Édition du 16 avril 2024

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Rapport Charbonneau : le renard est responsable du poulailler au Québec

Après 263 jours d’audiences et avoir fait passer à la barre environ 300 témoins, la commission Charbonneau a rendu public le 24 novembre un rapport de 1741 pages. Les informations contenues dans ce document prouvent que la méfiance des Québécois envers la classe politique est justifiée.

Le Rapport final de la commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction au Québec montre que des fraudeurs potentiels identifiés y sont pourtant maintenus au centre des décisions politiques.
En fait, le rapport dresse une série de constats lapidaires au sujet de l’inefficacité des activités de surveillance et de contrôle de la corruption dans les ministères et les organismes publics. La commission présente une liste exhaustive des causes de cette situation. Elle a montré le manque d’intégrité dans l’octroi des contrats publics et l’infiltration du crime organisé dans l’industrie de la construction. De multiples violations des règlements qui régissent cette industrie ont été identifiées. Une gouvernance défaillante a aussi été relevée dans plusieurs ministères provinciaux. On y voyait du laxisme institutionnel et une sous-utilisation des pouvoirs d’enquête et de vérification. Plus spécifiquement, ce rapport a montré que le ministère des Transports du Québec ne possède ni les ressources ni l’expertise pour faire des enquêtes sur des cas de collusion ou de corruption.

Au niveau politique, même s’il avait été informé d’allégations de stratagèmes de prête-noms, le directeur général des élections du Québec n’a pas assumé adéquatement son rôle d’enquêteur et n’a pas pris de mesures suffisantes pour les contrer. L’ordre professionnel des ingénieurs, dont de nombreux membres ont été visés dans l’enquête, a aussi consacré peu d’efforts à la prévention et à la détection de pratiques frauduleuses. Selon la commissaire France Charbonneau, la faiblesse des actions posées par ces organismes a créé un climat d’impunité. Les corporations, les ordres professionnels, les unions municipales, le directeur général des élections et différents ministères sont directement mis en cause. C’est la faillite des chiens de garde de l’intégrité au Québec. Fait encore plus troublant, aucun des politiciens mentionnés dans les témoignages au sujet de fraudes n’a fait l’objet d’un blâme.

Cette commission qui a coûté 44 millions n’a en effet blâmé personne pour les situations frauduleuses qu’elle a mises au grand jour. En ne le faisant pas, elle a montré aux observateurs de la vie politique québécoise que malgré le défilé de magouilleurs et de témoins de mauvaise foi qui y ont été vus, les systèmes de collusion et de corruption n’ont en aucun cas été ébranlés. Les firmes de génie qui ont été dénoncées par plusieurs témoignages de cette commission sont d’ailleurs de retour sur la scène provinciale et font encore des affaires avec le gouvernement. Il n’y a donc pas à se surprendre que la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, ait affirmé le 27 novembre que la gestion des contrats informatiques par les gestionnaires québécois est catastrophique.

Le dénonciateur Ken Peirera, qui a mis à jour certaines méthodes frauduleuses des syndicats pendant cette commission, a rappelé il y a quelques jours que plusieurs gros noms qu’il avait mentionnés sont toujours en poste. La plupart des entreprises impliquées dans les scandales continuent d’ailleurs à faire des affaires au Québec. Si plus personne ne peut aujourd’hui nier que le Québec ait un grave problème de corruption, selon le rapport Charbonneau, ce n’est la faute à personne en particulier. C’est le « système » qui est comme ça.

Comme pour montrer que plus ça change, plus c’est pareil, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée vient d’annoncer qu’il y aura une coupe de 40 % de l’effectif au nouveau bureau qui enquête sur la grande criminalité au sein du DPCP et une réduction du nombre de procureurs dédiés. La fusion des trois bureaux spécialisés en matière de lutte contre la corruption aura des impacts réels sur la priorité donnée aux dossiers de grande criminalité. Le nombre de procureurs spécifiquement dédiés à temps plein à ce type de dossiers devrait passer de 110 à 60. L’obsession des libéraux pour l’austérité commence de plus en plus à ressembler à une attaque sur ceux qui sont chargés d’empêcher la corruption.

Cette situation peut donc être reliée aux fondements mêmes du système politique au Québec. Ce sont les politiciens qui y nomment les plus hauts représentants du pouvoir juridique. Selon la doctrine démocratique, le pouvoir judiciaire devrait être totalement séparé du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Ce n’est pas le cas au Québec ou tout finit dans les mains de quelques politiciens. Quand le parti libéral au pouvoir a battu il y a quelques jours une motion déposée par le parti québécois qui suggérait que le patron de l’UPAC soit nommé par les deux tiers de l’assemblée nationale, il montrait qu’il tenait à garder le contrôle du législatif sur le pouvoir judiciaire. Si en démocratie, le peuple gère le peuple pour le peuple, au Québec, le gouvernement gère le peuple pour ses amis.

Il y a plusieurs exemples de cette situation. Le fait que le chef de l’Unité permanente anticorruption, Robert Lafrenière, ait été nommé par le gouvernement Charest en 2011 portes-ombrage à ses réalisations. Quand on regarde ses résultats, on peut voir qu’ils ont majoritairement été au niveau municipal. En fait, le gros de ses actions n’a été réalisé que dans des municipalités comme Laval, Boisbriand et Mascouche. Les ministères comme celui des transports dénoncés par la commission Charbonneau ont été épargnés. Et que penser du ministère de la Justice du Québec dont les procureurs de la Couronne du Directeur des poursuites criminelles et pénales n’ont pas initié de poursuites criminelles malgré les perquisitions chez des entreprises liées à des membres influents du PLQ ?

De plus, le Québec qui affirme que toutes ces compressions dans les bureaux spécialisés en matière de lutte contre la corruption sont pour économiser de l’argent a décidé de mettre un milliard de dollars américains dans Bombardier pour créer des emplois. Or cette compagnie qui a des libéraux notables sur son conseil d’administration parle maintenant de délocaliser ces mêmes emplois au Mexique.

Le constat de la commission Charbonneau va dans le même sens que ce qu’on peut déduire de ces récents événements. Des dirigeants politiques ont juré n’avoir rien « vu » du détournement de fonds public qui se déroulait pourtant sous leurs yeux. Leurs partis politiques ont de plus pratiqué un financement illégal auprès de firmes privées qui leur donnaient de l’argent au moyen de prête-noms. Pour récolter illégalement des fonds, ils ont donné une partie du bien public à des amis, une double trahison de la société. Une situation que des journalistes ont considérée comme un détournement des fonds publics et de la démocratie elle-même. Le rapport Charbonneau n’est que la preuve que cette situation ne peut pas être actuellement endiguée puisque plusieurs des politiciens nommés dans ce rapport sont encore au pouvoir. C’est le renard qui gère le poulailler et nourrit les chiens de garde au Québec.

Michel Gourd

Résident de L’Ascension de Matapédia.

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