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Entrevue avec le président du STTP, Mike Palecek, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes

Alors qu’une grève se prépare à Postes Canada, la Riposte socialiste s’est entretenue avec le président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), Mike Palecek, pour parler du conflit de travail actuel et de l’avenir des luttes des travailleurs en cette période de crise capitaliste.

26 septembre 2018 | tiré de Riposte socialiste

La Riposte socialiste : Bonjour Mike, premièrement, merci d’avoir accepté de nous accorder cette entrevue. Peux-tu nous donner une mise en contexte à propos de la lutte présentement en cours à Postes Canada ?

Mike Palecek : Au cours de la dernière décennie, les postiers ont fait face à des restructurations, de l’ingérence politique ainsi que des violations de notre droit constitutionnel à la négociation collective sans entrave. En résumé, les conditions des postiers se sont détériorées de façon drastique. Nous travaillons aujourd’hui de longues heures, les itinéraires des facteurs s’allongent, et nous n’avons pas été en mesure de résoudre ces problèmes, précisément parce que nos droits constitutionnels ont été violés de manière répétée. Le gouvernement tient de beaux discours, mais n’a réalisé aucun changement concret.
Nous en sommes au point où nous avons fait tout en notre pouvoir afin de trouver une solution à ces problèmes sans avoir recours à la grève. Nous en sommes désormais à notre arme de dernier ressort. Il n’était nullement nécessaire d’en arriver là.

LRS : Merci pour cette mise en contexte. Quels sont les enjeux concrets propres à cette grève ?

MP : Oui, alors, l’équité salariale demeure un enjeu majeur pour les postes de factrice ou facteur rural ou suburbain (FFRS). Il s’agit d’une injustice qui perdure depuis des décennies. Depuis toujours, Postes Canada traite les FFRS comme des travailleurs de seconde zone et les paye environ 30 sous de moins que les facteurs des unités de négociation des régions urbaines, qui font exactement le même travail. Évidemment, la différence est que les unités de négociation en régions urbaines sont composées majoritairement d’hommes alors que les unités de FFRS sont composées majoritairement de femmes. L’enjeu ici est donc l’équité salariale.
Pour les travailleurs en zone urbaine, la surcharge de travail et tous les problèmes générés par l’augmentation massive du volume de colis que nous avons observée au cours des dernières années doivent être résolus. En résumé, les enjeux principaux sont les salaires et les conditions de travail.

LRS : L’équité salariale est donc un enjeu majeur, mais il y a aussi la détérioration de vos conditions de travail depuis la dernière grève, en 2011, où une loi spéciale de retour au travail vous a été imposée.

MP : Exactement. Nous avons été forcés de retourner au travail par une loi anticonstitutionnelle. Le résultat final est que nous avons été forcés d’accepter des concessions majeures. Nous tentons aujourd’hui de rectifier partiellement cette injustice. Nous avons des gestionnaires qui semblent vouloir dire « D’accord, c’était injuste, mais passons à autre chose », mais ils ne souhaitent pas réellement résoudre les problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés. Pour nous, c’est tout simplement inacceptable.

LRS : Cela nous mène très bien aux prochaines questions. Premièrement, félicitations pour le vote de grève massif. C’est certainement une bonne démonstration de force. Quel est l’état d’esprit général chez les membres de la base ?

MP : J’ai visité des milieux de travail à travers le pays au cours des dernières semaines. Ce que j’entends de la part des membres, c’est qu’ils sont à bout. Il faut régler cette situation, et vite. En toute franchise, nous ne sommes que quelques mois avant Noël et notre système a déjà dépassé sa capacité. Nous en avons déjà plein les bras et faisons déjà de longs quarts de travail. Les travailleurs sont tout simplement terrifiés de ce qui va se produire dans le temps des fêtes si tout cela n’est pas réglé. Je pense donc que le mandat de grève fort des deux côtés est à la fois une reconnaissance que quelque chose doit changer et que les membres sont prêts à agir pour y arriver.

LRS : C’est encourageant de voir que les travailleurs ont une humeur militante et qu’ils veulent riposter. Tu as déjà mentionné la loi spéciale de retour au travail qui vous a été imposée en 2011. Si on regarde partout au pays et dans le reste du monde, les gouvernements ont de plus en plus recours à ce genre de loi pour mettre fin aux grèves. Si une telle loi vous est encore imposée, comment avez-vous prévu de réagir cette fois-ci ?

MP : Je ne peux pas dire précisément ce que l’on ferait dans une telle situation. Je dirais cependant que depuis que la loi est entrée en vigueur en 2011, elle a été invalidée par les tribunaux et déclarée anticonstitutionnelle et, dans un autre cas, le droit de grève et celui à des négociations collectives sans entrave ont été enchâssés dans la Charte, enchâssés dans la Constitution, par une décision de la Cour suprême du Canada. Les plus hautes autorités du pays, les plus hautes instances juridiques, ont indiqué que ce type de loi est illégal.
Si on en arrive au point où le gouvernement tente d’imposer une loi spéciale de retour au travail qui nous prive de nos droits fondamentaux, même après toutes ces décisions judiciaires, je pense qu’on doit se demander si le droit de grève veut vraiment dire quelque chose dans ce pays. En fait, juste en regardant les lois, le Canada dispose déjà d’une législation parmi les plus restrictives au monde en ce qui a trait au droit de grève. Dans la majeure partie du monde, les gens ont le droit d’arrêter de travailler quand ils le veulent pour des enjeux sans lien avec la convention collective. Même aux États-Unis, les travailleurs non-syndiqués bénéficient d’une protection pour des actions concertées. Ils sont protégés par la loi s’ils désirent faire la grève. C’est une des raisons pourquoi nous avons vu des mouvements de masse dans l’industrie de la restauration rapide dans ce pays, parce qu’ils ont cette protection enchâssée dans la loi. Les lois et restrictions sur le droit de grève sont donc encore pires au Canada qu’aux États-Unis.
Dans ce contexte, il n’y a pas de voie légale pour que les gens puissent exercer leurs droits fondamentaux, ils doivent donc passer par d’autres voies pour y arriver.

LRS : C’est ce que nous avons vu cet été avec les grutiers du Québec qui ne sont pas rentrés au travail malgré la loi. Ils sont finalement retournés au travail suite à des menaces d’amendes et de peines de prison. Je pense que vous soulevez un point intéressant en disant qu’il est possible de faire invalider la loi par les tribunaux mais qu’en fin de compte, il doit y avoir une certaine forme de désobéissance civile.

MP : Exactement. Nous avons tous les deux participé au mouvement anti-Cambell, en Colombie-Britannique, où nous d’abord avons vu les auxiliaires d’enseignement, puis les travailleurs des traversiers, les employés des hôpitaux et le BCTF, un syndicat après l’autre défier la loi spéciale de retour au travail. Il faut admettre que cela a pris un certain nombre d’années pour que le mouvement syndical en arrive au point où les travailleurs ont été disposés à agir de la sorte, mais il s’agit du genre de méthode qu’il nous faut pour combattre les lois de retour au travail.

LRS : Dans le même ordre d’idées, au cours de la dernière période, la direction du mouvement syndical a cherché à éviter la lutte et la confrontation, ce qui a mené à une série de défaites successives. Vois-tu la grève des postiers comme une occasion de raviver les traditions militantes de syndicalisme de combat ?

MP : Je pense que chaque grève a ce potentiel. Pour moi, on en revient aux principes de base du syndicalisme. J’ai toujours dit qu’il y a deux règles au sein du mouvement ouvrier. Première règle : on ne gagne rien sans se battre. Deuxième règle : on ne garde jamais nos acquis à moins de continuer à se battre. Abandonner la lutte est donc une forme de capitulation.

Cette entrevue a été modifiée par souci de longueur et de clarté.

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