Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Tintin au Venezuela

Des aventuriers d’extrême droite autour de Donald Trump appellent à une intervention militaire contre le Venezuela. Gérard Latulippe, un néoconservateur [1] canadien exécutant des basses œuvres de Stephen Harper, dit la même chose, de concert avec le dernier repaire de l’influence états-unienne sur l’hémisphère, l’Organisation des États américains (OEA). À vrai dire, ces interventions apparaissent comme ridicules. Avec Trump cependant, l’impossible pourrait devenir possible, c’est-à-dire le retour du gros bâton.

Le « périmètre » américain

En 1823, le président James Monroe déclarait que l’hémisphère devait rester sous la houlette d’une « pax americana ». Quelques années plus tard, Washington démantelait le Mexique en annexant plus du tiers du territoire. Au début du vingtième siècle, les soldats américains envahissaient le Nicaragua, Haïti, Cuba. Depuis, on a compté plus de 40 interventions militaires américaines de la Terre de Feu jusqu’au Mexique dans ce que les États-Unis considèrent comme leur chasse gardée. Au moment de la Guerre froide, les coups d’État commandités par les États-Unis se sont multipliés pour empêcher des gouvernements nationalistes de reprendre leurs économies en main, comme cela a été le cas au Guatemala, en Argentine, en Bolivie et au Chili, lorsque la dictature du général Pinochet a causé des milliers de victimes.

L’OEA, créature des États-Unis

Fondée en 1948 sous l’égide des États-Unis, l’OEA a été mise en place pour promouvoir l’« intégration économique », ce qui voulait dire le libre accès des capitaux américains aux riches ressources au sud du Rio Grande. L’objectif corollaire était de maintenir la stabilité des régimes répressifs, capables de faire la guerre aux syndicats et aux associations paysannes et de punir les pays qui oseraient défier l’Empire américain, ce qui a commencé en 1959 à Cuba.

Pleins feux sur le Venezuela

Lorsque le Venezuela est devenu un important producteur de pétrole, les États-Unis se sont bien installés avec une petite caste locale qui ne se gênait pas pour vendre les ressources à bas prix en laissant 90 % du peuple dans la misère. En 1989, le peuple est descendu dans la rue. L’armée a tiré dans le tas, faisant 3 000 morts en deux jours. Quelques années plus tard, des militaires nationalistes dont un certain Hugo Chavez tentaient de renverser les pourris, mais ils échouèrent. En 1998 cependant, Chavez libéré s’est présenté aux élections et a été élu à la présidence.

Un peuple se réveille

En 2002, la caste avec l’appui des États-Unis a tenté de le renverser, mais le peuple est sorti dans la rue par millions pour défendre son président. Par la suite, Chavez a remporté élection après élection. Il a nettoyé l’appareil d’état, notamment le secteur qui administre le pétrole pour reprendre le contrôle au profit de la nation. Profitant de la hausse des prix, il a établi des programmes sociaux de grande envergure, ce qui fait que pour la première fois dans leur vie, les gens des barrios recevaient des soins médicaux et mangeaient à leur faim. Les États-Unis de même que leur larbin Stephen Harper n’ont cessé de condamner Chavez et de miner son pouvoir par diverses stratégies de déstabilisation.

La « vague rose »

Après l’élection de Chavez, les pays de l’Hémisphère ont évolué presque tous vers la gauche. Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, Evo Morales en Bolivie et d’autres ont rejoint Chavez dans le projet de consolider la coopération latino-américaine en excluant les États-Unis et le Canada, ce qui a fait de l’OEA une coûteuse coquille vide. Le tout a été consommé en 2004 avec le rejet définitif du projet de création d’une Zone de libre-échange pour les Amériques, qui avait été mis de l’avant par Ottawa et Washington. Les nouveaux États progressistes ont alors tenté selon des modalités diverses de changer les priorités. Des dizaines de millions de personnes sont sorties de la pauvreté. Les entreprises ont été renationalisées. Les rapports avec le monde extérieur ont été diversifiés vers l’Union européenne et la Chine, affaiblissant la mainmise traditionnelle des États-Unis.

Le retour des vieux démons

En 2010, Chavez décédait à la suite d’un cancer. Un certain nombre de problèmes sont resurgis du fait que la rente pétrolière a subi la baisse des prix et que le gouvernement, malgré des appels des mouvements populaires, n’a pas diversifié l’économie. La centralisation du pouvoir autour de l’ex-président a également nui au développement d’une démocratie à la base promue au début du mouvement bolivarien. Au Venezuela comme ailleurs, il s’est développé sein des gouvernements de centre gauche une sorte de bourgeoisie profitant de l’accès aux ressources de l’État. La droite longtemps refoulée en a profité et a relancé la lutte avec l’appui des États-Unis qui entre-temps ont fomenté des coups d’État au Paraguay et au Honduras, sans compter Haïti où se poursuit une l’occupation militaire techniquement sous mandat de l’ONU, mais en réalité selon des objectifs déterminés à Washington. Parallèlement, le Venezuela est entré dans une grave crise mal gérée par le successeur de Chavez, Nicolás Alejandro Maduro. Depuis, le pays vacille : pénuries alimentaires, pratiques autoritaires, affrontements meurtriers, exactions commises principalement par la police, fuite des capitaux, etc.

Le facteur Trump

Depuis son intronisation, le président-milliardaire a tenté de se démarquer de l’administration précédente. En ce qui concerne le « périmètre », la cible principale est le Mexique de même que l’immigration latina. Mais les milieux ultra conservateurs dont l’influence est énorme à Washington voudraient bien que la politique des gros bâtons revienne au premier plan au sud du Rio Grande. Pour le moment, les États-Unis n’ont pas les moyens de faire beaucoup, surtout qu’ils sont enlisés en Asie centrale et au Moyen-Orient. La Chine entre temps secondée par la Russie n’est pas facilement délogeable, ce qui fait penser à la période où la montée de puissances impérialistes en lutte les unes contre les autres a mené aux guerres du vingtième siècle. Cette situation pourrait changer et on pourrait voir une nouvelle offensive états-unienne dans l’hémisphère.

Tintin joue un mauvais jeu

Il est peu probable, du moins à court terme, que les gesticulations de Latulippe et d’autres néocons soient entendues sérieusement. Ce qui ne veut pas dire que l’histoire va s’arrêter là. Du haut de son influence très limitée, l’État canadien comme le beau Justin s’alignent vers la droite latina qui cherche à garder le pouvoir au Brésil et en Argentine et à s’en emparer au Venezuela, en Bolivie, en Équateur. En visite à Buenos Aires en mai dernier, Justin semblait très content du virage pro-libre-échange du voyou Mauricio Macri. Entre-temps, pas un mot de condamnation n’a été prononcé lors du renversement tout à fait scandaleux de la présidente Dilma Roussef au Brésil.

Les « préoccupations » canadiennes

Quant au Venezuela (sur le site d’Affaires Globales Canada), le gouvernement se dit, en accord avec l’OEA, « grandement préoccupé de la situation dans ce pays ». On pourrait dire que cette « préoccupation » est fondée puisque la situation réellement se détériore. Ce n’est pas seulement la droite vénézuélienne qui le dit, mais aussi plusieurs mouvements populaires et une partie de l’opposition de gauche.

Une influence en déclin

Mais seuls les faux naïfs refusent de soir que cette « préoccupation » canadienne n’est pas très crédible. En effet, si le Canada était réellement inquiet quant aux violations des droits, il condamnerait les agissements inacceptables des gouvernements de droite ailleurs dans l’hémisphère. En tout cas aux yeux des populations d’Amérique latine, cette hypocrisie et cette politique de « deux poids deux mesures » ne renforcent pas la cote ni du Canada, ni des États-Unis, ni de leur instrument qu’est l’OEA.

Pour sortir de la crise

Certes, le Venezuela a besoin d’appui et probablement, d’une médiation internationale pour essayer de convaincre le gouvernement de Maduro et l’opposition de droite d’éviter la dérive actuelle et de trouver une solution politique qui pourrait apaiser les tensions. Cette médiation pour réussir doit absolument venir des institutions mises en place par les Latinos, notamment l’Union des nations sud-américaines, une institution que les gringos du nord ont tenté de détruire plusieurs fois.

Note

1. Latulippe a été député libéral dans les années 1980 avant d’être obligé de démissionner pour des allégations de corruption. Plus tard, il a été candidat au fédéral de l’Alliance canadienne avant qu’elle ne soit saisie par Stephen Harper qui a refondu le Parti conservateur. Harper pour le remercier lui a donné le mandat de liquider Droits et démocratie, une agence paragouvernementale devant promouvoir les droits humains. Ultime cadeau, on lui a donné la « plogue » d’être ambassadeur à Trinidad-et-Tobago, une île perdue dans les Caraïbes dont l’intérêt réside dans ses réserves de gaz et ses banques blanchisseuses de l’argent sale.

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