrière la guerre brutale contre la drogue aux Philippines ? Un tueur à gages parle

PBS News Hour, 3 mars 2017,
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr

Judy Woodruff : Il est exact de dire qu’un climat de terreur règne aux Philippines. Le Président, Rodrigo Duterte s’est engagé dans une guerre brutale aux drogués et aux trafiquants de drogues.

Selon Human Rights Watch, plus de 7,000 personnes ont été tuées au cours des seuls derniers 9 mois. Mais qui exactement tue ainsi ?

Kara Magsanoc-Alikpala nous a fourni un reportage dont William Brangham nous fait le récit. (…)

William Brangham : Depuis des décennies, il est possible de se procurer en toute sécurité, de la drogue dans les bidonvilles des Philippines. Ce sont des refuges pour ce trafic illégal. Le « crystal meth » s’y vend comme du bonbon. Un gramme coûte au moins 25$, soit le triple du salaire moyen quotidien. C’est aussi, la drogue la moins chère sur le marché.

Les consommateurs-trices louent des espaces dans des « salons de la drogue » pour y fumer sans peur d’être arrêtés-es. C’est un commerce florissant. Le gouvernement estime que le « crystal meth » est disponible dans presque tous les quartiers de Manille. Il croit qu’environ 1 million 300,000 personnes font usage de drogue dans le pays. Même les enfants participent à ce trafic ; ils confectionnent des pipes en aluminium pour les vendre aux usagers-ères.

C’est la crise philippine à laquelle le Président R. Duterte s’est engagé à mettre fin. Sa solution extravagante ? Encourager les dépendants-es aux drogues à se suicider. Il leur dit :
« Sentez-vous libres de nous appeler, d’appeler la police ou faites-le vous-mêmes si vous avez une arme. Vous avez mon soutient ».
Peu après son entrée en poste, une vague d’assassinats sommaires à déferlé sur le pays. Des personnes soupçonnées de consommer des drogues ou d’en faire le trafic, ont été trouvés-es sans vie dans les rues des villes du fait de tueurs à gage. On estime que 40 personnes sont tuées chaque jour. L’analyste politique Ramon Casiple croit que la violence fait partie de la stratégie de Président pour instiller la peur (dans la population) : « S’ils se justifient en disant qu’ils développent un environnement favorisant les meurtres, je dirais que c’est exact. C’est l’effet qu’ils recherchent ; insuffler la peur chez les criminels ».

Alors, est-ce que ces meurtres changent quoi que ce soit ou est-ce simplement le signe d’une nation sans lois ? Nous avons trouvé une réponse chez une partisane du Président. Elle se fait appeler Zenny pour ne pas dévoiler son identité. Elle soutient que la guerre à la drogue a eut des effets positifs dans son quartier. Beaucoup de consommateurs-trices et de vendeurs-euses se sont calmés dit-elle : « Notre quartier est bien plus tranquille et plus ordonné grâce à cette guerre à la drogue. J’ai voté pour lui (le Président), parce que je voulais une solution à cette crise de la drogue. Ça a vraiment marché ». Elle raconte que son propre fils a cessé de consommer ce qui la réjouie. Mais ce bonheur de mère n’a pas duré longtemps. Un groupe de 6 hommes armés ont tué son fils de 34 ans : « 6 civils ont fait irruption dans la maison. Ils avaient des armes. Ils m’ont dit de sortir, ce que j’ai fait. Ils entouraient tout l’espace. Les médias étaient là, les enquêteurs des scènes de crimes et le personnel du salon funéraire. J’ai entendu 2 coups de feu ». Selon la police et les médias, son fils résistait à son arrestation et pointait un pistolet contre ses attaquants. Zenny ne croit pas à cette version : « Comment mon fils aurait-il pu posséder un pistolet pour l’amour du ciel ? Il n’avait pas un sou pas même pour s’acheter des cigarettes, alors un pistolet……Comment aurait-il pu résister à son arrestation alors qu’il était complètement coincé ? Elle pense que la police fait du camouflage : « Tout était prêt. Il y avait beaucoup de policiers, d’hommes en uniforme. Ça ressemblait à une mise en scène systématique ».

En ce moment, la police philippine dit que 64% de ces meurtres sont le fait de gardiens de sécurité. On y reconnaitrait leur style. Mais le gouvernement déclare qu’ils ne sont pas responsables et que seule une investigation en profondeur pourra en décider et déterminer les vraies raisons (de ces meurtres). Le porte-parole du gouvernement, M. Ernesto Abella, veut que ces cas soient résolus au plus tôt : « Je n’ai pas de calendrier mais il (le Président), veut que ce soit fait correctement et vite ». Mais après 9 mois de guerre à la drogue sous le règne de R. Duterte, il n’y a eut absolument aucune arrestation. Cette inaction déplait profondément à la Commission des droits humains philippine. Mme Gwen Gana, sa porte-parole, déclare : « Il faut que l’enquête ait lieu promptement. Mais pas que ; il faut que les résultats soient connus et qu’il y ait une vraie solution. Les conclusions doivent être claires et rendues publiques immédiatement ».

Donc, qui commet ces meurtres ? Et qui en donne l’ordre ? Notre correspondante, Kara Magsanoc-Alikpala a discuté avec un homme qui se qualifie de tueur à gages. Il se fait nommer Kevin. Il dit appartenir à un réseau d’assassins protégés par des politiciens. Il raconte aussi avoir tué 15 personnes au cours des 6 derniers mois. Kara lui a demandé qui sont ces tueurs et pourquoi ils agissent ainsi.
Kevin : Il y en a beaucoup. Mais la majorité sont des policiers parce qu’il y a de l’argent impliqué. Ils reçoivent environ 310$ américains pour chaque meurtre. En une nuit nous devons tuer au moins 4 personnes ; au moins un gros trafiquant et un vendeur par nuit.

W.B. : Cela veut dire qu’en une nuit, ces hommes peuvent gagner plus que le revenu moyen d’un mois aux Philippines. Kara lui a aussi demandé d’où vient l’argent.

K : Du gouvernement, du bureau de R. Duterte, des municipalités, des maires.

W.B. : Le porte-parole du gouvernement rejette ces accusations et dit que le Président Duterte n’ordonne pas ces exécutions. Il dit qu’il s’agit sans doute de batailles internes dans les gangs dont les membres se visent les uns les autres : « Il y a des informations à l’effet que ces morts soient le fait de guerres intestines, c’est-à-dire que les membres de ces groupes sont les auteurs de ces meurtres ; ils se tuent entre eux. Personnellement, le Président a déclaré qu’il ne condamnait pas ce genre de meurtres ».

Rodrigo Duterte : Il n’y aura pas de ralentissement dans cette campagne.

W.B. : Mais, les critiques ont raison de douter de la parole du Président. Il a été lié à un escadron de la mort dans sa ville de Davao. À la fin des années 90 il était maire de cette ville et il y a lancé une campagne contre la drogue. Et tout comme en ce moment, on lui attribue la responsabilité des morts de vendeurs et de consommateurs-trices de drogue. Ces meurtres ont été attribués à un groupe de gardiens de sécurité, le Davao Death Squad. Plusieurs soutiennent que le maire Duterte était leur commenditaire. (…) Mais, pour l’analyste R. Casiple, l’apparence d’inaction de la part de Duterte sert ses objectifs : « selon sa propre évaluation de la situation, il pense qu’il y a un sens pour que les groupes de sécurité agissent ainsi. Ils protègent nos communautés ; cela protège leurs gens ».

W.B. : Le Père Amado Picardal qui a vécu à Davao, croit que le Président a créé le Davao Death Squad. Les Philippines sont un pays majoritairement catholique. L’Église est réputée donner son appui au Président. Donc les accusations du Père Picardal ne sont pas faites aisément. Il raconte que d’anciens membres du Death Squad lui ont dit, ainsi qu’à certains de se confrères, que R. Duterte y était directement impliqué : « je pense que ce qui se passe en ce moment, est une répétition et une multiplication de ce qui s’est passé à Davao. Davao est le modèle ».

K. M-Alikpala : Je suis allée dans ces environs et j’ai pu voir nombre d’effets de ces exécutions extrajudiciaires qui se passent presque chaque jour. Vous avez dû entendre des policiers ou des gardiens de sécurité en confession ?
Père A.P. : Je me suis fait dire par mes collègues prêtres que le nombre de policiers venant se confesser a augmenté. Plusieurs d’entre eux ont réellement mauvaise conscience. Donc ce que je veux dire à ces policiers, c’est de ne pas obéir à des ordres illégaux. Obéissez à votre conscience.

W.B : En 2009, Human Rights Watch et l’Agence philippine des droits humains ont retracé 1,000 mort liée au Davao Death Squad. Ils ont tenté de poursuivre le maire Duterte pour au moins avoir toléré ces meurtres. Personne n’a voulu témoigner, donc il n’y a pas eu de procès.

En ce moment, partout aux Philippines, on continue de compter les cadavres dont le nombre augmente. Les assassins courent toujours.

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