Qu’est-ce qui fonctionne au Québec ?
Lisée met beaucoup d’efforts à dénoncer la droite qui présente le Québec et ses programmes sociaux comme une sorte d’enfer. Il a certes raison, mais ce n’est pas Éric Duhaime qui pour autant a inventé les problèmes. Depuis plusieurs années y compris pendant la période où le PQ a été au pouvoir, les écarts entre riches et pauvres se sont accrus au Québec. Selon l’IRIS, l’économie du Québec entre 1976 et 2006 a progressé de 71%, mais durant la même période, 70 % des salariés ont vu leurs revenus régresser ou stagner. En contraste, le 5% le plus riche de la société a connu un bond de 24 % de ses revenus. Résultat, seulement à Montréal, 140 000 personnes ont recours à l’aide alimentaire à chaque jour. En réalité n’en déplaise à Lisée, le Québec n’est pas un « modèle ». Les programmes sociaux qui ont été arrachés aux élites depuis la révolution dite tranquille sont un acquis qu’il faut défendre, mais il y a beaucoup à faire pour améliorer la vie des gens. Rétroactivement, certains péquistes (pas tous) admettent que la politique du « déficit zéro » de Lucien Bouchard était davantage apparentée à l’Institut économique de Montréal qu’à la social-démocratie. À moins que je ne me trompe, je n’entends pas Pauline Marois soulever ces questions.
Une économie enfoncée dans le néolibéralisme nord-américain
Depuis la crise de 2008, 40 000 emplois (surtout dans le secteur manufacturier) ont été perdus, ce qui ramène le taux de chômage où il était ces 25 dernières années. Une partie de cette situation découle de ce qu’on appelle la « globalisation », qui se manifeste par la tendance des entreprises à délocaliser leurs activités vers des zones à bas salaires. Ainsi le congédiement des 1800 employés d’AVEOS découle du fait que cette entreprise et son principal client Air Canada entendent transférer une partie du travail au Salvador. Entre-temps, Bombardier accélère la production au Mexique et selon les syndiqués de Pratt and Whitney, des usines en Pologne absorbent une part croissante de cette autre grande avionnerie. Que dit le PQ sur ces questions ? Il n’y a pas si longtemps, l’ancien chef et Premier Ministre Bernard Landry affirmait que le Québec devait aller encore plus fort dans l’intégration continentale avec les États-Unis et que le PQ était le « champion du libre-échange ». Dans la campagne électorale actuelle, c’est un silence assourdissant du PQ sur ces questions.
Ce qu’on ne dit pas est quelquefois plus important que ce qu’on dit
Sur la question de l’éducation, le discours péquiste est ambigu, sans confronter la question fondamentale, qui est celle de la conception même de l’éducation et des biens publics en général. Tout le monde le sait, la lutte actuelle n’est pas sur les frais de scolarité, mais sur la marchandisation de l’éducation que laisse sous-entendre le projet de Charest. Au-delà de cette question, la défense de l’emploi et de la qualité de vie passe par l’arrêt des projets de privatisation des services publics, alors que c’est le PQ qui a commencé l’« aventure » des PPP. Sur la question des ressources, augmenter les redevances est une chose, mais reprendre le contrôle de nous-mêmes en est une autre via la nationalisation de secteurs-témoins. Peut-on être de gauche en restant ambigus sur cette question ?
Changer un système politique pourri
À l’époque de René Lévesque et plus tard sous l’inspiration de l’ancien député Jean-Pierre Charbonneau, on avait identifié que le système politique mis en place par sa Majesté britannique était un véritable carcan bloquant l’expression démocratique. Une fois arrivé au pouvoir cependant, le PQ a tabletté tout cela. ce qui fait qu’on reste coincés dans une pseudo démocratie où le vote des uns compte deux fois que le vote des autres et où on doit accepter qu’un parti « majoritaire » (avec moins de 40% des voix) peut gouverner à sa guise. Comment se fait-il que le PQ refuse d’ouvrir ce chantier ?
Le devoir de la cohérence
Il faut s’encourager comme Jean-François Lisée du fait qu’il y a une masse critique au Québec en faveur d’une transformation en profondeur. On peut penser que plusieurs citoyens et citoyennes soient prêts à confronter la droite. Ce qui ne veut pas dire que la bataille des idées est gagnée, car les élites secondées par les médias poubelles sont en mesure de faire peur et de présenter la subordination au 1 % comme un « mal nécessaire ». C’est donc sans naïveté qu’il faut considérer les difficiles combats qui sont au-devant de nous. Mais pour y arriver, il faut commencer. Il faut mobiliser, et surtout, ne pas parler des deux coins de la bouche.