Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

À propos de l’unité des indépendantistes

Sol Zanetti pose les bonnes questions, mais apporte des réponses décevantes

Sol Zanetti, dans le deuxième volet de son article, "Pourquoi les indépendantistes ne votent-ils pas tous pour le même parti ? (2/2)" [1], pose la question essentielle de l’unité des indépendantistes pour assurer la victoire de l’indépendance du Québec. C’est en effet une question stratégique incontournable à laquelle doivent répondre les indépendantistes du Québec. Mais la réponse apportée par Sol Zanetti s’avère particulièrement décevante, car il évite de tirer le bilan des réponses qui ont été apportées durant les dernières décennies et de prendre en compte la réalité complexe de la société québécoise et ses dynamiques de transformation.

La réponse de Sol Zanetti, c’est que les indépendantistes pourront se rassembler en faisant abstraction de tout projet social. Alors les grands banquiers oeuvrant au Québec, les administrateurs des multinationales des secteurs des ressources et du secteur manufacturier, les professionnel-le-s de tous milieux, les travailleurs et les travailleuses du secteur public et du secteur privé, les personnes assistées sociales, les étudiantEs, de toute allégeance pourraient faire abstraction de leurs intérêts de classe pour, comme des hommes et des femmes sans qualités sociales particulières apparaître comme de purs indépendantistes. Il n’en est rien.

L’histoire du Parti québécois en est l’amère illustration. La direction de ce parti a, le plus souvent, préféré l’administration du pouvoir provincial à la lutte pour l’indépendance du Québec. Les différents gouvernements péquistes ont, à plusieurs reprises, en s’attaquant sur le terrain social à sa base sociale et électorale, affaibli le bloc social qu’ils avaient construit. L’administration péquiste de 1994 à 2003 s’est attaquée aux travailleurs et aux travailleuses du secteur public, au nom du déficit zéro. Des coupes sombres ont été faites en éducation et en santé. Le gouvernement péquiste a alors favorisé la déréglementation des secteurs forestier et agricole. Il a baissé les redevances minières. Est-ce que ces politiques ont favorisé le renforcement du soutien à l’indépendance du Québec ? En aucune façon. Au contraire, elles ont permis le retour du Parti libéral du Québec au pouvoir en 2003. Les Québécois et les Québécoises se sont dits que de tels souverainistes ne préparaient rien de bon pour la majorité du peuple du Québec.

Plus grave encore, le Parti québécois a fait la preuve que l’indépendance n’était pas dans ses priorités. C’est pourquoi, la gauche sociale s’est détachée de ce parti et que la gauche politique indépendantiste a connu un processus d’unification, pour commencer à poser une alternative à un parti qui avait bel et bien abandonné la lutte. N‘est-ce pas à partir du même constat que des indépendantistes ont quitté le PQ pour fonder Option nationale ?

Pourquoi Sol Zanetti essaie-t-il d’opposer projet démocratique et projet de gauche ?

Québec solidaire veut un Québec indépendant. Il ne fait pas de son projet de société une condition de son soutien à l’indépendance. Mais Québec solidaire comprend qu’un des ressorts les plus puissants pour convaincre la majorité populaire de s’engager dans le combat indépendantiste est de lier l’émancipation nationale à un projet de société construit pour la majorité de la population. Il comprend qu’il faut dépasser une démocratie qui laisse aux mains d’une minorité possédante l’essentiel du pouvoir de décision sur les grands choix économiques et sociaux que doit faire la société québécoise. Il a compris que cette aspiration à l’indépendance sera renforcée si elle se combine avec l’aspiration à changer la vie, à reprendre en main notre sort commun et à étendre les pouvoirs démocratiques de la population.

Aujourd’hui, le gouvernement Marois utilise la perspective de l’indépendance comme un miroir aux alouettes pour maintenir son ascendant sur certains indépendantistes alors qu’il prend des engagements qui contribuent au renforcement de notre dépendance nationale au gouvernement fédéral : soutien au libre-échange nord-américain, soutien au passage d’oléoducs albertains sur le territoire québécois, soutien au libre-échange avec l’Europe, qui vise à troquer l’ouverture de nos services publics aux grandes entreprises européennes pour l’ouverture du marché de l’Union européenne au pétrole canadien. La phraséologie indépendantiste du PQ, dans un tel contexte de capitulation nationale, ne coûte sans doute pas cher, si elle permet de faire croire à des Sol Zanetti que le Parti québécois de Pauline Marois s’inscrit encore dans le combat indépendantiste, un combat qui implique un refus radical de toute domination canadienne, américaine ou européenne sur notre vie nationale.

Si l’indépendantisme de Québec solidaire est conséquent, c’est qu’il refuse les basses manoeuvres de la composante nationaliste de la bourgeoisie québécoise incapable d’affronter la domination fédérale, toujours prête aux compromis et aux reculs successifs, parce qu’effrayée à la perspective de créer les conditions d’un tel affrontement, la mobilisation populaire la plus large en défense de ses propres intérêts. C’est pourquoi, il est absurde de rejeter dos à dos, un projet de droite et un projet de gauche. Car le projet de la droite, est d’une part, celui des élites qui soutiennent très majoritairement le fédéralisme canadien, et d’autre part celui du secteur nationaliste de la bourgeoisie québécoise, très minoritaire il est vrai, mais qui a démontré son caractère velléitaire et son incapacité d’engager un combat conséquent contre le fédéralisme canadien et de le mener jusqu’au bout.

Le projet de la gauche, c’est le projet de la classe des salariéEs qui constituent la vaste majorité de la population québécoise. C’est le projet du 99% contre le 1% des accapareurs. C’est le projet de la démocratie authentique contre un projet de ceux et celles qui utilisent leur passage au pouvoir pour se donner un mandat en blanc afin de mousser leurs propres intérêts de classe.

La bataille politique pour une nouvelle société ne passera pas à côté de la lutte des partis.

Le Parti libéral du Québec est directement inféodé aux élites fédéralistes branchées sur la classe dominante et vouées à la défense de leurs intérêts. Que par son action politique, le PLQ puisse s’associer des secteurs les moins organisés et les plus vulnérables de la société québécoise ne change rien à la réalité de sa direction et à ses grandes orientations. Le Parti québécois s’est construit sur les aspirations nationales des Québécois-Es à l’indépendance. Il a su construire un bloc national regroupant de larges secteurs de la société. Mais il a toujours été dirigé par des élites dont le caractère dominant était la capacité à tergiverser et à remettre toujours à plus tard les combats essentiels. Québec solidaire vise à défendre la vaste majorité du peuple et s’identifie à ses combats partiels sur les terrains social et environnemental qui doivent culminer dans son combat essentiel pour la liberté, pour l’indépendance du Québec. Le peuple québécois est traversé par la lutte des partis.

Il est tout bonnement absurde de prétendre que "si QS parvenait à obtenir un gouvernement majoritaire avec sa plateforme actuelle et que le référendum que ses dirigeants promettent portait sur une constitution véritablement indépendantiste, le Québec qu’ils construiraient ne serait pas plus à gauche que celui que propose le PQ." Si Option Nationale faisait une avancée majeure, cela confirmerait que le soutien à l’indépendance se renforce. Si un parti écologiste comme Québec solidaire qui refuse de faire du Québec un État pétrolier élargit son audience, cela signifierait que le soutien à des positions écologistes s’enracine dans la société québécoise. Et, inversement, le renforcement d’un parti de gauche et indépendantiste sera possible si des mouvements sociaux qui portent ces mêmes valeurs deviennent plus importants et plus agissants permettant que des volontés de transformation de la société trouvent des moyens de s’exprimer. Il y a donc une dialectique complexe entre enracinement des partis, renforcement des mouvements sociaux et développement de la volonté de transformation de la société y compris la volonté de l’indépendance du Québec.

La constituante pourra ouvrir sur une transformation sociale et sur l’indépendance dans la mesure où la société québécoise aura su construire les mouvements sociaux et des partis politiques porteurs de ces volontés transformatrices. La souveraineté populaire qui s’exprimera dans une assemblée constituante sera d’autant plus importante qu’elle exprimera la volonté d’un peuple mobilisé, arcbouté à ses aspirations de prendre toute sa place dans la société et à ne pas laisser son avenir aux mains de l’oligarchie régnante.

Mais la négation de toute dynamique concrète devient absurde et pathétique lorsque Sol Zanetti écrit : "Même avec 125 députés écologistes au Parlement Québécois, nous ne pourrions pas légalement empêcher les pipelines de sillonner notre territoire et menacer nos rivières." S’il y a 125 députéEs écologistes élus, c’est que le niveau de conscience sur ces questions aurait fait un bond extraordinaire parmi la population. Plus, c’est que les mouvements écologistes auraient connu un enracinement prodigieux parmi la majorité de la population. Il serait possible de bloquer la construction de ces pipelines, car la population serait prête à se mobiliser sur ces questions y compris dans l’action directe.

Sol Zanetti opère une coupure totale entre l’avancée électorale d’un parti et les capacités de mobilisation de la population en défense des intérêts du plus grand nombre, en défense du bien commun... Cela révèle bien d’un aveuglement sur les dynamiques sociales qui pourraient conduire à la reprise en main par la majorité de son destin national. Et pour ce qui est des moyens financiers nécessaires pour compenser les coupes du fédéral, pour réaliser la transition énergétique, pour construire un pays, nous ne pourrons les acquérir que par la socialisation des banques et le contrôle populaire sur ses instruments financiers.

L’indépendance nationale, seule une majorité populaire mobilisée peut parvenir à réaliser cette aspiration.

L’accumulation d’angles morts dans la vision politique de Sol Zanetti l’amène enfin à opposer projet national à un projet de classe sociale. S’il est nécessaire de réaliser une vaste alliance contre la domination du fédéralisme canadien, il faut identifier clairement les forces sociales capables de mener ce combat jusqu’au bout. Les travailleurs, les travailleuses, les couches populaires, les classes moyennes, les minorités ethniques, les jeunes forment une vaste majorité de la population du Québec. C’est le vaste front national et populaire qu’il faut construire qui permettra de réaliser l’unité agissante des indépendantistes.

Sol Zanetti reproche à Amir Khadir d’exprimer clairement ce qui fait la faiblesse du Parti québécois et des gouvernements issus de ses rangs, soit l’incapacité à affronter les milieux d’affaires. Les reculs sur la taxe santé, sur la réforme de la fiscalité, le tournant du Québec vers le pétrole sont autant d’exemples de cette incapacité. Aujourd’hui, il parle d’indépendance comme une perspective lointaine... À chaque fois qu’il s’est approché de ce combat, il a lié la souveraineté du Québec à l’association ou au partenariat avec l’État canadien. Le PQ et le Bloc nous ont abreuvés de discours sur la possibilité d’une entente à l’amiable avec la bourgeoisie canadienne. Il ne faudrait pas l’oublier et en comprendre les fondements.

Oser affirmer que s’opposer aux milieux d’affaires est contre-productif, c’est ne pas comprendre le type d’alliance qu’il faut construire pour lutter pour l’indépendance du Québec. C’est confondre les ennemis avec les alliéEs. C’est surtout ne pas comprendre les fondements matériels de la faiblesse politique des secteurs nationalistes de la bourgeoisie québécoise.

Si le Québec connaît un grand nombre de PME, ce ne sont pas ces entreprises qui dominent le milieu des affaires. Ce sont les banques, les grandes entreprises d’exploitation minière ou forestière, ce sont les grandes entreprises manufacturières qui organisent et structurent l’économie du Québec. Les PME, souvent, travaillent, comme des sous-traitants de ces grandes entreprises. Il ne s’agit pas de tout étatiser, mais de comprendre que l’indépendance nationale, va passer par la réappropriation par la majorité de la population du contrôle de son économie, de ses banques, de ses grandes entreprises locales ou étrangères qui dominent notre pays. À l’époque actuelle, où la finance et les grands monopoles tentent de diminuer la souveraineté populaire des peuples au nom du libre-échange et de la mondialisation capitaliste, il faut moins que jamais croire en une alliance avec des secteurs des classes dominantes comme une voie royale vers l’indépendance.

Sol Zanetti a certainement le mérite d’indiquer les options stratégiques essentielles qui sont devant nous. Mais, malheureusement, les choix qu’il nous propose nous entraîneraient dans les voies d’une accumulation de défaites. C’est pourquoi il est crucial que ce type de débats se poursuivent entre indépendantistes.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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