Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Qui sème le vent …

Aux temps des croisades, les états européens s’étaient construit une image des Arabes et des Musulmans « fanatiques », qui osaient résister à l’avancée de la « civilisation chrétienne ». Quand les croisés sont effectivement arrivés au large des côtes de la Palestine, ils n’ont jamais compris que les chrétiens qui composaient une partie importante de la population arabe locale s’étaient très majoritairement ralliés aux armées menées par Salah Eddine qui ont finalement réussi, après des décennies d’occupation meurtrière par les croisés, à libérer leur pays et à expulser les hordes européennes.

Depuis, le malentendu est demeuré dans les consciences populaires. L’Arabe « fourbe », le Musulman « fanatique », font partie de notre imaginaire, relayé par d’innombrables messages réactionnaires d’un bout à l’autre du monde « occidental ». Tout cela a pris des proportions gigantesques avec ce que le président Bush a qualifié de « guerre sans fin » à partir de 2001, une confrontation qui avait d’ailleurs commencé bien avant avec les diverses aventures guerrières des États-Unis et de leurs alliés-subalternes.

Plus récemment, la destruction programmée de l’Irak, de la Syrie, de la Palestine, de la Libye, du Yémen, de la Somalie, a créé un chaos invraisemblable dans une vaste partie du monde. Des millions de réfugiés, de morts, de blessés. Des pays dévastés. La fuite désespérée à travers la Méditerranée ou via la Turquie. Sur le terrain, des bombardements indiscriminés avec des milliers de victimes « collatérales », comme on vient de voir cette fin de semaine au Yémen. Des exactions sans nombre contre des civils démunis, comme en Palestine, où un régime appuyé fortement par les États-Unis et le Canada viole allègrement ce qui reste de la légalité internationale.

Derrière ce carnage télévisé, une vaste bataille des idées est en cours. La vieille imagerie de l’Arabe « fourbe » et du Musulman « fanatisé » continue, en étant complémentée, si on peut dire, sur le discours de la défense de la « civilisation » et de ses « valeurs ». On entend encore des chroniqueurs chevronnés, appeler à s’opposer à l’islam (on ne parle pas des djihadistes), parce que cette religion « exclut les femmes de l’espace public » (Christian Rioux, Le Devoir, 27.1.2017).

L’absurdité de cette affirmation peut être vérifiée par quiconque visite les contrées en question où la condition des femmes, qui reste toujours l’objet de puissantes luttes sociales et culturelles, a peu à voir avec l’islam (on n’a qu’à aller dans des régions plutôt hostiles aux droits des femmes où la présence de l’islam est très faible).

En fait, on n’a pas besoin d’aller loin, car jusque dans les années 1960, la place des femmes dans la société québécoise était plutôt désavantagée. Encore aujourd’hui, la violence dite « familiale » concerne surtout les femmes. Bien sûr, notre société a progressé, surtout à cause de la résistance des femmes. Il reste encore des catholiques ultramontains qui pensent que la place des femmes est à la maison, mais ce n’est pas l’avis de la majorité.

Allez voir en Tunisie, en Palestine, en Syrie, et vous verrez que ces sociétés, majoritairement musulmanes, portent en gestation les mêmes valeurs de démocratie et d’égalité que nous, et combattent les obscurantismes qui restent très forts, d’autant plus qu’ils sont souvent appuyés par l’« Occident », pour reprendre une expression trompeuse. On pense au régime saoudien et à d’autres pétromonarchies du Golfe par exemple, qui sont des oligarchies politiques et économiques, et non une religion. Le Canada vient de vendre des centaines de milliers de blindés à ces régimes qui pratiquent la torture et emprisonnent des milliers d’hommes et de femmes qui ont commis le « crime » d’exprimer leurs idées. À part quelques déclarations sans lendemain, on laisse l’État israélien établir un système qui de plus en plus se compare à celui de l’apartheid qui sévissait en Afrique du Sud.

Pendant ce temps, on met en garde les gens contre la « menace islamiste ». Les messages de haine des radios-poubelles, des médias démagogiques et des « experts » patentés, doivent assumer une responsabilité dans la dérive actuelle. Ce qui est arrivé à Québec n’était pas un « accident », un « acte de folie », purement et simplement.

Pour combattre de tels actes, il faut aller dans la direction opposée de ceux qui prônent une « guerre de civilisation », la haine et le mépris de l’autre. Cela n’a rien à voir, malgré ce qu’en disent certains chroniqueurs, avec une « naïveté » prétendument de gauche inspirée par une « globalisation libérale ». Cela a l’air à voir avec la reconstruction d’un monde dont les fondements ne peuvent être autre chose que la justice, la démocratie et la paix. L’accueil des réfugiés, la protection des droits des immigrant-es, y compris leurs droits religieux, sont autant de fondations pour penser à une autre politique. C’est important, mais cela n’est pas suffisant. Prendre parti pour les peuples, ne pas passivement regarder les divers « printemps arabes » qui cherchent à percer ici et là, combattre les responsables des exactions y compris celles commises par les partenaires commerciaux et politiques du Canada, c’est le virage qu’il faut prendre tout de suite, avant que le monde ne tombe totalement dans le gouffre.

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