Édition du 16 avril 2024

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Opinion

Réponse au texte d’Annie Vézina sur la politique familiale féministe

Bien que je partage votre avis sur la nécessité de reconnaître le travail non rémunéré (soin aux enfants, personnes âgées et personnes malades, cuisine, entretien ménager, etc.) accompli principalement par les femmes, je m’oppose à la division sexuelle du travail, l’un des fondements du patriarcat. C’est pourquoi la proposition de l’ADQ me déplaît. Elle est non seulement individualiste et se fait aux dépens du soutien au réseau public des CPE, mais elle renforce la division sexuelle du travail en visant à garder des femmes à la maison. (Voir le texte La gauche féministe et la famille.)

Aussi, je doute de votre affirmation selon laquelle les temps ayant changé, certains parents (les femmes en majorité) choisissent de rester à la maison pour s’occuper des enfants. Si les temps ont vraiment changé, pourquoi est-ce encore majoritairement des femmes ?

Le soutien promis par l’ADQ est loin de constituer une reconnaissance réelle du travail accompli. 5200 $ par année signifie 2,80 $ de l’heure, si on compte une semaine de travail de 35 heures, ce qui, on en conviendra, est loin de la réalité. En plus d’être au moins trois fois inférieure au salaire minimum, cette prestation n’inclut pas de vacances payées, aucun avantage social et aucun fonds de retraite. J’ignore quel est le salaire d’une éducatrice en CPE mais je soupçonne qu’il est de beaucoup supérieur. Dumont propose donc d’utiliser les femmes comme main d’œuvre presque gratuite afin de réduire les dépenses de l’État. De plus, comme il est impossible de vivre avec 5200 $ par année, ce travail place les femmes en position de dépendance économique envers leur conjoint, ce qui nuit à leur autonomie réelle et à leurs droits politiques, sociaux et sexuels. Cela les place aussi en position de vulnérabilité face à la violence conjugale. Quel homme accepterait de pareilles conditions de travail ?

Comme l’a dénoncé Josée Simard dans un article sur ce site, la politique familiale de l’ADQ est avant tout basée sur une vision de la famille traditionnelle (excluant les familles monoparentales, soit une grande partie des familles). C’est une davantage une politique nataliste et patriarcale qu’une politique familiale. Le bébé bonus ne fait que trop penser aux curés d’antan ou aux régimes fascistes qui demandaient aux femmes de faire des enfants pour la nation.

Une politique familiale féministe de gauche doit permettre, selon moi, aux femmes et aux hommes de concilier la famille avec le travail et non amener les femmes à renoncer au travail pour la famille. Elle doit répondre aux besoins des familles et non tenter de stimuler la natalité. En ce sens, comme vous l’évoquiez, la proposition du 4 jours de travail par semaine sur demande de l’employéE était intéressante. Une politique familiale féministe de gauche devrait être composée d’une série de mesures sociales et collectives dont un meilleur financement aux CPE, des mesures d’accommodement avec le travail, des allocations familiales et pensions alimentaires non coupées des prêts et bourses et de l’aide sociale, et des services collectifs destinés aux familles. Il faut donc mettre des conditions en place telles qu’elles constituent un soutien pour les familles et favorisent un véritable choix de l’emploi salarié ou non pour les parents d’enfants en bas âge (principalement les mères, on le sait).

Pour ce faire, il convient aussi d’avoir une vision holistique car une politique familiale ne gauche ne peut se dissocier des autres luttes sociales. On sait que les femmes gagnent au Québec 70 % du salaire des hommes et qu’elles sont majoritaires à travailler au salaire minimum, dans les emplois précaires, sous-payés et non-syndiqués. Augmenter le salaire minimum et améliorer les conditions de ces emplois seraient des façon indirectes d’aider les familles. Plusieurs familles sont monoparentales et ont des femmes comme principal soutien. Pour les familles biparentales, ces mêmes mesures sont tout aussi intéressantes, permettant plus d’égalité en leur sein. Si les salaires étaient égaux dans les couples, peut-être que celui de la mère ne serait pas le premier à être coupé, si le choix était fait qu’un parent demeure à la maison. Il en est de même pour la syndicalisation, les syndicats pouvant être des alliés pour demander des mesures d’accommodement familial au travail.

Il faut aussi changer les rapports sociaux de sexes, ce qui inclut revoir l’idée que l’éducation et le soin des enfants soient avant tout la responsabilité des mères. Si toutes ces conditions étaient réunies, nous pourrions peut-être alors parler d’un vrai choix. Dans ce cas, si l’un des deux parents fait le choix de rester à la maison, des mesures de soutien adéquates, dont un vrai salaire et des conditions qui n’amputent pas l’autonomie ni la retraite des personnes devront être envisagées.

Mots-clés : Opinion Québec

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