Édition du 16 avril 2024

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Québec

Entrevue avec Julia Posca de l’IRIS

Sur le racisme systémique des Autochtones du Québec

Durement frappée par la pauvreté, le manque d’accès à des services et des soins de santé adéquats, cette communauté rassemble des conditions propices à la dérive vers la toxicomanie, le suicide ou la violence.

tiré de Media D | 29 janvier 2018 | Photo : Julia Posca

Selon une étude publiée il y a quelques jours par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), les Autochtones du Québec seraient en proie à de la discrimination systémique. On est allez rencontrer la chercheuse à l’origine de cette étude, Julia Posca, pour en savoir plus.

Média D : Toute première étude de l’IRIS sur les Autochtones du Québec, pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Julia Posca : On s’intéresse aux inégalités en général, on a travaillé sur les inégalités de revenus, de patrimoines, les inégalités vécues par les immigrants au Québec l’année passée, et donc là on a décidé de s’intéresser aux Autochtones parce qu’on ne l’avait jamais fait avant, et ça nous semblait important de parler de la situation des Autochtones au Québec, de leurs conditions de vie, étant donné qu’on sait que c’est une catégorie de la population qui est plus désavantagée que d’autres.

Des données, mais jamais de portrait d’ensemble ?

Il existe des données recueillies par Statistique Canada qui recueille depuis une vingtaine d’années au moins toutes sortes de statistiques donc il y a des données qui existent pour le Canada et par province. Mais il n’y avait pas d’étude qui présentait ces données-là pour le Québec spécifiquement.

Donc là on a un premier portrait d’ensemble de la situation des Autochtones avec des données qui sont assez récentes (2016). J’ai utilisé essentiellement des données du recensement à part pour les indicateurs de santé, victimes et justices qui proviennent d’enquête.

On a pu également distinguer les Premières Nations des métis et des Inuits, les différentes nations qui sont au Québec.

Qu’est-ce qui ressort de ce rapport ?

On constate que dans tous les aspects de leur vie, les Autochtones sont désavantagés par rapport au reste de la population québécoise, en termes de revenus, d’emplois, de la situation du logement, l’éducation, la santé… Des écarts partout en fait !

On a l’illustration là d’un problème de discrimination systémique vécu par les Autochtones au Québec.

Il y a eu cette tentative d’assimiler les Autochtones, que ce soit avec la loi sur les Indiens, le système des Réserves, ou encore les écoles résidentielles, puis en fait on constate les effets de ce régime colonial qui se font encore sentir et qui ont des répercutions sur les conditions de vie des Autochtones.

Il y a eu une faible couverture médiatique suite à la publication de ce rapport, comparé généralement aux autres rapports publiés par l’IRIS, est-ce que c’est votre ressenti également ?

Non pas aussi bonne qu’on l’aurait souhaité. J’ai fait des entrevues avec Radio-Canada en Abitibi et avec une radio privée au Saguenay et CBC à Québec, mais c’est très peu parce qu’on est habités à avoir une plus grande couverture. Je pense qu’il n’y a rien de nouveau, dans le sens où l’on sait que les Autochtones ont de piètres conditions de vie par rapport au reste des Québécois, et peut être qu’à cause de ça, il y a eu moins d’intérêt.

Par contre nous, on pensait que c’était intéressant d’avoir ce portrait d’ensemble, qui montre que ce sont des inégalités qui se renforcent les unes les autres, que ce n’est pas un mince problème que l’on a devant nous.

S’il y a une information que l’on doit absolument retenir de ce rapport, ça serait laquelle ? Et pourquoi ?

Bonne question ! Moi je trouve que ce qui est intéressant de voir, c’est qu’un enfant autochtone qui est né au Québec en 2016 vit dans un foyer où déjà le logement est surpeuplé, délabré dans une proportion assez importante, où l’accès à des aliments de qualité est problématique. Donc déjà il naît dans un contexte qui est problématique, avec des parents qui sont moins éduqués que la moyenne, et ont donc des difficultés à intégrer le marché du travail au Québec.

Toutes ces conditions se renforcent et auront des répercussions sur sa vie, et tout ça fait qu’ils ont moins de chances que les Québécois. C’est important de voir l’ampleur de problème, et la complicité de la situation actuelle selon moi.

On entend moins parler justement de cette problématique du logement, comparé à celle de la violence par exemple

Effectivement on a entendu parler de ce qu’il se passe dans d’autres provinces canadiennes, les questions de l’accès à l’eau également dans la communauté du nord de l’Ontario par exemple. Alors on a l’impression que ça va mieux pour les Autochtones au Québec, même s’il y a des préjugés comme « la vie sur les réserves c’est génial parce qu’ils ne payent pas de taxes », c’est ça le plus gros préjugé.

Alors que les études montrent que les conditions de vie sont moins bonnes dans les communautés, les réserves. Avec toutes sortes de problèmes comme les vagues de suicide qu’on a vu dans les dernières années, qui ne sont pas étrangères au fait qu’on a des populations avec lesquelles leur mode de vie sont complètement chamboulées tant par le fait que les communautés ont été déstructurées, avec les changements climatiques qui peuvent avoir un impact sur différentes activités comme la chasse et la pêche, et de l’autre côté ces communautés ont du mal à adapter leur mode de vie à celui des Québécois non autochtones parce qu’ils ont de la difficulté à accéder à l’éducation et au marché du travail par la suite.

Il y a du chemin fait, mais ce sont des conditions dures encore. Il y a eu la Commission sur les femmes disparues et assassinées par exemple.

Quel avenir se dessine pour les Autochtones du Québec ? Une amélioration ou au contraire une détérioration ?

On espère évidemment une amélioration, mais je pense que c’est un bon pas de reconnaître par exemple l’impact qu’ont eu les écoles résidentielles sur les Autochtones, pas seulement sur ceux qui les ont fréquentés, mais sur leurs enfants et leurs petits enfants, ça a été prouvé.

Une manière de combattre contre les inégalités c’est par l’accès à des services publics de qualité. On sait qu’il y a des problèmes d’accès à l’éducation, à la santé notamment due à des questions de racisme ou d’éloignement des communautés parfois. Il y a du travail à faire pour améliorer l’accès au service, on espère que la Commission Viens identifiera ce problème.

Par contre, il faudra élaborer des améliorations en collaboration avec les Autochtones , on ne veut pas reproduire ce que l’on a fait dans le passé, soit reproduire des solutions qui sont imposées, qui ne sont pas adaptées à leur réalité particulière. Si on permet au peuple autochtone d’agir en pleine autonomie, je pense que là il y a peut-être moyen de surmonter les problèmes actuels.

Plusieurs personnes reprochent à cette étude le manque de proximité, d’aller prendre le poul sur le terrain, voir la réalité au lieu de s’appuyer sur des données de Statistique Canada. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Absolument, c’est une analyse entièrement statistique quantitative, on prend des données. Mais c’est intéressant, car c’est un assez bon portrait, même s’il y a certaines communautés qui ne sont pas recensées. Mais c’est évident que là on a un portait macro-économique et qu’on ne peut pas faire la distinction entre les différentes communautés qui ont chacune leurs particularités. Il est évident que les Kahnawake de Montréal ont des conditions différentes des Inuits du Grand-Nord ou des communautés en Abitibi par exemple.

Qu’est ce qu’on entend exactement par « racisme systémique » ?

On parle de racisme et de discrimination systémique quand il y a une population qui est traitée différemment du reste de la population, pour le dire simplement. Je pense qu’on ne tient pas compte du passé et du rapport coloniaux qui a pu s’installer avec les Canadiens/Québecois, justement de ne pas tenir compte de ça c’est en soit reproduire un racisme, et des discriminations envers ces peuples-là.

Sur la question de l’éducation par exemple, si on ne reconnaît pas qu’il y a eu un traumatisme lié aux écoles résidentielles, alors on a de la difficulté à comprendre comment l’accès à l’éducation est plus problématique, comment ça se fait que les universités ont longtemps été vues comme un signe d’assimilation, les Autochtones qui allaient à l’université perdaient leur statut d’Indiens, et donc les droits qui leur été rattachés.

Il faut reconnaître qu’ils sont désavantagés pour trouver des manières de leur donner les mêmes chances que le reste de la population. Ils sont victimes d’un système qui inconsciemment, sans nécessairement le vouloir, reproduit des chaînes de dominations passées.

D’autres études à venir sur les Autochtones ?

Pas prévue pour l’instant, mais c’est sur qu’on va vouloir s’intéresser à cette question-là, à la hauteur de nos moyens.

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