Édition du 12 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Économie

Soustraire le secteur bancaire à l’irresponsabilité privée

tiré de la revue du CADTM, Liège 2018, 98 pages

En introduction, « Pour un changement de société, s’emparer de la question des banques », les auteurs et autrices expliquent pourquoi il nous faut nous emparer de la question des banques « dont les agissements ont un impact croissant sur nos existences, s’avère primordial pour un mouvement social soucieux de prendre le mal à la racine ». Elles et ils, iels abordent, entre autres, la responsabilité des banques privées dans le déclenchement des crises financières, l’opacité et la complexité de leur fonctionnement, leur rôle dans l’architecture socio-économique, le processus de déréglementation et de financiarisation de l’économie…

« Après avoir exposé dans la première partie les dysfonctionnements des banques et leur logique de court terme poussée jusqu’à l’aveuglement, le deuxième chapitre est consacré aux réflexions pour une transformation radicale des banques et évoquent les premières mobilisations qui posent les jalons d’une pensée et d’une action vers la socialisation du secteur bancaire ».

Quel est le rôle des banques privées ? Pourquoi les Etats devraient-ils avoir recours aux institutions financières privées ? Pourquoi la séparation entre les banques d’investissements et les banques de dépôts ou banques commerciales a-t-elle été supprimée ?…

Les auteurs et autrices présentent une petite histoire de la dérégulation du système bancaire. Iels abordent le virage néolibéral, « le virage néolibéral de la fin des années 70 a permis le détricotage du cadre qui limitait le pouvoir de la finance », leur puissance supérieure à bien des Etats, les nouveaux instruments financiers dont la titrisation, la nouvelle dépendance des Etats aux grandes banques internationales, la construction institutionnelle de cette dépendance (voir par exemple, pour la France, Benjamin Lemoine : L’ordre de la dette. Enquête sur les infortunes de l’Etat et la prospérité du marchéla-dette-de-marche-construit-son-ordre-politique-et-social-en-meme-temps-que-son-omnipotence/), la socialisation des pertes ou la prise en charge des risques privés finaux par les Etats, c’est-à-dire en fait par les citoyen·nes vialeurs impositions, les causes d’une crise financière qui a maintenant dix ans, l’endettement des banques et l’augmentation de la dette mondiale, les bulles spéculatives dont celle du secteur immobilier, les responsabilités des pouvoirs publics et des patrons des banques – les amendes payées pour échapper aux poursuites judiciaires, la construction de l’endettement privé, l’inventivité financières (dont les crédits structurés et les produits dérivés) -, les conséquences du sauvetage des banques, la réalité de l’endettement mondial, les causes de l’accroissement de la dette publique : le recouvrement insuffisant de l’impôt, les politiques privilégiant le financement des déficits publics par les marchés financiers, les politiques d’austérité, le coût du sauvetage des banques. « En conclusion : Entre 2008 et 2017, la dette publique a fortement augmenté en conséquence du coût des sauvetages bancaires et des politiques néolibérales d’austérité. Il est fondamental d’insister sur les causes et les responsabilités de l’augmentation de la dette publique. Car dans le futur, dans la bataille des idées, on assistera à une nouvelle offensive de la droite pour attribuer aux dépenses publiques la responsabilité de la crise ». Les conséquences de politiques actives et délibérées dont les responsables sont bien connus…
 
Il convient de lire ce que les capitalistes disent du capitalisme, et plus exactement, ce que les comptes de résultat et les bilans et les hors-bilans des banques peuvent faire apparaître, « L’insuffisance des fonds propres, la multiplication de produits spéculatifs, l’emballement de la titrisation, l’augmentation du volume des prêts non performants, le gonflement du hors-bilan, un ratio de levier sans relation avec la réalité des risques en sont autant d’exemples ». Les banquiers ont déployé une communication très fantasmatique avant la crise de 2008 (il en est de même aujourd’hui).

Patrick Saurin l’exprime de manière très imagée « Sentiment de toute puissance, narcissisme, déni de réalité : autant de traits qui nous éclairent sur la sordide réalité du monde de la finance ». Il ne faut pas s’y tromper, cette communication relève aussi de l’illusion et de la tromperie. Par ailleurs, les hedge funds et les volumes de capitaux gérés (2 000 milliards d’euros en 2008) – comme par ailleurs les sommes des Credit Default Swap (CDS) d’un montant supérieur à 62 000 milliards au sein des produits dérivés d’un montant de l’ordre 684 000 milliards de dollars en 2008 (soit 10 fois le PIB mondial) – sont une des formes prises par la mondialisation financiarisée. Et cela peut-être considéré aussi comme une des caractéristiques des politiques antisociales…
 
Une remarque avant le chapitre suivant. Comment accepter que la création monétaire soit du ressort de banques privées – c’est à dire de choix de gestion de personnes nommées par et pour les intérêts des actionnaires ?

Des politiques d’allocation de crédit, des choix de temporalités privilégiant le court-terme au terme plus long des besoins d’investissement, des réglementations qui n’en sont pas vraiment… le carcan doit-être brisé par la délibération démocratique et la construction de structures décisionnelles permettant la maitrise aux différents niveaux géographiques, local ou régional, national, continental…

C’est donc du coté d’une combinaison de modèles coopératifs et publics/socialisés qu’il faut regarder.

Les auteurs et autrices exposent des alternatives au modèle dominant, des déjà là en pointillés dans différents pays, des « mise en service et sous contrôle de la population » Iels abordent, entre autres, le refus des discours réduits au domaine comptable, les coûts pour la collectivité des sauvetages de certains établissements, les prêts toxiques qui ne sauraient être « une affaire classée » (voir par exemple, Patrick Saurin : La Cour des comptes et les emprunts toxiques. Entre euphémisation, déni et amnésie, la-cour-des-comptes-et-les-emprunts-toxiques-entre-euphemisation-deni-et-amnesie/ ; Les prêts toxiques. Une affaire d’État. Comment les banques financent les collectivités localesil-ny-a-pas-dobligation-absolue-et-inconditionnelle-a-rembourser-les-dettes-de-letat-des-collectivites-et-etablissements-publics/), des exemples historiques d’actions…

Dans le dernier chapitre, « Vers la socialisation du secteur bancaire », les auteurs et autrices proposent des objectifs : restructurer le secteur bancaire, éradiquer la spéculation, mettre fin au secret bancaire, réguler le secteur bancaire (je souligne, entre autres, la restauration de la responsabilité illimitée des grands actionnaires), financer autrement les dépenses publiques (dont, « le recours à l’emprunt public doit contribuer à une volonté redistributive afin de réduire les inégalités. C’est pourquoi le CADTM propose que les institutions financières, les grandes entreprises privées et les ménages riches soient contraints par voie légale d’acheter, pour un montant proportionnel à leur patrimoine et à leurs revenus, des obligations d’État à 0% d’intérêt et non indexées sur l’inflation, le reste de la population pourra acquérir de manière volontaire des obligations publiques qui garantiront un rendement réel positif (par exemple 3%) supérieur à l’inflation. Ainsi, si l’inflation annuelle s’élève à 3%, le taux d’intérêt effectivement payé par l’État pour l’année correspondante sera de 6% »), renforcer les banques publiques…

Iels expliquent la socialisation préconisée. Bilan des nationalisations passées, soustraire les citoyen·nes et les pouvoirs publics à l’emprise des marchés financiers, banques au service des citoyen·nes (dont un accès gratuit et universel) et des collectivités, soutien à la transition vers « une économie sociale, soutenable et écologique », construction du soutien et d’une intervention populaire…

Des arguments pour débattre, des propositions pour mobiliser autour de la dé-privation des banques et de la construction de solutions alternatives à ce monde où les conséquences de décisions privées sont assumées par toustes, à cette société de concurrence et de destruction.

En complément, deux remarques.

La socialisation des établissements bancaires doit comporter un versant résolument tourné vers la coopération internationale. Les grandes banques détiennent de multiples filiales et participations dans d’autres pays. Il ne saurait y avoir de socialisation ici sans que les populations de ces pays ne reprennent aussi le contrôle sur le système financier. La dimension internationale doit être abordée de front dans l’intérêt de toustes. Les filiales et les participations doivent être cédées – la plupart sans contrepartie – sans qu’elles puissent être réappropriées de manière privative, les coopérations doivent être recherchées en rompant avec les subordinations aux intérêts des grandes puissances, à commencer par celles de nos Etats.

Reste aussi à discuter la combinaison du contrôle et de l’autogestion. Ce qui pourrait relever (tant pour la gestion que pour la surveillance) des salarié·es des établissements bancaires et ce qui pourrait relever des usager·es et/ou des citoyen·nes organisées, sans oublier des modalités de gestion des conflits ou des tensions qui pourraient en résulter…
AVP n°75 – Les autres voix de la planète, http://www.cadtm.org/Pour-une-socialisation-des-banques  : Pour une socialisation des banques
1er trimestre 2018

La revue du CADTM, Liège 2018,98 pages, 5 euros
Didier Epsztajn

En complément nécéssaire :
Éric Toussaint : Bancocratie, Retirer la licence bancaire aux banques coupables de crimes, poursuivre en justice leurs dirigeants et grands actionnaires et bancocratie-deric-toussaint-un-vade-mecum-pour-combattre-les-banques-capitalistes/

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