Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

USA : La bataille de Madison à la croisée des chemins

La lutte pour défendre les droits syndicaux du secteur publique a subi un coup dur suite à une machination parlementaire effectuée dans la nuit du 9 mars, mais la manifestation énorme du samedi 12 indique que le mouvement contestataire demeure déterminé et mobilisé, même s’il tâtonne sur la manière d’avancer.

Pendant trois semaines, des sénateurs démocrates du Wisconsin se sont refugiés dans l’Etat voisin de l’Illinois pour priver la majorité républicaine du quorum nécessaire pour voter toute loi concernant le budget. Pour contrecarrer cette action, les républicains ont proposé et voté rapidement une nouvelle version de la loi anti-syndicale qui prévoit notamment l’abolition de la pratique des négociations collectives. Puisque les aspects budgétaires ne sont pas inclus dans cette version de la loi, un quorum n’était pas requis. Le 10 février, la chambre des députés a voté la loi et le 11 le gouverneur Walker l’a signée.

La riposte a été immédiate : sept milles protestataires ont envahi le parlement dans les heures qui ont suivi le vote. Samedi 12, la plus grande manifestation depuis le début de ce mouvement a eu lieu a Madison : plus de 120’000 manifestants dans un Etat de 4 millions d’habitants ! Cette réponse exprime le ait que les salariés du secteur public et leurs alliés restent déterminés à défendre leurs droits syndicaux. L’ambiance de la manifestation, dans les cars syndicaux qui transportent des manifestants de Milwaukee et ailleurs, et dans les bars et restaurants fréquentés par les manifestants était très militante et déterminée. On ne voit pas des signes de démoralisation, mais personne ne sait quoi faire maintenant.

Le premier défi pour le mouvement syndical après l’adoption de la loi est pour bientôt. Les premières élections visant à supprimer la reconnaissance des syndicats dans les entreprises se tiendront fin avril. La barre est fixée très haut : pour que le syndicat –qui ne pourra plus négocier- reste reconnu, il faut qu’il recueille l’équivalent de 51% des voix non pas des votants, mais de tout le personnel. Trente mille syndicalistes sont concernés. Avec la loi votéé, le mouvement protestataire se trouve donc à la croisée des chemins.
Deux ailes

Depuis le début du mouvement, il existe une contraste saisissant entre le mouvement de masse, spontané, dans les rues de Madison, et la direction syndicale. Ce sont les propos de cette dernière qui sont reportés par la presse écrite et électronique.

Tant au niveau local que sur le plan national, la direction syndicale, très liée au parti démocrate, dévie désormais l’axe de la mobilisation sur un autre plan. Elle est d’ores et déjà engagée dans une campagne de grande envergure pour obtenir la révocation de sénateurs républicains. A cet effet, elle doit recueillir un certain nombre de signatures pour que les élus ciblés soient soumis à réélection avant la fin de leur mandat.

Beaucoup d’énergie est déjà investie dans cette campagne qui est conçue par la bureaucratie syndicale et le parti démocrate comme une campagne purement électorale. La direction syndicale s’appuie sur le mouvement de masse, mais cherche à le contrôler et le canaliser vers ses fins électoraux. Et la campagne même victorieuse, ne fera pas grande chose pour rétablir les droits syndicaux. La campagne ne cible que des sénateurs parce que la majorité républicaine est trop forte à la Chambre.

Walker lui-même ne peut pas être soumis à une procédure de révocation qu’en novembre, ce qui signifie que, s’ils devaient devenir majoritaires au Sénat, les démocrates ne pourraient rien contre la loi anti-syndicale déjà votée. Ils pourront, tout au plus, empêcher de nouvelles attaques.

La direction syndicale n’encourage pas le développement du mouvement. Le soir du vote, Marty Biel chef de l’AFSCME, le syndicat des salariés de l‘Etat, et Mary Bell, cheffe de WEAC, le syndicat des enseignants ont prêché le calme. Bell a demandé explicitement aux instituteurs de ne pas faire la grève.

Le mouvement de masse

Le mouvement de base est composé des salariés d’Etat, surtout des instituteurs et des pompiers, et des syndicalistes du privé touchés directement parce sous contrat avec l’Etat, ainsi que des ouvriers, des étudiants et d’autres gens des couches populaires qui sont révoltés par les attaques contre l’éducation publique, les droits à l’avortement et à la santé pour les plus démunis.

Ils ont répondu spontanément au défi de Walker. Ils n’ avaient pas besoin d’être “mobilisés” par la direction syndicale parcequ’ils sentaient instinctivement que leurs droits sont menacés.

Pendant trois semaines la mobilisation a été quotidienne. Diverses composantes du mouvement focalisent leur énergie contre des cibles différentes. Pour certains l’occupation du Parlement était une priorité, un symbole de la lutte et de l’idée selon laquelle le Parlement est la maison du peuple. D’autre montent des actions contre les banques comme M & I qui est contrôlée par des frères Koch.

Les pompiers ont retiré de cette banque 200’000 dollars de leurs fonds de retraite. Et maintenant, beaucoup de militants de base se lancent dans le mouvement pour la révocation. Il y a un courant autour de l’organisation des infirmières, le NNU qui s’oppose au concessions faites par les bureaucrates sur le montant des cotisations pour les retraites et les frais médicaux qui s’appelle KTWB, acronyme d’une expression qui signifie littéralement que « c’est la loi toute entière qu’il faut tuer ». 7’000 personnes ont pris part au meeting qu’elles ont organisé. Les organisations d’extrême gauche, telles l’International Socialist Organisation s’orientent vers ce courant.

Jusqu’à maintenant, le mouvement était centré sur la ville de Madison. Il touche maintenant tout l’Etat avec des manifestations même dans les villages. La réponse du soir du 9 et du samedi 12 montre que ce mouvement est loin d’être à bout de souffle. Mais cette énergie risque d’être perdu dans la nouvelle situation après le vote de la loi si une perspective et stratégie n’est pas trouvée et une forme de structure établie pour organiser des débats démocratiques et focaliser le mouvement vers une perspective de masse, indépendante des démocrates.

Le mouvement se heurte-comme tout mouvement contestataire- aux limites institutionnelles, aux traditions, etc. Le mouvement de masse au Wisconsin n’a ni structure, ni dirigeants. Cela résulte en partie du fait qu’il n y’ a pas d’assemblées générales. Si cette lutte se passait en France par exemple, des manifestations auraient été accompagnées par des grèves et des assemblées générales quotidiennes, ou le mouvement aurait discuté des pas à faire, de la reconduction ou pas de la grève.

D’un mouvement syndical au mouvement social

Ce mouvement, bâti au début par des syndicalistes menacés, n’est plus centré uniquement sur des questions syndicales. Au fur et mesure que Walker et son parti dévoilent leur programme, aussi bien au Wisconsion que sur l’ensemble du pays, plus de couches sociales se lancent dans la bataille. En pleine lutte autour de la loi anti-syndicale, Walker a proposé une loi anti-immigrés qui prend comme modèle celle votée en Arizona au printemps, 2010. L’organisation La Voces de la Frontera, qui défend les droits dès immigrés, surtout des Mexicains, est très présent dans les manifestations. A Milwaukee, elle a rempli neuf cars de ses supporteurs pour participer à la manifestation du samedi 9. Des organisations de défense du droit à l’avortement participent aussi aux manifestations parce que Walker a déjà affiché son intention de stopper les financements publiques pour les services d’obstétrique. Les contours du Madison movement, sont donc multiples.

Faire la grève ?

Le passage de la loi souligne les limites des manifestations. Ces manifestations étaient exemplaires, mais parfois elles ne suffisent pas pour faire céder le pouvoir. Les grèves de 1995 en France par exemple, ont fait reculer le gouvernement Juppé. Mais comme on a vu en automne de 2010, même une série des mobilisations de 3,5 millions des manifestants n’ont pas fait reculer le projet de Sarkozy d’élever l’âge de la retraite.

Avec le passage de la loi anti-syndicale, il est possible que l‘axe majeur du mouvement ouvrier se déplacer vers un effort pour empêcher la droite d’adopter les lois dites « pour le droit de travailler » et qui interdisent les syndicats dans le secteur privé , comme c’est déjà le cas dans les Etats du sud.

Gagner cette bataille nécessitera d’en élargir le champ vers les ouvriers du privé et vers la vaste majorité -89% sur le plan national- de salariés qui ne sont pas représentés par un syndicat.

Finies les négociations ? Finie alors l’interdiction de faire grève !

Mais c’est l’arme la plus puissante des salariés, la grève, qui mettrait le plus de pression sur Walker et sa majorité parlementaire. La nouvelle situation après l’adoption de la loi change les enjeux. La loi votée par les Républicains supprime la loi #111.70, le MERA, qui garantissait les négociations collectives et interdisait la grève. Dès ors, pour certains salariés, la grève n’est plus interdit. Mais, certains grévistes pourraient être licenciés après trois jours de grève.

Le Teaching Assistants Association (TAA) qui représente des étudiants en masters et des doctorants qui travaillent comme profs –un job qui est souvent la condition pour l’obtention de bourses-, débat actuellement de la possibilité d’une grève. Certains dirigeants syndicaux se sont déclarés prêts à suivre un appel général en faveur d’une grève. Le journal pro-Républicain, le Journal Sentinel de Milwaukee n’a pas manqué de relever la présence dans la manifestation de samedi de pancartes favorables à zune grève.
Mouvement de masse, mouvement politique

Même si la bureaucratie syndicale cherche à canaliser l’énergie militante vers les élections, rien n’empêche les militants de gauche de participer à la campagne pour la révocation, d’une manière indépendante. Cette campagne pourrait fournir à la gauche et à l’extrême gauche une opportunité de lancer l’idée d’un parti des travailleurs, indépendant des partis des patrons. Les Verts ont déjà annoncé leur intention de présenter des candidates. Solidarity, organisation d’extrême gauche a déjà soutenu des campagnes des Verts dans le Wisconsin.

Le mouvement lancé à Madison le 15 février, le plus grand depuis les années 1930, né spontanément en réponse aux plus fortes attaques contre les organisations ouvrières depuis la reconnaissance du droit de négociation collective en 1935, se trouve donc à un Carrefour. Cette énergie militante peut être absorbée par la direction réformiste, pro-démocrate du mouvement syndical et dissipée. Par contre, on peut assister à la renaissance d’un mouvement ouvrier, démocratique, militant, indépendant des deux partis capitalistes, qui sait défendre toutes les victimes de la société capitaliste.

Milwaukee, 13 mars 2011

Sur le même thème : États-Unis

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...