Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique québécoise

Contre un budget marqué au coin de l’austérité,

Un programme d'urgence pour faire face à la crise est nécessaire !

Le discours d’ouverture de la première ministre Pauline Marois était bien ficelé. Des mesures nombreuses, une place importante faite à l’économie, des propositions sur le développement des énergies renouvelables, une série de projets de politiques nationales, des mesures sociales comme le développement de places en garderie... Voilà pour la forme. Mais l’essentiel, les politiques structurantes sont ailleurs. Il y avait d’abord 1. la volonté de s’attaquer à la corruption, 2. une politique énergétique visant à exploiter le potentiel pétrolier du golfe Saint-Laurent, 3. une croissance économique centrée sur l’accompagnement public des investissements privés dans l’exploitation des richesses naturelles et de la forêt et 4. un soutien sans faille à l’Accord de libre-échange avec l’Europe.

La lutte à la corruption va-t-elle exclure l’essentiel ?

Le gouvernement Marois promet de resserrer les règles d’attribution des contrats afin de pouvoir écarter les entrepreneurs véreux. C’est le sens du projet de la loi 1. Il envisage également d’en finir avec le financement frauduleux des partis politiques par la réduction du niveau des contributions à $100 et le renforcement du financement public des partis politiques.

Même si ces intentions sont louables, il faut vraiment regarder la réalité par le petit bout de la lorgnette pour ne pas voir que ce n’est pas la présence des entreprises mafieuses dans la construction ou les transports qui constituent les deux principales sources de la corruption.

La première est sans aucun doute la fraude fiscale et les pratiques éhontées d’évasion fiscale qui conduisent à des pertes de milliards pour le Trésor public. Comme l’écrit Alain Denault : « Des instances canadiennes ont "investi" 146 milliards de dollars en 2008 dans les paradis fiscaux, selon des sources gouvernementales. Un cinquième de ces placements proviendrait du Québec ». [1] Cela, c’est sans parler, du processus de défiscalisation qui a coûté d’autres milliards au gouvernement. Ces baisses d’impôt ne sont ni plus ni moins que des cadeaux faits à l’oligarchie économique par leurs amis placés aux commandes du pouvoir politique. Une réforme radicale de la fiscalité est donc essentielle à cet égard, sinon les activités illégales du capital financier resteront en dehors de la lutte à la corruption.

La seconde source de la corruption est la privatisation des travaux publics. Le rapport Duchesneau a démontré que cette privatisation crée les conditions d’attribution frauduleuse de contrats et des dépassements de coût. Le discours d’ouverture mentionne qu’une « vingtaine de projets d’infrastructure prioritaires au Québec enregistrent à l’heure actuelle des dépassements de coûts de l’ordre de 80% ! » Cette privatisation provoque, en plus, une perte d’expertise au Ministère des Trnsports qui doit confier à des firmes d’ingénieurs privées la surveillance des travaux ce que le Ministère ne peut plus faire lui-même. Les projets de construction des centres hospitaliers en Partenariat-Public-Privé ont été également à la source de dépassements de coût considérables. Pour en finir avec la corruption et le gaspillage, il faut mettre fin aux conditions qui permettent son apparition. La fin de la privatisation des travaux et des services publics est essentielle pour s’attaquer à la corruption. Il n’y aura pas de tolérance zéro en deçà de ce seuil.

L’exploitation du pétrole

L’exploitation du potentiel pétrolier dans le Golfe a été le premier élément de la politique énergétique présenté dans le discours de la première ministre. La priorité, ce n’est pas la transition écologique vers les énergies renouvelables qui ne pourraient être assurées que par de vastes investissements publics. Et, on sait que le Golfe est un milieu où tout déversement pétrolier serait particulièrement destructeur tant pour l’environnement et pour l’économie de la région.

Mais la nécessité d’en finir avec l’exploitation des hydrocarbures ne relève pas d’abord des accidents environnementaux si dramatiques soient-ils auxquels cette exploitation peut donner lieu. Si le gouvernement fait du facteur de la rentabilité immédiate le facteur déterminant, ce sont les hydrocarbures qui vont être développés. C’est créer les conditions du maintien de la filière carbone avec toutes les conséquences désastreuses sur la crise climatique. De plus, si le gouvernement laisse à l’initiative privée le développement des énergies renouvelables, ce développement se fera sans plan d’ensemble alors qu’en ce domaine plus qu’en toute autre une planification écologique s’avère absolument essentielle, non seulement pour sauvegarder l’environnement, mais pour favoriser une véritable implication citoyenne.

Une croissance économique centrée sur l’accompagnement public des investissements privés dans l’exploitation des richesses minières et forestières.

Le Québec d’aujourd’hui a besoin d’une politique industrielle centrée sur le développement des énergies renouvelables et du transport électrifié. Se contenter d’un accompagnement et du soutien gouvernemental dans l’exploitation des richesses minières et forestières dans le cadre du Plan Nord mal redéfini, c’est demeurer enfermé dans une économie extractiviste alors que la transition écologique doit devenir l’axe de la reconstruction de notre économie.

L’appui enthousiaste au libre-échange avec l’Europe

L’appui enthousiasme à l’Accord de libre-échange avec l’Europe n’est pas sans nous surprendre alors que ce dernier a été négocié dans le plus grand secret, sans qu’aucune intervention citoyenne n’ait été et ne soit possible pour en mesurer l’impact. Cet accord met à risque nos marchés publics. Il exercera des pressions à la privatisation sur l’eau et nos ressources naturelles. Il aura un impact considérable, car cet accord ouvrira le territoire du Plan Nord (et ses ressources) aux entreprises étrangères et interdira au gouvernement de favoriser des produits locaux, des entreprises locales ou des travailleurs locaux, nuisant ainsi au développement local et régional. Prétendre qu’il va ouvrir un marché de 500 millions de personnes alors que l’Europe est marquée par une crise profonde et structurelle, c’est un pur miroir aux alouettes.

Les organisations patronales se disent satisfaites des intentions gouvernementales présentées dans le discours inaugural.

Le Conseil du patronat souligne la place significative donnée à la création de richesses. Il souligne l’importance de l’appui annoncé à l’exploitation des richesses forestières et minières et le soutien à l’innovation et au partenariat. Mais, il appelle à une gestion rigoureuse des finances publiques et met en garde le gouvernement contre la mise en place de généreux programmes sociaux. Il rejette également toute modification au régime de redevances minières.

La Fédération de l’entreprise indépendante félicite un gouvernement qui veut accélérer la croissance, mais il souligne la nécessité de maintenir une fiscalité compétitive et une réglementation qui ne doit pas être trop lourde. La Fédération se réjouit que le gouvernement Marois soutienne l’Accord de libre-échange avec l’Europe. Somme toute, malgré, certains rappels à l’ordre, les organisations patronales se montrent ouvertes et considèrent que le gouvernement a été attentif à leurs doléances.

Les organisations syndicales et populaires accueillent, elles aussi, favorablement les intentions gouvernementales.

Jacques Létourneau, le nouveau président de la CSN, qualifie de prometteuses les mesures pour éradiquer la corruption. Il demande au patronat de souscrire au contrat social qu’offre le Parti québécois par ce discours. Mais, il indique quelques préoccupations importantes : - l’exploitation du pétrole devra se faire sous très haute surveillance ; - le prochain budget devra entamer une réforme de la fiscalité pour qu’elle soit plus progressive et le gouvernement devra s’attaquer à l’évasion fiscale.

La Centrale des Syndicats du Québec accueille, elle ayssi, positivement le discours de Pauline Marois et sa promesse de nettoyer et de briser de fond en comble la corruption. Elle souligne que pour le gouvernement, le développement économique ne doit pas seulement se faire au service des entreprises, mais également pour favoriser le développement social.

La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec indique d’abord son intention de collaborer de bonne foi avec le gouvernement tout en restant vigilant. Elle souligne l’importance mise par le gouvernement à s’attaquer à la lutte contre la corruption dans l’octroi des contrats et dans le financement des partis politiques. Mais elle souhaite l’abolition complète de la taxe santé et suggère la mise en oeuvre d’une réforme de la fiscalité en ajoutant des paliers d’imposition. Elle appelle à réviser l’échéancier visant l’équilibre budgétaire qui ne peut mener, s’il est maintenu, qu’à des compressions budgétaires... Elle souligne également la nécessité de viser, dans le cadre du développement des ressources naturelles à une deuxième et troisième transformation.

En somme, si le mouvement syndical se dit d’emblée plutôt satisfait, il demande le report de l’atteinte de l’équilibre budgétaire et demande une réforme significative de la fiscalité. Mais, il n’oppose pas la nécessité d’un vaste plan d’investissements publics pour faire face à la crise

Un programme d’urgence pour faire face à la crise

Alors que l’économie entre en récession, le discours d’ouverture de la première ministre est hors sol. Il ne tient pas compte de ce ralentissement économique. Il ne prend pas en compte que dans une telle période la dépense publique va s’avérer nécessaire pour relancer l’activité économique surtout si on veut réaliser une véritable transition écologique au niveau des énergies et du transport.

Une réforme fiscale radicale doit être menée et s’attaquer à la fraude fiscale et à tous les mécanismes d’évasion fiscale. La lutte contre la corruption ne peut éviter cette dimension essentielle. Cette réforme de la fiscalité doit s’accompagner par une lutte dans la redistribution de la richesse...

Non seulement il faut demander le report de l’objectif de l’équilibre budgétaire, mais il faut refiscaliser les hauts revenus et taxer les revenus financiers et les grands patrimoines pour pouvoir être à même de mener une politique de réinvestissement majeur en éducation, en santé et bloquer le processus de privatisation rampante à ce niveau. Il faut abolir la taxe santé et renoncer aux hausses de tarifs d’hydro-électricité et assurer la gratuité scolaire à tous les niveaux.

Un véritable programme d’urgence doit aussi donner une responsabilité publique à une planification écologique favorisant les énergies renouvables en mettant de l’avant de grands chantiers publics au niveau de l’électrification des transports, du développement de l’industrie éolienne, solaire et géothermique.

Pour imposer une telle logique, la gauche sociale et politique doit définir une plate-forme revendicative précise et mener une campagne politique auprès des mouvements sociaux pour les rallier à une telle perspective.


[1Paradis fiscaux, in Faire l’économie de la haine, Écosociété, 2011, p. 42-43.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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