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Europe

Aux Pays-Bas, la gauche de la gauche est dopée par la crise

La crise de l’euro continue de bousculer le paysage politique . Elle redéfinit en particulier, partout sur le continent, les rapports de force entre sociaux-démocrates et partisans d’une gauche plus radicale. Les élections législatives anticipées aux Pays-Bas, le 12 septembre, devraient en apporter une nouvelle preuve spectaculaire, au grand dam de bon nombre de dirigeants en Europe.

01 septembre 2012 | mediapart.fr

Car les Pays-Bas jouent un rôle clé dans les équilibres européens. Ils sont l’un des quatre derniers États rescapés du « triple A » au sein de la zone euro, que l’on croyait épargnés par la crise, avec un taux de chômage relativement bas (5 % début 2012, contre 10 % en France). Allié indéfectible de la chancelière Angela Merkel depuis le début de la crise, partisan d’une ligne dure sur la Grèce, le gouvernement du libéral Mark Rutte (droite) n’a cessé de muscler son discours sur l’austérité. À l’image des sorties de son très offensif ministre des finances, Jan Kees De Jager.

Mais l’exécutif néerlandais s’est trouvé pris à son propre piège : à force de vouloir jouer les élèves modèles en matière d’austérité, il a perdu son soutien politique en interne. En avril, au moment de passer un budget ultra-rigoureux, sa majorité à l’Assemblée éclate. En cause : la défection du parti de la liberté de Geert Wilders, populiste d’extrême droite qui soutenait jusqu’alors le gouvernement, mais qui n’a pas voulu prendre le risque, cette fois, de cautionner des mesures aussi impopulaires qu’une hausse de la TVA, ou un relèvement de l’âge de départ à la retraite. Rutte a dû jeter l’éponge et convoquer de nouvelles élections.

La campagne législative, enclenchée en juin, a été dominée tout l’été par le débat européen. Faut-il se plier aux règles budgétaires défendues par la Commission, et poursuivre sur la voie de l’austérité ? À quoi bon continuer à aider des pays du sud de l’Europe, à commencer par la Grèce ? Quid de la ratification du nouveau traité européen ? « Au moins, pour la première fois, on a vraiment débattu de l’Europe, et en ce sens, c’est une bonne nouvelle », estime Sophie in’t Veld, une eurodéputée néerlandaise, membre de Democrats 66 (D66), formation centriste ouvertement pro-européenne.

Dans ce pays de près de 17 millions d’habitants, qui avait rejeté, à 63 %, le traité constitutionnel européen en 2005, une tendance se dégage, qui en dit long sur le refus de l’Europe comme elle se construit ces temps-ci. Les quatre candidats en tête dans les sondages se présentent tous, de manière plus ou moins nette, comme des « euro-sceptiques ». Même le libéral Rutte a nettement pris ses distances avec la chancelière allemande pendant la campagne.

Mais la surprise est ailleurs. « Pour la première fois, les socialistes du SP pourraient arriver devant les travaillistes du PvdA, explique Chris Aalberts, un politologue de l’université Erasme de Rotterdam. C’est le principal enjeu de cette élection. » Si le scénario se confirmait le 12 septembre, ce serait un séisme à l’échelle du pays, qui rappellerait, dans un tout autre contexte, la progression de Syriza, passé devant les socialistes grecs du Pasok, au printemps dernier.

À en croire les sondages, le SP, qui n’a jamais gouverné depuis sa création dans les années 1970, arrive en tête, devant les libéraux de Rutte. Les sociaux-démocrates pointent en troisième position, au coude à coude avec les partisans de Wilders. Mais la gauche traditionnelle serait en train de remonter son retard dans la dernière ligne droite, grâce à de bonnes performances de son candidat, le méconnu Diederik Samsom, lors de débats télévisés des derniers jours.
Geert Wilders en perte de vitesse ?

Comment expliquer cette progression des socialistes pendant l’été ? L’eurodéputée Sophie int’Velt (dont le parti a voté les mesures d’austérité en avril) avance au moins deux raisons à cette percée. « D’abord, il y a la crise économique. Les gens ont perdu leur emploi, ou ont peur de le perdre. C’est assez logique qu’ils choisissent de ne pas voter pour les partis qui leur disent qu’il va encore falloir faire des efforts budgétaires. »

Les socialistes, emmenés par le très populaire Emile Roemer, refusent en effet les politiques d’austérité conduites par l’exécutif. Ils proposent d’investir l’an prochain trois milliards d’euros supplémentaires, pour stimuler l’économie, et de repousser à 2015, contre 2013 aujourd’hui, l’objectif de retour à 3 % du déficit public. Défenseur du « non » lors du référendum européen de 2005, et très critique quant aux effets de la monnaie unique sur l’économie néerlandaise, Roemer rejette toutefois le scénario d’une sortie des Pays-Bas de la zone euro (à la différence d’un Geert Wilders).

« Fondamentalement, les socialistes profitent aussi de le mauvaise passe du parti de Geert Wilders », poursuit Sophie int’Velt. Le populiste, originaire du Limbourg, est à la traîne dans les sondages, depuis qu’il a déclenché la crise politique d’avril. Une poignée de cadres du parti ont par ailleurs démissionné avec fracas en juillet, critiquant l’absence de démocratie interne, ou reprochant à Wilders son « virage à gauche », contre la rigueur. Déçus par Wilders, des électeurs se seraient rabattus sur Roemer.

Pour Chris Aalberts, qui vient de publier un essai sur le Parti de la liberté (Derrière le PVV : pourquoi les citoyens votent pour Geert Wilders, 2012), cette fuite des électeurs, de Wilders à Roemer, est loin d’être démontrée. « Je ne pense pas que cela concerne plus de 2 % de l’électorat global. C’est surtout l’affaissement des sociaux-démocrates qui, d’après moi, profite aux socialistes, davantage que le repli de Wilders », assure-t-il. « Les sociaux-démocrates sont confrontés à une vraie difficulté : le fossé entre les cadres du parti, et ceux qui votent pour lui… »

Au cours des années 1990, le PvdA s’est converti aux vertus de la « troisième voie » prônée par Tony Blair, déboussolant une partie de son électorat traditionnel. Depuis l’arrivée à sa tête de Samsom en début d’année, le parti tente de recoller les morceaux, et teste une nouvelle stratégie, de rapprochement avec le parti socialiste. Il propose désormais de « renégocier » le traité européen en cours de ratification, comme l’avait promis François Hollande pendant sa campagne.

À moins de deux semaines du scrutin, la situation reste ouverte. Seule véritable certitude : puisque le scrutin repose sur une proportionnelle quasiment intégrale, les négociations pour la formation d’un exécutif s’annoncent longues. D’autant que vingt-deux partis, au total, sont en lice, ce qui pourrait entraîner une forte dispersion des voix. « S’ils forment un gouvernement en deux mois, ce sera rapide », pronostique Chris Aalberts.

Si l’on s’en tient aux sondages du moment, une coalition à trois, comprenant les socialistes, les sociaux-démocrates et les verts, n’aurait pas la majorité à la chambre. Le parti d’Emile Roemer, même s’il arrivait en tête, ne serait donc pas assuré de participer à un exécutif. À moins qu’il accepte, plus vite que prévu, des compromis sur certains dossiers décisifs – européens en particulier – qui lui permettraient de s’associer aux libéraux...

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