Édition du 26 mars 2024

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Europe

Succès spectaculaires pour l’AfD aux élections régionales en Allemagne

Déjà les résultats des élections communales dans le Land de Hesse le 6 mars étaient un signe d’alarme, puisque l’AfD (Alternatve für Deutschland) avait obtenu 11,9% des voix, ce qui lui a permis d’obtenir des mandats dans de nombreux conseils communaux, tandis que le parti de gauche Die Linke est resté sensiblement en-dessous du seuil des 5% en n’obtenant que 3,5% des voix. La CDU avec 28,9% s’est retrouvée à peu près au même niveau que le SPD social-démocrate, les Verts (Die Grünen) ont obtenu 11,3% et le FDP libéral a réussi a surmonter sa faiblesse électorale – comme déjà dans les élections régionales en Rhénanie du Nord-Westphalie en 2012 – en obtenant 6,4% des voix.

Mais les élections régionales dans les Länder de Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Saxe-Anhalt le 13 mars ont confirmé la tendance électorale vers la droite de manière spectaculaire. En Bade-Wurtemberg, les Verts, le parti du ministre-présidant sortant Winfried Kretschmann, sont devenus le parti le plus fort avec plus 30% des voix, en gagnant 6,1 points en pourcentage en comparaison avec les dernières élections régionales dans ce Land en 2011. Mais ils ne peuvent pas continuer à gouverner en coalition avec le SPD, qui a perdu 10,4 points en pourcentage pour se retrouver à 12,2% des voix. La CDU a perdu 12 points en pourcentage pour arriver à 27% des voix. L’AfD a obtenu 15,1% des voix et va donc rentrer au parlement régional avec plus de députés que le SPD. En plus, le FDP a gagné 3 points en pourcentage en arrivant à 8,3% des voix. Die Linke piétine à 2,9% (2011 : 2,8%) et n’a donc pas réussi à prendre la barrière des 5%.

L’AfD a pris des voix dans tous les camps – 207.000 dans le camp de ceux qui avaient boudé les urnes en 2011, 188.000 de ceux qui avaient voté pour la CDU, 88.000 du SPD, mais aussi 22.000 de Die Linke (et 18.000 du FDP ). Bien entendu, l’AfD a aussi – dans tous les trois Länder – pris des voix aux petites candidatures d’extrême-droite.

En Rhénanie-Palatinat, le SPD avec la ministre-présidente sortante Malu Dreyer gagne avec 36,3% des voix (0,6 points en pourcentage de plus qu’en 2011), la CDU avec sa candidate Julia Klöckner au profil à la droite de la chancelière Angela Merkel surtout en matière de la politique envers les réfugiés est arrivée à 31,7% des voix. L’AfD a obtenu 12,3% des voix. Le FDP gagne presque deux points en pourcentage avec 6,1% des voix. Les Verst ont perdu 10,2 points en pourcentage et arrivent à 5,2% des voix. Die Linke n’a obtenu que 2,8% des voix (contre 3% en 2011) et n’entre donc pas au parlement.

L’AfD prend aussi des voix à Die Linke

L’AfD a pu mobiliser 77.000 de ceux qui n’étaient pas allé aux urnes en 2011, elle a pu prendre 46.000 voix à la CDU, 34.000 au SPD, mais aussi 11.000 au parti Die Linke, mais seulement 5000 aux Verts. Ceux-ci ont surtout perdu des voix au profit du SPD – tandis qu’en Bade-Wurtemberg, c’était le contraire, là, c’est le SPD qui a perdu des voix surtout au profit des Verts.

Saxe-Anhalt est un Land à l’est de l’Allemagne sur le territoire de l’ex-RDA, bien plus petit que Bade-Wurtemberg ou Rhénanie-Palatinat. Là, de 1.878.095 d’habitants avec droit de vote, 1.147.485 sont allés aux urnes, soit 61,1% – en 2011 ce n’était que 51%. Et c’est surtout l’AfD qui a pu mobiliser ce potentiel électoral. La CDU est sorti des élections comme le parti le plus fort en obtenant 29,8% des voix, mais en perdant 2,5 points en pourcentage. L’AfD est venu en deuxième place en gagnant 24,2% des voix. En chiffres absolus, 271,832 personnes ont voté pour elle. Die Linke a perdu 7,6 points en pourcentage pour se retrouver à 16,7% des voix. Le SPD a perdu 11 points en pourcentage et n’a obtenu que 10,6% des voix. Les Verts n’ont pris la barrière des 5% que de justesse en perdant deux points en pourcentage. Le NPD, à la droite de l’AfD, a obtenu 1,9% des voix.

L’AfD a pu mobiliser 104.000 électeurs qui n’avaient pas participé aux élections en 2011. Elle a pris 38.000 voix à la CDU, mais aussi 29.000 à Die Linke, 21.000 au SPD (et 6000 au FDP et 3000 aux Verts).

Dans les grands médias allemands, tout le monde est d’accord pour dire que la base du succès de l’AfD, c’est le million de réfugiés venu en Allemagne en 2015 et le sentiment que la politique du gouvernement fédéral (la grande coalition des chrétiens-conservateurs CDU/CSU et du SPD) et la politique établie tout court ne vient pas à bout du problème. Il faut être conscient du fait que l’AfD d’aujourd’hui n’est plus la AfD de Bernd Lucke et de Olaf Henkel au profil de l’opposition aux aides financières "à la Grèce“, à l’euro et l’intégration européenne, même si cette AfD était déjà très droitière. L’AfD d’aujourd’hui est le produit d’une radicalisation vers la droite, et son personnel dirigeant actuel est bien plus proche de l’extrême droite et des néo-nazis. Son porte-parole Frauke Petry avait, par exemple, déclaré qu’il faudrait tirer sur les réfugiés aux frontières. Les succès électoraux de cette force politique vont de pair avec les mobilisations racistes de la Pegida et la multiplication d’attaques physiques et incendiaires contre les réfugiés et leurs logements.

L’évolution de l’AfD vers la droite est par ailleurs loin d’être achevée. Frauke Petry, à la télévision, par ses propos, s’efforce souvent de faire croire que l’AfD n’est pas un parti extrémiste de droite. Dans l’AfD, il y a une opposition de droite, une « plate-forme patriotique » qui se bat pour une coopération bien plus ouverte avec Pegida et un profil bien plus ouvertement extrémiste de droite. Dans le personnel dirigeant de l’AfD il y en a qui appellent à lutter contre le « génocide rampant » dont le peuple allemand serait la victime et qui menacent de « mettre de l’ordre » dans ce pays en traitant de manière appropriée celles et ceux qui le « trahissent ».

Défaite pour Angela Merkel ?

Dans le débat politique public en Allemagne, la position d’Angela Merkel est largement perçue comme une persévérance de l’attitude des bras ouverts, de la main tendue envers les réfugiés, de l’attachement à un traitement humain des réfugiés, à la recherche d’une action commune solidaires des pays de l’UE etc., même si, de facto, la politique réelle du gouvernement allemand envers les réfugiés s’est durcie de plus en plus à beaucoup d’égards. Et la recherche d’une collaboration étroite avec l’état turc pour lui donner le rôle d’un gardien retenant la masse des réfugiés pour qu’ils ne puissent pas venir en Europe ainsi que toutes les mesures renforçant la forteresse de l’UE n’ont rien à voir avec l’image humaniste qu’Angela Merkel réussit toujours et encore à se donner. Néanmoins, elle reste la cible pour la haine raciste qui dénonce sa politique du « bienvenu » comme la raison pour laquelle tant de réfugiés affluent en Allemagne.

Non seulement Horst Seehofer, chef de la CSU bavaroise, de fait écho de Pegida

et de l’AfD en demandant une politique encore bien plus dure et restrictive contre les réfugiés, mais aussi d’autres chefs régionaux de la CDU. par exemple Julia Klöckner, la candidate principale dans le Land de la Rhénanie-Palatinat, qui avait pris ses distances envers Angela Merkel dans ce sens. Mais elle a perdu. Et Winfried Kretschmar des Verts en Bade-Wurtemberg avait prié publiquement pour la bonne santé d’Angela Merkel en déclarant qu’il est décidé à la soutenir de toute ses forces – et lui, il a triomphé dans les élections récente.

Il n’est donc pas surprenant qu’Angela Merkel aie déclaré rapidement après les élections du 13 mars qu’elle ne changera pas sa politique envers les réfugiés. Et Sigmar Gabriel, chef du SPD, compte parmi les perdants – lui qui avait dit avant les élections, qu’il faudrait dépenser plus d’argent pour les besoins sociaux des allemands socialement faibles – ce qui avait largement été perçu comme une concession rhétorique à l’agitation de l’AfD.

Quoi faire ?

Il me semble important qu’il y ait un débat sérieux dans la gauche politique allemande sur les leçons à tirer de ce dimanche électoral aussi catastrophique. Certes, il y a des choses assez simples : Il faut redoubler les efforts pour mobiliser contre les Pegida et l’AfD dans l’unité d’action la plus large, il faut s’intégrer encore plus dans le mouvement massif d’aide aux réfugiés et tenter de le politiser, il faut multiplier les initiatives de rencontre et de coopération entre Allemands, immigrés et réfugiés en Allemagne, il faut chercher à développer une culture d’auto-défense et d’aide mutuelle vis-à-vis des actes de violence contre les réfugiés et les militants antifascistes et de gauche. Mais il faut aussi comprendre qu’il y a une course de vitesse entre la droite extrême et la gauche politique pour orienter politiquement les radicalisations et le mécontentement vis-à-vis de la politique établie.

C’est à dire qu’il faut non seulement dénoncer le caractère absolument pro-capitaliste, néolibéral, anti-social et anti-ouvrier du programme économique et social de l’AfD, mais aussi la politique réelle du gouvernement et de tous les partis pro-capitaliste établis, que ce soit dans le domaine de la politique vis-à-vis des réfugiés ou de la politique économique et sociale, qui est au service du grand capital. Il faut s’attaquer aux inégalités criantes au niveau mondial ainsi qu’en Europe et en Allemagne.Dans la mesure où le parti Die Linke est de plus en plus ressenti comme faisant partie de la politique établie – par exemple, partout où il participe aux exécutifs, comme à Thüringen – il ne sera aucunement capable de capter le mécontentement croissant et de l’orienter vers des solutions solidaires. C’est un danger mortel.

De même, il faut discuter d’un changement de cap dans la politique internationale du parti Die Linke. C’est vrai que le parti s’engage pour la défense des kurdes contre leur oppression par le gouvernement turc d’Erdogan. Mais cela ne suffit pas. Pour la Syrie, une porte-parole du parti comme Sahra Wagenknecht, qui de plus représente l’aile gauche du parti, ne dénonce que les impérialismes de l’ouest et se tait sur le fait que l’action militaire du gouvernement russe de Poutine n’a servi qu’à sauver la répugnante dictature d’Assad. Ce n’est pas de cette manière – rétrograde et dépassée – « campiste » qu’on peut défendre l’internationalisme solidaire de toutes celles et de tous ceux qui luttent contre leur oppression et exploitation contre le nationalisme et le racisme d’extrême droite.

1.Manuel Kellner est membre de la direction de l’isl (internationale sozialistische linke – gauche socialiste internationale), une des deux organisations de la IVème Internationale en Allemagne, et rédacteur de la Sozialistische Zeitung (SoZ)

Manuel Kellner

Membre du syndicat allemand IG Metall.

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