Édition du 16 avril 2024

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Soutenons la lutte du STTP pour le droit à la libre négociation

Le dépôt de la loi spéciale de retour au travail des employés et employées des postes par le gouvernement Harper, précédé d’une menace identique quelques jours plus tôt envers les employés et employées d’Air Canada vient à toutes fins pratiques de sonner le glas au droit à la libre négociation dans le secteur public fédéral

Après à peine 10 jours de grèves rotatives de la part du syndicat qui affectaient peu le service postal, la direction a décrété un lock-out partiel en limitant la livraison à trois jours semaine. Mais à peine cette mesure avait-elle débuté, et ne prenant même pas la mesure de l’efficacité de cette pression sur le syndicat, que durant la même semaine, soit mercredi le 15 juin, elle décrétait un lock-out total.

Immédiatement après, la ministre fédérale du Travail, Lisa Raitt, a indiqué qu’elle avait l’intention de présenter un projet de loi de retour au travail. . Le gouvernement intervient au moyen d’une loi qui vient scier les jambes au syndicat alors que c’est l’employeur qui a décrété un lock-out.

La loi prévoit les amendes pour toute infraction à la loi. Même si elle s’applique textuellement aussi à l’employeur la réalité est qu’elle vise à empêcher toute contestation de la part du syndicat : 50 000 $ par jour pour les dirigeantes et dirigeants syndicaux, 1 000 $ par jour pour les membres et 100 000 $ par jour pour le Syndicat, alors que c’est Postes Canada qui a empêché la livraison du courrier. Jamais une telle situation ne s’est produite par le passé, une loi spéciale pour mettre fin à un lock-out et qui vise expressément à affaiblir la force syndicale !

L’analyste Maurice Mazerolle, de l’Université Ryerson, à Toronto, pense que Postes Canada fait le pari qu’une intervention du gouvernement lui permettra d’avoir une meilleure entente que celle qu’elle obtiendrait en négociant directement avec le syndicat.

Le projet de loi prévoit que les salaires seront fixés par décret et donne mandat à l’arbitre nommé par le gouvernement d’imposer une convention collective en retenant soit la proposition patronale sur l’ensemble de la convention collective ou celle du syndicat, sans aucun compromis possible. Il n’est admis aucun recours ou aucune décision judiciaire visant :soit à contester la nomination de l’arbitre ; soit à réviser, empêcher ou limiter toute action ou décision de celui-ci. Selon le syndicat l’arbitre est lié par un mandat biaisé en faveur de l’employeur. En effet L’arbitre devra fonder sa décision sur les principes suivants :

• conditions de travail qui sont compatibles avec celles de secteurs postaux comparables
• souplesse nécessaire à la viabilité économique et la compétitivité de la Société
• maintien de la santé et de la sécurité des travailleurs et travailleuses
• viabilité du régime de pension
• prise en compte du ratio de solvabilité du régime de pension
• obligation d’être efficace, d’accroître sa productivité et de respecter des normes de service acceptables, sans recourir à des hausses indues de tarifs postaux.

La convention collective est prorogée jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention collective décidée par l’arbitre. La nouvelle convention collective viendra à échéance le 31 janvier 2015.

Le projet de loi impose des hausses salariales inférieures à celles proposées par Postes Canada dans sa dernière offre, qui étaient de 1,9 % en 2011, 2012 et 2013, et de 2,0 % en 2014, soit bien inférieures au taux d’inflation de 3,3 %. Le projet de loi conservateur réduirait ces hausses à 1,75 % en 2011, 1,5 % en 2012, 2 % en 2013 et 2 % en 2014.

« L’imposition d’augmentations de salaires inférieures à la dernière offre de Postes Canada pénalise les travailleuses et travailleurs des postes pour une perturbation causée par le lock-out national décrété par la Société, » a déclaré Denis Lemelin, président national du STTP.

« Ce projet de loi retirera 875,50 $ des poches d’une travailleuse ou d’un travailleur des postes à plein temps durant les quatre années de l’entente. En tout, il s’agit d’un vol de 35 millions de dollars perpétré contre les travailleuses et travailleurs des postes et leurs familles. »
En s’en prenant de la sorte aux plus gros syndicats, soit les TCA et le STTP, le gouvernement Harper nouvellement élu, lance un avertissement au mouvement syndical, c’est la fin de la libre négociation.

Une transformation qui vient de loin

Les transformations opérées successivement par le gouvernement Mulroney et Chrétien au cours des vingt dernières années concernant le service postal public ont eu pour objectif de commercialiser Postes Canada, c’est-à-dire de lui enlever ses caractéristiques de service public universel et de le rendre soumis à la compétitivité du marché.

• En 1989, le gouvernement conservateur a fixé pour Postes Canada des objectifs financiers comparables à ceux que l’on voit dans le privé.
• En 1990, un comité parlementaire dominé par les conservateurs a recommandé que Postes Canada soit privatisé une fois qu’il aurait atteint un rendement financier comparable à celui du secteur privé et que les relations industrielles se seraient améliorées.
• En 1994, le gouvernement Libéral adoptait une loi obligeant Postes Canada à payer de l’impôt sur le revenu, à la manière d’une entreprise privée.
• En 1995, la Société canadienne des postes a commencé à payer de l’impôt sur le revenu et, en 1996, elle a commencé à verser des dividendes à son actionnaire, en l’occurrence le gouvernement.
• En mai 1995, une coalition formée par des concurrents de Postes Canada, y compris des entreprises de messagerie, demandait le réexamen du mandat de la Société, dans le but de déterminer si l’on devait permettre au service postal de faire concurrence aux intérêts privés. En août 1995, le gouvernement libéral annonçait qu’il procéderait à un tel examen.
• En 1997, un rapport d’étude menée par Valeurs mobilières TD et Dresdner Kleinwort Benson recommandait de fixer des objectifs financiers qui permettaient de privatiser la Société canadienne des postes. En outre le rapport recommandait que la Société verse sans délai 200 millions de dollars au gouvernement. Versement qui a eu lieu en 1998-1999, en plus du dividende de 12 millions de dollars résultant des bénéfices enregistrés par la Société.

Selon le rapport, ces dividendes devaient particulièrement servir à ce que Postes Canada ait un ratio d’endettement comparable à celui d’une entreprise privée et considérait à l’époque que Postes Canada n’était pas suffisamment endettée. Ce qu’il faut comprendre bien sûr c’est qu’une Société endettée peut plus facilement justifier les reculs et concessions qu’elle veut imposer à ses travailleurs et travailleuses.

Un fonds de pension diminué

À cela il faut ajouter la création par le gouvernement Libéral du fonds de pension de Postes Canada. À la fin des années 1990 le ministre des finances Paul Martin mettait fin au fonds de auquel appartenait Postes Canada au sein de la fonction publique fédérale. Il a retiré le solde appartenant à Postes Canada qui représentait environ 18 milliards de dollars mais en a soutiré les surplus accumulés qu’il a versé dans les coffres du gouvernement pour un montant de 12 milliards, laissant à Postes Canada un maigre 6 milliards. Il avait agi de la même façon avec les surplus de l’assurance-emploi.

Aujourd’hui ce sont encore les travailleurs et travailleuses qui doivent en faire les frais.

Malgré tout, au cours des 15 dernières années, Postes Canada a réalisé des profits de 1,7 milliard $ et a versé au gouvernement fédéral 1,2 milliard $ en dividendes et en impôts.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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