Édition du 16 avril 2024

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Québec

Vivre avec les règles du néolibéralisme

La politique libérale du gouvernement Couillard

« …le néolibéralisme (…) n’est pas la quête d’un monde meilleur, mais la quête du pouvoir pour une minorité ».
« …l’héritage de deux décennies d’un consensus néolibéral (qui) est au moins parvenu à inscrire dans le conditionnement génétique de l’opinion publique deux idées jointes et conjointement fausses : 1- seul le secteur privé crée des richesses et par conséquent, 2- les impôts qui financent l’action publique sont autant de prélèvements sur ces richesses… »

24 janvier 2016

Introduction

Ces deux citations de l’intéressant livre de Jacques Généreux, Chroniques d’un autre monde, publié au Seuil en 2003, donnent des éléments qui dirigeront l’écriture de cet article. L’objectif est de mettre en lumière les racines systémiques des politiques néolibérales du gouvernement Couillard qui ne fait que succéder aux gouvernements qui ont dirigé le Québec avec les mêmes logiques et dans le même sens depuis près de 30 ans maintenant, avec des variantes à la marge.

Il se passe chez-nous ce qui se passe ailleurs dans le pays et dans le monde. Les programmes d’ajustements structurels qui ont été imposés à l’Afrique au cours des années 1980 par la Banque mondiale et le FMI n’avaient pas d’autre origine.
Avec son noyau dur d’idéologues aux postes stratégiques : Conseil du trésor, ministère des Finances et de premier ministre, le gouvernement Couillard est plus audacieux que ses prédécesseurs. Même si son discours est assez habile pour déguiser ses véritables intentions et objectifs, il est quand même plus direct et plus clair que celui de ses précurseurs, mais c’est dans ses actions qu’on trouve sa véritable substance. Il s’agit d’un gouvernement néolibéral avec tout ce que cela comporte ; et ne nous laissons pas abuser par les quelques reculs qu’il a pu opérer de temps à autres. Sur le fond il ne cède rien.

Quelques éléments incontournables du néolibéralisme

1- Le gouvernement minimal (peut-on trouver un autre qualificatif ?) et le rejet des services à la population, sauf obligation absolue.

Cette règle vient avec la conviction des néolibéraux que les marchés sont aptes et ont pour vocation de satisfaire tous les besoins de la population. Tous les services deviennent donc des marchandises et les gouvernements doivent actualiser cette marchandisation, et c’est, sans le dire, la destruction des droits sociaux. On en laisse traîner l’idée dans les textes et les discours parce que sans danger ; dans l’action ils n’existent plus ou sont largement disparus.

Prenons l’exemple de l’éducation. S’instruire et s’éduquer s’achètent aux fournisseurs de ces « marchandises ». Comme l’égalité entre les consommateurs et les « produits » sont réputés égaux, dans cette conception des rapports sociaux, on s’attend à ce que tous et toutes s’y fournissent ??? à la hauteur de leurs moyens bien sûr. Pour faire passer « l’arnaque », on valorise la liberté de choix des consommateurs, mais la réalité est que les rapports de marchés sont tout sauf égalitaires et qu’il y aura toujours dans nos sociétés de plus en plus inégalitaires, une partie de la population qui ne pourra pas entrer dans ce jeu. C’est alors, et seulement alors, que l’État offrira un minimum de services qui lui permettra d’éviter les scandales humanitaires.

Comment on y arrive ? On fait ce qui se fait au Québec depuis bien longtemps : on laisse se détériorer les conditions de production des services publics, ce qui décourage une partie de la population encore capable de se présenter sur les marchés privés et d’y trouver vaille que vaille l’amélioration qu’elle cherche. Les réseaux privés sont encouragés, soutenus par l’État directement ou non quand ils n’existent pas déjà.

Je ne reviens pas ici sur le réseau privé d’éducation au Québec largement subventionné par l’État, nous connaissons bien cette situation. Il se passe la même chose peu ou prou depuis une vingtaine d’années dans le réseau de la santé. Il est vrai qu’on y trouve une quantité faramineuse de mauvaises règles d’administration, mais sur le fond, le processus de détérioration du secteur va de pair avec celui de l’expansion du secteur privé. On lui a donné toutes sortes de structures et de dénominations mais le fait est que la méthode et l’objectif sont clairs. Que sont les cliniques familiales, sinon des pseudo-CLSC, soutenues par le gouvernement au moment de leur installation et tout au long de leur fonctionnement. À ce qui était prévu à titre de subventions au départ, sont venus s’ajouter des financements pour les installations informatiques, pour les dépenses de gestions et les professionnels-les qui y travaillent sont, dans la plupart des cas, du personnel détaché ??? des CLSC du secteur.

On a fait passer au « privé » la radiologie presque en entier. On a vu naître les cliniques affiliées aux grands hôpitaux et le retrait de toute une série de services internes, notamment d’entretien, pour les confier à la sous-traitance sous prétexte d’épargner, alors que les syndicats faisaient la preuve par quatre qu’il n’en serait rien ; d’ailleurs la pratique l’a démontré depuis.

Ce ne sont que des exemples et dans des secteurs bien précis. Une observation un peu curieuse permet d’en voir à satiété. L’article de Jacques B. Généreux, dans notre édition du 26 janvier courant, en illustre un autre aspect dans un autre secteur différent.

2- Pour l’uniformité, ce point devrait avoir un titre comme le point 1

Nous venons de le voir, un des outils de l’exercice néolibéral passe par la dégradation objective des services publics jointe à une hausse des frais pour y accéder. L’argument invoqué pour justifier cette manœuvre est celui des taxes et des impôts. Il s’agit d’une médaille à double face : imposer au minimum possible les entreprises et les plus riches pour arriver à une situation où les finances publiques sont extrêmement limitées, justifiant ainsi des coupures (pour alléger la phrase) dans les services publics à la hauteur des besoins et surtout dans une optique de développement généralisé de la nation. L’État n’a plus les moyens ! L’avons-nous assez entendue celle-là. La responsabilité individuelle est brandie, mais, « elle devient (ainsi) la culpabilité des plus faibles et (le) mérite des plus forts (…) Affirmer que les pauvres et les chômeurs sont responsables de leur sort est en effet un moyen d’exonérer les autres de leurs propres responsabilités et justifie l’allégement de leur contribution fiscale à la production de services collectifs accessibles à tous » [1]. Effectivement, la baisse des impôts, même pour la classe moyenne, est mise de l’avant comme un bienfait de cette politique d’appauvrissement de l’État, comme si quelques dollars de moins payés pour les biens collectifs pouvaient compenser pour l’achat des services dans le secteur privé.

Dans les faits, comme le mentionne la deuxième citation tirée du livre de J. Généreux, le néo libéralisme considère les impôts comme un prélèvement (indu) sur les richesses créées par le secteur privé puisque lui seul est réputé pour le faire. Or, c’est une fausseté à sa face même. Même si à force d’y travailler ils et elles sont en passe de s’exclure de la société en général, leur place est encore là ???.

L’État charitable

Dans cette logique, faute de pouvoir encore faire autrement, l’État maintiendra les services minimums à la population. C’est l’État charitable ou compassionnel, comme le disait G.W. Bush en son temps, laissant aussi aux organisations communautaires et charitables le soin de prendre en charge les besoins de ces populations incapables financièrement d’acheter ce que les marchés leur offre. En plus, pour ajouter l’injure à l’insulte, des frais dits « accessoires » ou des contributions supplémentaires seront exigés par l’État de la part de ses « clients-es » comme nous l’explique d’Alain Denault dans son article publié sur le site de Presse-toi à gauche du 26 janvier courant. Nous payons deux fois : une fois comme contribuables et une autre par la tarification. Le ministre de la Santé et des Services Sociaux ne vient-il pas de légaliser les frais accessoires exigés par les cliniques privées au prétexte qu’ils devront être « justes » et les CPE devront facturer les frais de garde selon le revenu des parents. On sait depuis un certain temps que le mécanisme de remboursement des frais de garde dans le réseau privé via l’impôt est plus favorable aux parents plus fortunés que celui du taux journalier prescrit aux CPE.

En guise de protestation, compléter les phrases

Il est difficile dans un seul article, de faire état des multiples facettes et manifestations de l’idéologie néolibérale ; car il s’agit bien d’une idéologie, d’une religion.


[1J. Généreux, Chronique d’un autre monde, op.cit. p. 286

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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