Édition du 16 avril 2024

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Quoi de neuf en Afrique du Sud ?

Conférences, déclarations, scandales, les dernières semaines ont été riches d’informations, d’interrogations, de spéculations sur l’avenir politique de l’Afrique du Sud. Le mois d’août ne s’annonce pas moins riche de péripéties, avec toujours le même suspense : le Président Zuma restera-t-il jusqu’à la fin de son mandat à la tête du pays ?

Tiré du blogue de l’auteure.

La conférence politique de l’Anc du 29 juin au 2 juillet avait mal démarré. Au cours d’une conférence de presse, le groupe des 101vétérans qui avaient demandé la tenue d’une conférence consultative, séparée de la conférence politique, demande rejetée par la direction de l’ANC, avait déclaré qu’il serait futile d’espérer une conversation franche sur les défis à relever pour le parti. Ils n’avaient pas complètement tort. Les conclusions de la conférence n’ont pas apporté de changements fondamentaux sur la ligne générale du parti. La question de la succession n’était pas inscrite au programme, mais était dans toutes les têtes des participants. Les commentaires de la presse sud-africaine peuvent se résumer par ce titre shakespearien « beaucoup de bruit pour rien ».

Après la conférence politique de l’Anc, le Sacp, le Parti commniste sud-africain, tenait son 14ème congrès à partir du 10 juillet. Un congrès pas tout à fait comme les autres : le Président Zuma a été prié de ne pas venir, du jamais vu ! L’avenir de l’alliance tripartite était au cœur des discussions, le Sacp étant l’un des critiques les plus sévères de la politique menée par le gouvernement Zuma. Le Sacp dénonce la corruption, la main mise de la famille Gupta sur l’Etat (state capture), la dérive autoritaire et la perte de crédibilité du parti au pouvoir. Jeremy Cronin, le secrétaire-adjoint, qui n’a pas souhaité renouvelait son mandat après 22 ans au service du parti, a dans un entretien à la presse, a affirmé que son pays était sérieusement menacé et que l’Anc « rêvait », s’il espérait emporter les élections de 2019.

Blade Nzimande, le secrétaire général qui a été réélu à la tête du parti a, tout de go, déclaré que l’Anc avait trahi la confiance de son allié le Sacp et a aussi appelé a en finir au plus vite avec la famille Gupta et le pillage des ressources du pays. Mais ce qui est nouveau, c’est l’appel du congrès à un rassemblement des forces patriotiques, « un vaste front patriotique pour défendre notre démocratie et notre souveraineté nationale », et la possibilité pour le Sacp de déterminer après une analyse du rapport des forces, d’aller aux élections de 2019 sous sa propre bannière.

Certes, ce n’est pas la première fois que le Sacp a exprimé de manière plus ou moins nette de quitter l’alliance qui le lie à l’Anc et au Cosatu. Les désaccords sont profonds et les rabibochages ont des limites. Le Sacp n’a jamais réussi à modifier la politique néo-libérale menée par l’Anc depuis 1994 en dépit de ses dénonciations. Toutefois l’alliance entre l’Anc et le Sacp a été le ciment de la lutte contre le système d’apartheid et il serait long de faire la liste des dirigeants de l’Anc qui ont été, à un moment ou à un autre, membres du parti communiste. Cette alliance forgée dans la lutte et le sang, la sinistre loi de la Suppression du communisme de 1950, a été l’instrument le plus utilisé pour mater ceux qui osaient s’opposer au régime, communiste ou pas, pèse lourd dans l’histoire du pays.

Le Sacp va-t-il franchir le pas et faire alliance avec d’autres forces démocratiques, ou bien l’appel de Cyril Ramaphosa qui a pris la parole au congrès du Sacp, à maintenir l’unité sera-t-il entendu ? Dans la course à la succession, le vice président semble devenir au fil des jours et de ses déclarations virulentes contre la clique Zuma, le candidat bien placé pour empêcher l’ex-épouse de Jacob Zuma, Nkosazana Dlamini-Zuma de devenir la première femme présidente de l’Afrique du Sud.

En attendant la suite de cette bataille politique, les révélations des contenus de milliers de courriels échangés entre la famille Gupta et ses affidés avec des responsables gouvernementaux continuent à faire des dégâts. La dernière « victime » est la ministre des entreprises publiques, Lynne Brown, ministre de tutelle d’Eskom, la compagnie nationale d’électricité, qui a du se séparer de son assistante personnelle, qui avait fait un voyage à Dubaï, la facture étant réglée par les Guptas. Le travail accompli par les sites de journalisme d’investigation amaBhungane & Scorpio #GuptaLeaks montre l’étendue de la puissance de nuisance de cette pieuvre qui met l’économie du pays en coupe réglée. (AmaBhungane désigne le bousier en langue isizulu et le slogan du site est : « Fouiller la merde. Fertiliser la démocratie »).

Le Parlement devrait se prononcer le 8 août prochain sur la motion de défiance déposée par l’opposition. Le Président Zuma a déjà survécu à sept motions du même type par le passé. Le 8 août sonnera-t-il la fin de partie ? Beaucoup en doute, comme le politologue Steven Friedman qui est prêt à parier que la motion sera rejetée par la majorité parlementaire. Même si le vote se fait à bulletin secret, décision que la Présidente de l’Assemblée n’a pas encore prise et qu’elle seule peut faire, rien n’est moins sûr qu’une cinquantaine de députés de l’Anc joignent leur votes à ceux des partis d’opposition. Des députés de l’Anc ont courageusement dit publiquement qu’ils le feraient, reste à voir le résultat du vote.

Motion de défiance ou pas, vote secret ou pas, les gens seront dans la rue le 7 août à l’appel de nombreuses associations. Dans un appel vibrant à manifester, publié dans GroundUp http://www.groundup.org.za/, Zackie Achmat , un ancien membre de l’Anc, très connu et populaire pour la lutte qu’il a menée avec l’association Treatment Action Campaign pour l’accès aux soins et aux antirétroviraux des malades du sida, donne six bonnes raisons de descendre dans la rue pour demander la démission de Jacob Zuma et mettre fin à la corruption pour véritablement s’attaquer aux injustices et inégalités qui rongent la société sud-africaine.

Jacqueline Dérens

Blogueuse sur le site de Mediapart (France). Ancienne militante contre l’apartheid, fondatrice de l’association RENAPAS - Rencontre nationale avec le peuple d’Afrique du Sud.

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