Édition du 16 avril 2024

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Laïcité

S’accaparer l’espace public

Je voulais répondre à l’article du 4 septembre « Sortir la religion de l’espace public » écrit par Francis Lagacé. La revendication du pasteur Brinton de donner aux salariés des pauses pour pouvoir exercer leur religion est pour moi une revendication légitime.

En effet, depuis quelques décennies, les citoyens occidentaux et plus particulièrement les salariés ont vu leur temps de travail s’accroître. Les obligations du monde moderne font en sorte que l’individu se voit dépossédé de plus en plus de son temps. Le travail, les obligations familiales et la consommation font en sorte que l’individu se retrouve à crouler sous la pression. Il en résulte une lutte de l’individu pour reprendre le pouvoir sur sa vie ou, au minimum, sur une partie de sa vie.

Au milieu du XXe siècle, les travailleurs se battaient dans leurs syndicats pour diminuer leur temps de travail. Gagner des congés fériés, la semaine de 35 heures ou des pauses durant la journée étaient des objectifs soutenues par les organisations syndicales.

Parallèlement à ces luttes, des organisations citoyennes se battaient pour l’instauration de services publics qui permettaient à la population d’économiser au dépend des mieux nantis. Ce qui permettait aux travailleurs de récupérer encore plus de temps libres. On avait alors comme objectif la société des loisirs où chacun serait libre d’utiliser son temps comme bon lui semble.

Malheureusement, le renversement du rapport de force entre les travailleurs et leurs patrons et, plus largement, le renversement du rapport de force entre les citoyens et les classes les mieux nantis de la société qui a commencé dans les années ’80 et qui continue encore aujourd’hui a fait en sorte que les organisations syndicales et citoyennes ont perdu beaucoup de leur pouvoir, de leur crédibilité et de leur ascendant moral.

À cause de cette perte de crédibilité des organisations syndicales et citoyennes, certains travailleurs ont décidé de s’impliquer dans des groupes religieux qui gardaient, dans leur esprit, un certain ascendant moral. C’est pourquoi les luttes pour l’augmentation des temps libres des travailleurs ont été récupérées par ces organisations religieuses.

Il en a résulté une forme de négociation parallèle des conditions de travail où le texte de loi basant les négociations n’était plus la convention collective, mais plutôt la charte des droits et libertés et où les intérêts des travailleurs étaient défendus non plus par les syndicats, mais par des groupes religieux. Cette situation fait en sorte que les travailleurs laïques, qui ont perdu une bonne partie de leur pouvoir de négociation face à l’employeur, se considèrent lésés par les travailleurs pratiquants qui ont gardé un peu plus de pouvoir de négociation qu’eux.

Plutôt que de critiquer le fait que certains travailleurs demandent plus de temps libres pour pouvoir se consacrer à leurs activités religieuses, il faut plutôt pousser pour que tous les travailleurs puissent bénéficier de plus de temps libres pour pouvoir l’utiliser aux activités qu’ils trouvent pertinentes, prière ou autres.

Il faut aussi, en tant que progressistes et en tant que laïques, critiquer les élites qui décident volontairement de diviser les travailleurs en groupes basés sur la religion. Ces discriminations basées sur la religion ont comme premier objectif de casser les solidarités qui peuvent se créer entre les salariés.

Plutôt que de demander à ce que les personnes arrêtent de pratiquer leur religion pour travailler, il faudrait plutôt revendiquer de moins travailler pour avoir le temps d’agir selon ses convictions personnelles, qu’elles soient religieuses ou non.

Mots-clés : Laïcité

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