Édition du 16 avril 2024

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États-Unis

Trump, Brexit : les naufragés du « libre-échange »

La victoire de Trump annonce un futur recul des droits humains, des droits des femmes, des droits des minorités, des droits environnementaux et de la protection sociale dans un pays où cette dernière est déjà d’une grande faiblesse et où l’ère Obama n’a pas vu de recul des inégalités en dépit d’une croissance plus ou moins retrouvée.

Tiré du blogue de l’auteur.

Mais à la question de savoir comment une majorité de votants a choisi ce candidat, il ne suffit pas de répondre en mettant en avant un réflexe « populiste » ou « anti establishment ». Il faut aussi se demander quels facteurs ont pu l’encourager.

Or l’un de ces facteurs, même s’il en existe évidemment d’autres, se trouve également présent dans le Brexit et dans la montée en Europe du vote d’extrême droite. C’est le fait que l’establishment de droite ou de gauche s’est fait presque partout et depuis longtemps l’avocat du soit disant libre-échange, c’est-à-dire d’une mondialisation néolibérale au service des multinationales et de la finance. Est-ce un hasard si des élections ont signé des défaites de ces avocats dans les deux pays qui sont allés le plus loin dans la célébration du « libre-échange » ? Malheureusement des défaites dont une droite socialement dure ou extrême a bénéficié, mais des défaites quand même.

« Les naufragés du libre échange : de l’OMC au Tafta » est le titre d’un livre collectif publié l’an dernier par Attac. Son titre fait écho à celui du documentaire de 2012 de Marie-Monique Robin « Les déportés du libre-échange », consacré aux conséquences de l’ALENA (accord de libre-échange nord américain entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique), signé en 1992, et entré en vigueur en 1994. Dans ce film, l’accent était mis sur les immenses dégâts provoqués par l’ALENA au Mexique. Mais il faut savoir que ses dégâts sociaux, humains et économiques ont été considérables aussi aux Etats-Unis. Son bilan emploi est aussi désastreux que son impact sur les salaires et les conditions de travail des catégories moyennes et populaires, celles qui ont voté pour Trump ou qui se sont abstenues de voter Clinton.

La croyance visant à justifier aussi bien l’austérité que le libre-échange est : on ne peut sortir de la crise que par une croissance forte, par l’exportation et le libre investissement des firmes dont il faut renforcer la compétitivité par l’austérité intérieure et en baissant les « barrières » à l’accès de leurs productions et de leurs investissements dans le monde. Cette croyance est mythique. Si tous les pays la suivaient, il s’agirait d’un jeu destructeur. Selon l’Economic Policy Institute de Washington, le bilan de l’ALENA entre 1993 et 2002 est très négatif : le nombre d’emplois créés aux Etats-Unis via l’augmentation des exportations est inférieur de près de 900 000 aux pertes d’emploi liées à l’exacerbation de la concurrence. Les promoteurs du projet promettaient 20 millions d’emplois créés…

On peut ajouter à ce bilan emploi désastreux le bilan sur les salaires et les conditions de travail, qui ont été tirés vers le bas dans tout le pays, et pas seulement dans les très nombreuses usines qui se sont construites le long de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique pour profiter du droit du travail et des normes environnementales plus faibles encore au Mexique. L’ALENA (complété par d’autres accords de libre-échange depuis les années 1990) n’est pas pour rien dans la dégradation des conditions de travail et d’emploi d’une majorité de salariés américains. Il n’est pas pour rien dans le fait que le salaire réel médian stagne depuis 30 ans, croissance ou pas.

Il n’est pas pour rien dans la victoire de Trump, qui a su faire campagne contre les accords dits de libre échange (dont Obama et le clan Clinton ont toujours été de fervents supporters), en complément de son « populisme réac » macho et xénophobe.

Tant qu’une partie de la gauche fera (ou tentera de faire) passer en force des accords de « libre-échange » (TAFTA, CETA, APE, etc.), des lois travail détruisant des protections collectives, ou des CICE comme cadeaux au patronat, le tout au nom de la compétitivité internationale, elle fera le lit des Trump, des pro-Brexit, et d’autres qui attendent leur tour en France et ailleurs. Le clan Clinton/Goldman Sachs/accords de libre-échange vient de l’apprendre à ses dépens. J’aurais « malgré tout » préféré sa victoire, c’est certain, mais si au moins on pouvait tirer, à gauche, quelques leçons de sa cuisante défaite…

Jean Gadrey

Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères).
S’y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale.
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.

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