Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Démocratie

Seuls les démocrates sauveront le monde

Notre démocratie repose sur deux principes distincts et complémentaires : le système libéral, constitué de l’État de droit, des droits de l’homme, du respect des libertés individuelles et la tradition démocrate basée sur l’égalité et la souveraineté populaire. Ces deux principes ont été élaborés pour qu’aucun ne puisse se substituer à l’autre sans risquer de briser l’équilibre qui nous relie tous. Cependant, au fil des décennies, notre société a adopté une position tellement consensuelle à l’égard des valeurs libérales qu’elle a déserté la parole politique et toute idée d’appropriation du pouvoir d’État. La gauche comme la droite, engagées à leur manière dans des groupes d’intérêts à la pièce, se contentent de la paix sociale et des avantages que leur offrent les partis centristes qui se succèdent aux quatre ans. Comme si nous ne comprenions plus l’importance de la dimension institutionnelle et démocratique de l’action civile.

Critique de la révolution tranquille

Avec un peu de recul, je perçois que les Beatniks, la génération de la Révolution tranquille et celles qui lui ont succédé ont progressivement perdu parfois bien malgré elles, leur culture propre, ont fui leurs régions natales et, par le fait même, démantelé de grands pans de l’économie intérieure du pays au nom de la modernité et de la soif de progrès. Nous avons cru en cette fausse bonne idée de création et de croissance infinie dans l’espoir d’un monde meilleur. Toutefois selon A. de Tocqueville, un peuple qui n’exerce pas ses propres choix, ancré dans sa réalité, risque de perdre le contrôle de sa destinée et s’expose dangereusement aux intérêts extérieurs et centralisateurs. Aussi se coupe-t-il de la sensibilité de ses forces vives et de ses aspirations légitimes.1 Comment une société peut-elle faire l’éloge de la contre-culture et en même temps, tourner le dos à la mer, à la forêt, à la terre et à tout ce qu’elle représente ? Ce faisant, elle nie son histoire, son territoire et comment peut-elle affronter l’avenir avec un minimum de recul et de réalisme ? En fait, le Refus globale fut si total, que dans un excessif délire d’ouverture au monde et à la liberté individuelle, nous avons évacué dans l’indifférence toute forme constituée de canaux démocratiques, pour nous retirer dans la sphère du privé. Du coup nous avons oublié l’argumentaire des rapports de pouvoir démocratique.

2Si les marginalisés et la classe moyenne ne sont plus prêts à s’imposer à la classe dirigeante afin de créer une opposition frontale au néo-libéralisme, c’est que le sens commun s’est perdu quelque part. Le gouvernement du peuple est donc devenu, lentement mais sûrement, une entreprise de service et un arbitre entre factions concourantes. De là, l’essor grand V des mouvements sociaux fondamentalistes de la gauche comme de la droite populiste. Cette nouvelle forme d’identification et du rapport entre nous compromet le lien civique et le sens même de la citoyenneté. La « bonne conscience » dont s’arment les activistes, reprise par les grandes corporations qui disent laver plus blanc que blanc, n’explique et ne solutionne strictement rien, car elle ne nous aide pas à cheminer et à négocier entre nous. En judiciarisant nos inégalités par décrets et en imposant de nouvelles normes au nom de la sécurité publique, l’écosystème libéral ne permet pas à la population de faire partie du processus décisionnel.

C’est toutefois dans l’exercice réel de la démocratie, en expérimentant collectivement ses propres choix que le citoyen se forme avec toute la conscience de ce qu’est la liberté, l’égalité et la fraternité. 3C’est le chemin parcouru qui importe. En se cantonnant exclusivement à l’espace que l’élite libérale leur concède, les mouvements sociaux réussissent à gagner et à retirer quelques droits, mais ne font que creuser le fossé de l’intolérance, de la ségrégation et de la division sociale. L’important est de décider d’entreprendre ensemble une démarche commune pour apprendre à se comprendre. Croire que les maux disparaîtront entre la majorité silencieuse, la dictature des minorités et le populisme de droite est illusoire. Mais poursuivre dans la voie unique du libéralisme culturel et économique est dans les faits un réel refus de l’idéal démocratique et du sens commun.

Populisme ou populace ?

Comment se fait-il que la plupart des personnalités publiques traitent de populiste toute tentative de souveraineté populaire ? Dans ce refus du débat avec l’autre, toutes les classes populaires, évaluées déviantes aux valeurs libérales, sont confinées aux strictes limites du lobbying, à la marginalité. 4De fait, en excluant les perdants de la mondialisation, l’espace public est réservé aux experts, aux bienpensants et aux moralistes. Au final, cette situation réinstaure une certaine loi du silence et la négation de la diversité politique. Ne nous étonnons pas des faibles taux de participation aux élections. Il est fréquent d’entendre des médias nationaux dire que le danger provient de la culture archaïque des classes populaires peu éduquées de l’arrière-pays ou de pays arriérés… Le danger est incarné par la population elle-même, le peuple, la populace. Non mais… selon moi le réel danger provient de l’actuelle concentration du pouvoir politique et économique, et non pas des pêcheurs et des soudeurs de la Gaspésie, d’Haïti ou de Wemindji.5

Les démocrates, s’il en reste, car il y a un inquiétant silence radio, devront proposer à la population Québécoise des mécanismes décisionnels beaucoup plus performants pour contrer et proposer des projets de loi aux différents paliers gouvernementaux et créer un réel contre-pouvoir. Car l’élite néo-libérale n’a ni la capacité ni même la volonté de solutionner les immenses problèmes auxquelles nous sommes confrontés. Il est temps de constituer une réelle démocratie dans le respect des droits et libertés et de refuser ce système unique qui parle de gouvernance mondiale et de participation bidon. 6Cela existe depuis 1849, cela est possible et cela s’appelle la démocratie semi-directe.

Les solutions ne proviendront pas uniquement d’en haut, mais bien de nous tous, aux ras des pâquerettes.

Luc Bélanger
23/11/2017

Notes
1. - Zénon Bélanger
2.Michel Freitag
3.Socrate
4.Chantal Mouffe

Mots-clés : Démocratie

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