Édition du 16 avril 2024

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Le blogue de Pierre Mouterde du 7 août

Élections pièges à cons ? - Loin d’être un vote suicidaire, le vote pour Québec solidaire est un vote d’avenir

On le sait, dans la mouvance étudiante et auprès des militants les plus engagés du Printemps Érable, il y a une réelle méfiance pour le jeu électoral. À tel point que beaucoup seraient portés à ne pas vouloir aller voter. Voire même à prôner le vote blanc ou plus radicalement encore à encourager le boycott actif, en reprenant à leur compte le fameux slogan du mai 68 français : élections pièges à cons !

À première vue –en regardant comment a été lancée cette campagne électorale d’août 2012— on serait presque tenté de leur donner raison. Tout a priori ne le laisse-t-il pas penser ?
Depuis le scrutin uninominal à un tour permettant au Parti libéral de gouverner et d’imposer des lois scélérates même s’il ne représente pas une majorité d’électeurs, jusqu’au monopole médiatique laissant le champ libre à 2 grandes familles de la province (Peladeau et Desmarais) pour manipuler les sondages et orienter de grands pans de l’opinion publique. Sans parler de ce calcul retors de déclencher des élections en plein été, en espérant que les gens –à peine revenus de vacances— ne se presseront pas trop pour aller voter.

Bien des faits tendent donc à prouver que le jeu électoral actuel, hérité des traditions politiques coloniales britanniques, est tout, sauf démocratique. Et que cette apparente liberté de voter pour le candidat de son choix cache en fait une manipulation savamment orchestrée permettant aux grands lobbies économiques d’imposer en dernière instance leurs candidats, en donnant l’impression —la fausse impression— que le peuple reste l’ultime souverain. Il n’y a qu’à songer aux débats télévisés que prétend organiser le groupe TVA ; réservés aux seuls partis ayant fait allégeance avec le néolibéralisme : PLQ, PQ, CAQ.

Un lieu où se constitue un pouvoir politique

Il reste que ces jugements –aussi vrais soient-ils par ailleurs—oublient un élément essentiel : si la scène électorale n’est qu’une scène, et une scène en partie truquée, elle n’en est pas moins un lieu où non seulement s’exprime mais aussi et surtout se constitue un pouvoir politique lourd de conséquences, expression de rapports de force traversant la société entière.

Il peut donc être utile de s’y faire entendre, de tenter de l’influencer. Non pas en pensant que tout se décide à l’Assemblée nationale ou même au gouvernement, et que la rue, les mouvements sociaux et la société civile ne comptent dorénavant plus. Mais au contraire en se proposant d’être l’expression sur la scène électorale de ce que à quoi aspirent la rue et la société civile d’en bas, en choisissant d’être les représentants/députés de ceux et celles qui ne sont pas pris institutionnellement en compte. Et ils sont légions.

L’intérêt de Québec solidaire

C’est l’intérêt de Québec solidaire et de la campagne qu’il mène en ce début d’août 2012. Parti des urnes et de la rue, il ne réduit pas son action à la seule scène électorale. Dans le sillage du printemps érable où il se trouvait aux premières loges, il peut jouer un rôle essentiel.

Car il tend à être tout naturellement le porte parole privilégié des formidables aspirations aux changement s’exprimant depuis quelques mois avec une audace créatrice inédite. D’où d’ailleurs la justesse de son slogan “DEBOUT” qui n’est pas seulement une accroche publicitaire, mais rend bien compte de cette nouveauté : pour la première fois depuis longtemps, emmenée par un mouvement étudiant à la fois uni et rebelle, a brusquement fait irruption au Québec, une opposition sociale massive et déterminée aux orientations néolibérales de Jean Charest. Une opposition sociale dont justement QS ne cherche pas, à la manière du PQ à contrôler les revendications ou à rogner les côtés les plus novateurs. Parce que tout de sa démarche et de son programme depuis sa fondation participe de ce même effort de transformation. Qu’on songe à ses projets d’éducation gratuite ; à ses préoccupations environnementales ou encore à sa critique du néolibéralisme et à ses souhaits de dépasser le capitalisme.

Un passeur de luttes et d’espoirs

Québec solidaire est donc aujourd’hui pour le Québec une sorte de passeur de luttes et d’espoirs ; mieux, le gardien sur la scène électorale des valeurs de ceux et celles que les politiques néolibérales veulent faire taire. Tout comme les étudiants qui dans leur manifeste affirment qu’ils sont “avenir”, Québec solidaire peut se targuer d’être sur la scène politique du Québec, un “parti avenir”. Au sens fort du terme. C’est-à-dire un parti qui prend au sérieux la question du pouvoir, et qui sans rien abandonner de ses utopies de transformation sociale, a fait le choix de mettre la main à la pâte, en s’engageant ici et maintenant à changer réellement les choses. Loin de toute “utopie chimérique”, en faisant le pari que le changement pour un autre monde possible, c’est d’ors et déjà qu’il se prépare.

Car s’il peut être louable d’aspirer à changer le monde, encore faut-il se donner les moyens concrets d’y parvenir. Encore faut-il s’investir dans les rapports de force réels qui traversent la société dans laquelle on vit. Pour les modifier à notre avantage ! Et ne pas aller voter, c’est s’enlever la chance, la possibilité de commencer à le faire.

En ce sens voter en cet été 2012 pour Québec solidaire, ce n’est pas renier ses aspirations à des changements sociaux radicaux. Ce n’est pas non plus faire le jeu de la politique institutionnelle en récupérant le mouvement social et en cherchant à le contrôler. Voter pour Québec solidaire, c’est faire entendre dans l’enceinte du parlement la voix des sans voix, et de tous ceux et celles qui aspirent à un autre monde possible.

Loin d’être un vote suicidaire, le vote pour Québec solidaire est un vote d’avenir.

Pierre Mouterde
Sociologue et philosophe essayiste
pierremouterde@lestempspresents.com
Site : http://www.lestempspresents.com/Les_temps_presents/accueil.html

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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