Édition du 16 avril 2024

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Tunisie : la dernière ligne droite !

Après un blocage qui a duré plusieurs mois, la situation semble, comme par enchantement, s’acheminer vers un début de dénouement de la crise révolutionnaire, favorable aux forces conservatrices.
L’adoption, le 27 janvier, de la nouvelle Constitution, le vote de confiance, deux jours après, d’un nouveau gouvernement, d’une part, et leur accueil très favorable par les sphères impérialistes, d’autre part, ont largement contribué à désamorcer la crise et à nourrir les illusions par rapport au nouveau gouvernement de Mehdi Jomaâ.

Mais c’est surtout la décision du FMI, de l’Union européenne et de la Banque mondiale de mettre fin à leur embargo financier qui a le plus joué en faveur de la « trêve » avec l’octroi d’un prêt de 3,6 milliards, soit l’équivalent du cinquième du budget de l’Etat.

Les raisons de la joie exprimée par les forces impérialistes sont : d’une part, l’épuisement du mouvement populaire, sous les effets conjugués de l’aggravation de la crise sociale et économique, la montée de l’extrémisme islamique, qui a très fortement contribué à la dégradation de la situation sécuritaire et, d’autre part, l’absence d’alternative progressiste crédible.

Il y a aussi le recul des deux forces politiques apparues à la faveur de l’insurrection révolutionnaire, surtout celui Ennahdha, mais aussi, dans une certaine mesure, celui de la coalition des forces de gauche et progressistes, le Front populaire.

Enfin, le retour en force de plusieurs figures politiques de l’ancien régime dont celles présentes dans la principale formation politique, Nidaa Tounes.

Par ailleurs, malgré le mouvement de contestation populaire contre de nouvelles taxes qui a secoué la Tunisie, début janvier, le calme qui règne actuellement est assez significatif d’un profond désir, largement partagé, de retour à une certaine tranquillité.

Le gouvernement Jomaâ bénéficie, contrairement au précédent, de plusieurs atouts : tout d’abord, la neutralité bienveillante des principales forces politiques ; ensuite, l’appui de l’organisation patronale (Utica) et de celle, très importante, de la direction de la puissante centrale syndicale UGTT (Union générale tunisienne du travail).

De plus, le gouvernement pourra utiliser la manne inespérée de 3,6 milliards de dollars pour tenter d’acheter une « trêve sociale », du moins jusqu’aux élections prévues fin 2014.

Enfin, il semble que le FMI va revoir à la baisse ses exigences concernant les mesures d’austérité, en acceptant de les étaler sur une période plus longue, de juin 2015 à mars 2016. Le FMI ne veut pas risquer d’attiser de nouveau la colère sociale avant les élections. Si cela se confirme, Jomaâ pourra maintenir intact le large soutien politique dont il bénéficie actuellement. Il pourra aussi compter sur le soutien de la moyenne bourgeoisie, assez influente en Tunisie, et qui a été très touchée par les retombées économiques et sécuritaires de la crise révolutionnaire.

La tâche essentielle de Jomaâ sera, avant tout, celle d’achever les grands chantiers des réformes structurelles voulues par le FMI et la Banque mondiale. Ils concernent les investissements étrangers, la fiscalité, le secteur financier, notamment la refonte des trois grandes banques publiques, la libéralisation du secteur agricole et celui des services, et surtout la libéralisation du transport aérien et des marchés publics…

En somme, l’enjeu réel du gouvernement Jomaâ est de réussir à fermer la parenthèse historique ouverte par l’insurrection révolutionnaire, et d’imposer, de nouveau, la paix néocoloniale en Tunisie.

Jomaâ va-t-il réussir à donner le coup de grâce au mouvement révolutionnaire ? La réponse n’est pas facile. Elle dépend surtout de la capacité de la direction du Front populaire à corriger sa ligne politique et à revoir sa tactique et ses alliances, notamment celle avec Nidaa Tounes. Elle doit aussi se débarrasser de l’idée désastreuse de croire qu’il est possible de réussir la transition démocratique, sans que le combat pour les libertés soit associé à celui pour les droits économiques et sociaux.

La réponse dépend, surtout, de l’attitude de la direction syndicale et de sa base face à la politique de Jomaâ et aux revendications soulevées par la révolution. En tout cas, seules deux options demeurent possibles en Tunisie, celle de la liberté et du progrès social qui a été rendue possible par la chute du dictateur, et celle, au contraire, du retour d’un pouvoir politique répressif comme complément indispensable du régime néocolonial dominant. (Tunis, 11 février 2014)

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