Édition du 26 mars 2024

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Environnement

Relance des petites centrales : Le gouvernement Couillard déroule un tapis rouge suspect

L’insistance du gouvernement Couillard à vouloir relancer coûte que coûte, en période de surplus énergétiques et de coupures budgétaires, un programme de construction de petites centrales hydroélectriques déficitaires qui va à l’encontre des recommandations contenues dans le récent rapport de consultation sur l’avenir énergétique du Québec, et qui comprend des partenaires étant pour la très grande majorité directement ou indirectement liés à des activités répréhensibles, justifie l’alarme que lance la Fondation Rivières dans ce dossier.

Historique

La Fondation Rivières souligne qu’il fut établi dès 1995 que la majorité des promoteurs ayant obtenu des contrats de production d’électricité avec Hydro-Québec avaient contribué à la caisse électorale du Parti libéral du Québec[1]. On comprend davantage aujourd’hui les rouages qui accompagnent ces activités de financement politique. Ce premier programme fut arrêté suite au déclenchement d’une commission d’enquête publique, la Commission Doyon.

En 2002, devant un tollé de protestations, le gouvernement Landry a annulé la quasi-totalité d’un second programme afin de préserver 36 chutes menacées de disparition. Seulement une seule centrale fut réalisée sur la rivière Magpie, malgré une imposante opposition de la population. Cette centrale, tout de même autorisée par le gouvernement Charest, occasionne actuellement une perte d’environ 7 M$ par année à Hydro-Québec.

Le 3e programme prévoyait la construction de 13 centrales. Cinq furent construites, dont celle de Val-Jalbert qui occasionnera des pertes annuelles de 5 M$, deux projets furent abandonnés et six projets annulés.

Aujourd’hui

Ce sont ces six projets[2] que le gouvernement libéral veut maintenant relancer, peu importe le prix. Nous estimons à plus de 610 M$ sur 20 ans les pertes que subirait Hydro-Québec si ces six projets étaient réalisés. La valeur actualisée correspondante est de 448 M$.

La Fondation Rivières a écrit au ministre des Finances le 27 mai dernier afin de signaler cette situation[3]. Ce montant est basé sur la production de 0,4 TWh d’électricité au coût de moyen de 12 cents/kWh en 2014 pour la livrer au client ultime, incluant les frais de transport, de distribution et d’équilibrage, et un prix de vente moyen de 6 cents/KWh, que ce soit au Québec ou à l’exportation. Soulignons aussi que, compte tenu que ce type de centrale au fil de l’eau produit peu en hiver alors que nos besoins sont au maximum notamment pour le chauffage, l’électricité provenant de telles centrales a très peu d’intérêt pour Hydro-Québec.

Les six chutes ainsi menacées à court terme sont situées sur les rivières Mistassini (11e chute à Girardville), Jacques-Cartier (Shannon), Sault-aux-Cochons (deux projets à Forestville), Sainte-Anne-du-Nord (Saint-Joachim) et Manouane. Pour tous ces projets, les impacts négatifs sur l’environnement ainsi que sur l’industrie récréotouristique seront importants.

Saint-Joachim, Franquelin, Sheldrake : des projets privés illicites

Le Groupe AXOR a obtenu trois des 13 contrats octroyés par Hydro-Québec dans le cadre du programme de petites centrales.

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement a étudié leur dernier projet situé à Saint-Joachim et a constaté que le montage de partenariat public-privé avec la Municipalité et la MRC ne respectait pas une exigence du programme d’achat d’électricité concernant le contrôle de la Société :

« Même si la MRC de la Côte-de-Beaupré et la municipalité de Saint-Joachim détiennent 51 % des actions avec droit de vote de la Société Hydro-Canyon Saint-Joachim Inc., la commission d’enquête est d’avis que le projet n’est pas de facto sous le contrôle total de la communauté puisque les décisions importantes seraient assujetties à l’approbation de 85 % ou plus des voix. L’accord du partenaire privé devient indispensable » lit-on à la page 28 du rapport.

Or, le programme gouvernemental de petites centrales de 2010 exigeait que de tels projets soient sous le contrôle des communautés locales. Comme la structure de propriété et de décision de la Société ne respecterait pas cette obligation, on peut questionner la légitimité de la promesse d’attribution des droits hydrauliques faite par le ministère des Ressources naturelles pour les deux autres projets similaires du Groupe AXOR sur les rivières Franquelin (BAPE en août 2008) et Sheldrake (BAPE en septembre 2009). Les sociétés y ont des structures financières et décisionnelles similaires, dont l’élaboration a été faite AVANT MÊME l’appel d’offres d’Hydro-Québec Distribution en 2010 !

En fait, ces trois projets sont similaires aux projets privés des années 90 qui ont fait l’objet de l’enquête de la Commission Doyon. Le rapport du BAPE reprend d’ailleurs une des recommandations Doyon demandant au ministère des Ressources naturelles et à Hydro-Québec de quantifier les réelles retombées économiques que de tels projets sont sensés procurer à la communauté.

L’heure est donc venue d’y donner suite.

Les clients d’Hydro-Québec auraient à payer la note

Les commissaires du BAPE ont confirmé que les bénéfices devant être versés au promoteur et à la communauté seraient en réalité assumés par l’ensemble des clients d’Hydro-Québec, puisque la facture se répercuterait sur les tarifs d’électricité des consommateurs.

Le contexte énergétique actuel est totalement différent de celui qui était prévu entre 2006 et 2009 lors de l’ébauche du Programme d’achat d’électricité par Hydro-Québec. La Fondation Rivières estime que le projet d’Hydro-Canyon Saint-Joachim pourrait engendrer des pertes de 5,6 M$ par année, soit 88 M$ (valeur actualisée) sur 20 ans pour Hydro-Québec Distribution.

Vers un 4e programme

La promesse faite par M. Couillard, lors de la campagne électorale, de considérer tout projet de petite centrale ne tient aucunement compte des recommandations issues de la récente Commission sur les enjeux énergétiques, ni d’une saine rigueur dans la gestion des fonds publics, ni des nombreux constats d’irrégularités dans les dossiers traités à ce jour. Plusieurs médias ont d’ailleurs critiqué sévèrement cette décision, notamment sur le plan économique.

Ainsi, le gouvernement veut aller de l’avant sans une politique énergétique qui devrait normalement découler des recommandations issues de ce rapport, et sans adopter une nouvelle stratégie énergétique prévue pour 2015.

En ce qui concerne les irrégularités, citons le dossier de Shannon pour lequel un rapport du ministère des Affaires municipales a blâmé la municipalité pour avoir attribué de nombreux contrats à la firme BPR sans procéder à des appels d’offres conformes. Une situation similaire s’est produite dans le dossier de Val-Jalbert, où des contrats ont été accordés sans appel d’offres et sans divulgation publique des contrats. Le Ministère des Affaires municipales a enquêté, fait rapport et exigé des correctifs. Tous les dossiers étudiés comportent de telles irrégularités.

Renouvellement de contrats coûteux et secrets

Quelques 58 contrats entre des promoteurs privés et Hydro-Québec viennent à échéance et seraient renouvelés pour 20 ans à des conditions inconnues. Les informations demandées par la Fondation Rivières concernant les montants payés et les conditions de renouvellement ont été refusées par Hydro-Québec[4]. Pourtant les premiers contrats des années 90 étaient publics et nous en avons obtenu des dizaines.

La Fondation Rivières estime qu’il en coûtera 1,8 milliard de dollars en pertes pour les 64 contrats signés[5] (58 anciens + 6 récents). S’il veut faire preuve de « transparence » et de « rigueur » économique, le gouvernement Couillard doit revoir ces contrats, analyser la pertinence de ne pas les reconduire et considérer les dommages environnementaux qu’ils peuvent occasionner.

Notes  

[1] Le Soleil, Des petits barrages bien rouges, Pierre Asselin, le 31 mai 1995

[2] Fondation Rivières, Tableau des projets annulés en février 2013

[3] Fondation Rivières, lettre au ministre des Finances Carlos Leitao, le 27 mai 2014

[4] Hydro-Québec, Demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, Stella Leney, le 2 avril 2014

[5] Fondation Rivières, Communiqué, le 22 février 2013

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