Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet de 2 octobre

L’adversaire (3) : Harper et la guerre sans fin

On connait la propension du gouvernement conservateur vers la militarisation de la politique extérieure du Canada. Les nostalgiques des régimes antérieurs se plaignent que les « nobles traditions » canadiennes (comme l’envoi de Casques bleus pour « maintenir la paix ») se perdent. Si on regarde les faits cependant, on constate que la politique étrangère canadienne a toujours été alignée sur la défense du « noyau dur » du capitalisme mondial. D’autres critiques mettent l’accent sur l’aspect idéologique, voire religieux, du tournant actuel, comme si Harper était d’abord et avant tout un fanatique évangélique. Mais en réalité, le tournant militariste actuel, ce n’est pas seulement le « délire » de Stephen Harper, mais c’est surtout la conséquence de processus et de contradictions qui structurent le (dés)ordre mondial que les dominants, y compris au Canada, ont mission de préserver.

Tout-militaire

Le budget de l’armée a été considérablement augmenté sous Harper, ce qui place le Canada au 6e rang (sur 28) des États-membres de l’OTAN au chapitre des dépenses militaires. Cette explosion inclut des projets de grande envergure comme l’achat d’avions de transport (C-17 Globemasters), de 65 avions de combat (les controversés F-35), la construction de 21 nouveaux navires de guerre, etc. Mais la quincaillerie n’est pas le seul fait marquant. Depuis 2007, l’armée est investie dans des missions de combat, comme en Afghanistan, ce qui est effectivement une bifurcation par rapport au rôle traditionnel du Canada. Les opérations militaires en Libye en 2011 ont confirmé cette tendance, le Canada étant engagé directement dans le renversement du régime Kadhafi. Plus récemment, Harper et son larbin Baird reprennent les propos belliqueux qu’on entend aux États-Unis et en Israël pour préparer des attaques contre la Syrie et l’Iran.

À l’origine de la guerre sans fin

Cette évolution n’est pas sans rapport avec les changements imposés par les diverses administrations états-uniennes à partir des années 1990. Dès l’époque de George Bush papa (1988-1992), puis sous l’égide du démocrate Bill Clinton (1992-2000), les États-Unis entreprennent un vaste redéploiement militaire. En tant qu’unique superpuissance, les États-Unis accélèrent ce redéploiement au Moyen-0rient (où ils sont déjà fortement présents), mais également dans les Balkans, au Caucase et en Asie centrale, auparavant sous l’influence soviétique. Sont en jeu plusieurs questions stratégiques dont évidemment le contrôle des ressources énergétiques, pas tellement parce que les États-Unis dépendent du pétrole de l’Asie, mais davantage parce qu’en consolidant leur domination, ils nuisent à l’avancée des concurrents réels ou potentiels européens, chinois et russe notamment.

Et il y aussi une « logique » économique, qui découle du fait que le gigantesque complexe militaro-industriel occupe une place très importante dans l’économie états-unienne (des milliards d’investissements et des millions d’emplois. Quand George W. Bush est élu en 2000, le terrain est bien préparé. Avec les attentats du 11 septembre 2001, l’opinion bascule. Les néoconservateurs affirment qu’il faut attaquer de manière préventive, en dehors de conventions internationales. La suite, on la connaît. Malheureusement, l’arrivée d’Obama n’a pratiquement rien changé à l’essentiel de cette stratégie bien que la crise qui frappe les États-Unis depuis 2008 a forcé l’administration à ralentir les aventures militaires.
La « logique » de Harper

Revenons à la question de départ. La politique canadienne en matière de militarisme est-elle « délirante » ? En s’alignant sur la « guerre sans fin », l’État canadien s’adapte à une nouvelle réalité où l’Empire défend sa suprématie dans ce qui s’annonce comme un conflit prolongé. Les « fronts principaux » sont aujourd’hui dans cet arc des crises qui s’étend des confins de l’Asie orientale jusqu’à l’Afrique subsaharienne en passant par l’Asie centrale et le Moyen-Orient. Il importe dans cette région de sécuriser la domination états-unienne. Pour Harper, l’agenda est clair :

• Défense sans compromis de l’État israélien (quitte à nier les droits du peuple palestinien entérinés par de nombreuses déclarations de l’ONU), tant que cet État demeure au cœur du dispositif de contrôle.

• Sabotage systématique des tentatives de démocratisation tout en défendant becs et ongles les dictatures « efficaces « (Arabie saoudite, Jordanie).

• Menaces et attaques contre les États récalcitrants (Iran, Syrie), accompagnées de manœuvres pour fragmenter les territoires, les États et les nations en jouant sur des fractures réelles ou artificielles au nom de la religion ou de la langue.

Consensus inavouable

La politique de Harper au-delà de ses excès est peu contestée dans les milieux dirigeants. Le Parti libéral du Canada partage l’essentiel des politiques de Harper (alignement sur les États-Unis, défense de l’OTAN, alliance indéfectible et illégitime avec Israël, hostilité aux régimes progressistes et nationalistes). Par ailleurs, Thomas Mulcair se vante d’être le meilleur ami d’Israël. Dans sa plateforme électorale de 2011, le NPD promet de maintenir les niveaux actuels de dépenses militaires en affirmant qu’un gouvernement du NPD s’assurerait que les forces armées soient en mesure en termes de personnel et d’équipement de participer à « l’éventail de toutes les opérations militaires nécessaires ». Pour les mouvements populaires qui ont organisé les formidables mobilisations anti-guerre en 2003, il y aura de grands défis dans la période à venir.

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