Édition du 26 mars 2024

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Éducation

Les défis de la loi 78

Pour que la résistance continue d'être au rendez-vous !

L’adoption de la loi 78 constitue une attaque sans précédent contre le mouvement étudiant ainsi qu’une offensive complètement arbitraire et injustifiée contre les droits démocratiques de l’ensemble de la population. Mais elle ne tombe pas du ciel. Elle s’inscrit en fait dans la continuité de l’offensive patronale amorcée dans les années 1980 et qui s’est intensifiée depuis la crise financière de 2009. Partout dans le monde, les politiques d’austérité vont de pair avec des mesures répressives et une offensive contre les organisations syndicales et de défense de droits.

Cette loi constitue donc un défi lancé aux forces démocratiques de la société québécoise, d’abord pour s’unir afin de résister à la loi elle-même, mais aussi pour réfléchir collectivement afin de trouver des moyens de renverser la vapeur. Autrement, ce recul annoncé comme temporaire pourrait préparer le terrain pour des attaques futures et des défaites dont il sera de plus en plus difficile de se remettre.

Le droit de manifester

Ce qui a d’abord attiré l’attention est la section de la loi encadrant le droit de manifester. On pouvait s’y attendre étant donné que c’est la partie qui limite les droits de l’ensemble de la population et qui s’appliquait immédiatement. La manifestation géante du 22 mai, le mouvement des casseroles et la continuation des manifestations nocturnes ont démontré un refus très clair d’une partie de la population à se soumettre à cette nouvelle législation. De plus, le fait que les forces policières, même lors de vagues d’arrestations, n’ont pas invoqué ce chapitre de la nouvelle loi, tend à démontrer son inutilité. La question du caractère légal ou illégal des diverses manifestations est de plus en plus confuse, la police déclarant souvent qu’une manifestation est « illégale mais tolérée ». En fait, la seule utilité de cette section de la loi, du point de vue du gouvernement, aura été de créer une grande diversion par rapport à son objectif central qui était de rendre illégales les grèves étudiantes afin d’imposer la hausse des frais, ce dont presque personne ne parle.

La grève étudiante

L’idée que les étudiantes et les étudiants ont le droit de décider collectivement et démocratiquement de faire la grève n’obtient pas l’adhésion spontanée de bien des gens. Les efforts du gouvernement et des commentateurs de droite visant à remplacer le terme « grève » par celui de « boycott », ainsi que le contenu des nombreuses injonctions accordées par la cour à de petits groupes d’étudiants ont préparé le terrain pour la loi 78.
Il sera très difficile pour les associations étudiantes de défier une telle législation. Les sanctions contre les organisations et leurs responsables sont très lourdes. Le retrait d’une session de cotisation par jour de grève - ou même de tentative de grève - pourrait handicaper les associations étudiantes les plus militantes du Québec pour plusieurs années. La contestation judiciaire de la loi elle-même et des diverses sanctions en découlant pourrait accaparer des énergies qui ne seront pas disponibles pour mobiliser la population étudiante contre de futures attaques.

La FEUQ et la FECQ semblent déjà avoir abandonné l’idée de défier la loi pour se concentrer sur la contestation judiciaire. Même l’intention affichée par la CLASSE reste à préciser et à démontrer en pratique. Quelles associations locales seront disposées à prendre de tels risques dès le mois d’août dans un mouvement de grève probablement très minoritaire ? Un nouveau plancher devrait-il être déterminé pour cette phase de la mobilisation ? Si quelques associations décident d’aller au front pour tester la loi, le reste du mouvement étudiant et ses alliés seront-ils disposés à en partager les coûts et à soutenir cette avant-garde ?

S’il fallait que la plus grande mobilisation étudiante de l’histoire du Québec se termine par la négation légale du droit à faire la grève et la démolition des organisations les plus militantes, en plus du maintien de la hausse des frais, on pourrait assister à une démoralisation majeure conduisant à la passivité pour la majorité et à l’ultra-radicalisme pour une petite minorité de plus en plus criminalisée. Le mouvement pourrait mettre une décennie à s’en remettre.

Autrement dit, il faut développer une stratégie en vue de gagner sur la question de fond des frais de scolarité, le seul véritable test du rapport de force et la meilleure manière de préserver la capacité d’action du mouvement étudiant. Pour ce faire, on doit renforcer la solidarité pour protéger les organisations étudiantes et leurs directions, élargir la mobilisation et les appuis sur la question des frais, et ultimement gagner le débat sur les meilleurs moyens de rendre l’éducation accessible à toutes et tous. Autrement, le camp des partisans de la « ligne dure » (PLQ, CAQ, Quebecor, Power corp, CPQ, IEDM…) va pouvoir maintenir son hégémonie et risque de remporter les prochaines élections, ce qui préparerait le terrain pour de nouvelles offensives.

Une loi pas si « spéciale »

C’est la première fois qu’une loi matraque vise le mouvement étudiant. Mais le mouvement syndical a une longue expérience dans le domaine. Depuis que les travailleuses et travailleurs du secteur public ont obtenu le droit de grève au milieu des années 1960 face à un Jean Lesage qui estimait que « la reine ne négocie pas avec ses sujets », le recours à ce type de législation a été fréquent. À l’exception du Front commun de 1972, qui était venu très près de défier une loi spéciale massivement, toutes ces lois ont été respectées par les organisations syndicales. En plus du code du travail et de la loi sur les services essentiels qui en limitent déjà grandement l’exercice, les lois spéciales (adoptées ou brandies comme une menace) complètent l’arsenal gouvernemental ayant pour résultat de nier, à toute fin pratique, le droit de grève pour l’ensemble du secteur public.

Le gouvernement majoritaire conservateur à Ottawa a déjà démontré que ce type de loi sera la nouvelle norme pour tous les secteurs économiques sous juridiction fédérale. À peine un an après son élection, il s’en est déjà servi contre des travailleuses et travailleurs de Poste Canada, Air Canada et Via Rail. On comprend pourquoi des syndicats de partout au Canada ont contribué au fond de défense légale de la CLASSE. On comprend aussi la logique d’une implication des centrales syndicales québécoises dans les démarches judiciaires entreprises pour faire annuler des aspects de la loi 78. Mais il faut aller plus loin.

La loi 78 nous démontre la nécessité de reprendre l’initiative et de défendre - par des moyens dépassant les limites strictes de la légalité s’il le faut - les droits collectifs fondamentaux, incluant le droit de grève. Le gouvernement Charest, par ses politiques, tente de nous ramener aux années 1950 sur le plan des droits sociaux. Serait-il temps de ramener les méthodes de combat des années 1950 et de s’inspirer de la détermination des Madeleine Parent et Michel Chartrand ?

En 1972, Louis Laberge, président de la FTQ avait qualifié la loi spéciale contre le Front commun de fasciste et invité ses membres à la défier. L’emprisonnement de Laberge, Charbonneau et Pépin avait provoqué une vague de grèves « illégales » dans le secteur privé. C’est là, dans un élargissement de la lutte plutôt que son rétrécissement, que se trouve la seule réponse valable à l’abus de pouvoir. C’est ce qui a permis au mouvement syndical de faire des gains cette année-là et lors des deux rondes de négociation suivantes. La loi spéciale de 1972 avait été brisée par la grève générale de mai.

Des appels à la grève générale politique ou « grève sociale » ont commencé à se faire entendre dès les premiers mois du régime Charest, en réponse à une série de lois antisyndicales adoptées à la fin de 2003. Des résolutions allant dans ce sens ont été adoptées par plusieurs organisations, sans toutefois mener à des opérations concrètes d’organisation et de préparation. Cette idée est revenue sur le tapis en raison du conflit étudiant. Il s’agit d’un moyen d’action fréquemment utilisé en Europe pour contester les plans d’austérité. Développer un plan d’action concret en vue d’une telle grève, avec comme revendication l’abrogation de la loi 78 (et possiblement d’autres revendications rassembleuses) serait un complément nécessaire aux démarches judiciaires et un moyen de rétablir le rapport de force en faveur du mouvement étudiant et par extension de l’ensemble des mouvements sociaux.

On parle aussi dans certains cercles de l’idée d’États généraux des mouvements sociaux. En effet, les attaques patronales ne visent pas que les personnes syndiquées ou aux études. C’est tout le 99% de la population qui ne profite pas du système qui est visé, notamment par les politiques sociales et environnementales. L’unité des mouvements face à des gouvernements (tant à Québec qu’à Ottawa) déterminés à miner nos acquis sociaux et à nous faire payer les coûts de la crise économique justifie certainement que l’on travaille de concert et avec une nouvelle gamme de moyens incluant la grève sociale et ce, peu importe qui remportera les prochaines élections.
D’ici là, il faut continuer à manifester tout au long de l’été. Si le but de la loi 78 était de rétablir la paix sociale si chère aux gens d’affaire, aux maires et au premier ministre, l’absence de paix sociale démontrera l’échec de la loi et achèvera de miner la crédibilité du gouvernement. Qui sait, peut-être trouveront-ils finalement le chemin d’une véritable négociation ?

La grève étudiante, la loi 78 et les prochaines élections

Si la clé de toute riposte efficace est dans la rue et dans les mouvements de masse, on ne peut ignorer l’importance du terrain électoral et parlementaire. En effet, si la prochaine Assemblée nationale est composée en majorité de députés du PLQ et de la CAQ, nous risquons de nous retrouver avec un prolongement et un pourrissement encore plus prononcé du régime Charest, sans parler d’une série de nouvelles attaques législative et réglementaires contre les syndicats, les groupes communautaires, les mobilisations citoyennes, etc. Un tel gouvernement, pour faire toute la place au développement des industries minières et gazières, prendra les grands moyens pour faire taire toute opposition.

La solution la plus évidente consiste à « sortir les sortants » en élisant un gouvernement péquiste dirigé par Pauline Marois. « Le PQ a voté contre la loi 78 : ça devrait être suffisant. » Québec solidaire, à environ 10% dans les intentions de vote, n’apparait pas comme une alternative gouvernementale crédible ou une option efficace pour battre les candidatures libérales ou caquistes dans bien des circonscriptions.

Mais il ya un gros problème avec cette approche, et c’est que l’offensive patronale dont la loi 78 constitue l’expression la plus effrontée et brutale jusqu’à maintenant a été amorcée par le Parti québécois à l’époque où Marois commençait sa carrière politique comme Ministre de la pauvreté. Les gouvernements péquistes ont notamment adopté des lois matraques particulièrement vicieuses contre les enseignantes et les enseignants en 1982 et contre les infirmières et les infirmiers en 1999.

Pas étonnant que l’attitude du PQ dans le conflit étudiant ait été aussi rempli d’ambigüités. Mme Marois s’est exprimé contre la hausse… pour le moment, en évoquant un énième forum de discussion sur le financement des universités, puis l’indexation des frais avec l’inflation. Elle s’est prononcée contre le recours aux injonctions…tout en appelant les étudiantes et les étudiants à les respecter scrupuleusement. Maintenant, son parti promet d’abroger la loi 78… mais demande qu’on lui obéisse sans nuance en attendant.

Les mouvements sociaux ne peuvent pas se fier à un allié ayant une histoire aussi trouble et une propension aussi évidente à essayer de ménager la chèvre et le chou. Le fait est que la construction d’une alternative de gauche enracinée dans les luttes sociales est une tâche incontournable dans toute stratégie visant à renverser la vapeur pour remettre à l’ordre du jour des notions comme la justice sociale, la lutte à la pauvreté, la protection de l’environnement, l’égalité des droits, le féminisme, etc.

Même les adeptes du « vote stratégique » devraient admettre que dans la plupart des circonscriptions, la question d’un appui circonstanciel au PQ pour éviter une victoire du PLQ ou de la CAQ ne se posera même pas. Bien des circonscriptions sont des château-forts d’un parti ou d’un autre. Plusieurs batailles opposeront le PLQ et la CAQ. Plusieurs comptés sont maintenant gagnables pour Québec solidaire. Il restera quelques cas. Mais même dans ces situations, une bonne partie de l’électorat préférera s’abstenir que de voter PQ si on ne présente pas une alternative progressiste crédible.

Aussi, dans la prochaine Assemblée nationale, un contingent respectable pour QS pourrait faire toute une différence, et ce peu importe la répartition des autres sièges. L’expérience de trois ans et demi avec un seul député de QS devrait suffire pour en faire la démonstration. Et si le PQ forme le prochain gouvernement, il faudra continuer à mobiliser contre des politiques en continuité sur le fond avec celles du régime précédent, même si le style, le rythme et le discours pourront changer. Dans ce contexte, chaque vote obtenu par Québec solidaire lors de l’élection sera un signal politique de plus que la résistance sera au rendez-vous.

Au bout du compte, dans la lutte contre « l’État rouage de notre exploitation » et contre cette « école au service de la classe dominante » que veut nous imposer le gouvernement Charest, « ne comptons que sur nos propres moyens ». Mobilisons dans la rue et votons Québec solidaire.

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