Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Blogues

Le blogue de Pierre Beaudet du 17 novembre

Vous avez dit « démocratie » ?

Les histoires de corruption qui abondent dans le sillon des opérations médiatico-politiques actuelles « révèlent » (c’était connu mais on faisait semblant de ne pas le savoir) les nombreux liens entre le monde politique, les grandes entrepreneurs, des cadres de la fonction publique et la mafia. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit : il me semble que tout cela occulte le terrible déficit démocratique qui se creuse dans le cadre de système capitaliste dit « libéral » et dit « démocratique en se concentrant uniquement sur des histoires sulfureuses, certes inacceptables, mais qui ne touchent pas le cœur du problème.

L’opinion « publique » (dans une large mesure fabriquée par les grands médias) a l’impression que « nous » (dans les pays capitalistes occidentaux) avons la démocratie tandis que les « autres » ne l’ont pas. Dans la couverture récente des élections états-uniennes et de celle du Parti communiste chinois (PCC), le contraste était frappant :

• Les États-Unis ont élu leur président et les membres du Congrès d’une manière « démocratique ». Le petit « détail » à l’effet que les campagnes électorales sont en fin de compte des batailles entre millionnaires soutenus par des milliardaires semble échapper à nos médias berlusconisés.

• La « dictature » du PCC est inamovible et exclut la population de tout exercice démocratique réel. Si vous portez attention, vous constatez que ce discours provient d’un très petit groupe de « sinologues » patentés formés à la même école (le capitalisme est la seule voie, le socialisme est une méchante utopie, etc.).

Ces histoires à dormir debout sont dites sans nuance, comme si c’était des évidences (même ou surtout) à Radio-Canada). Je ne veux pas revenir sur la farce de la « démocratie » états-unienne, car c’est trop connu.

Mais qu’en est-il de la Chine ? En 60 ans, ce pays a sorti un milliard de personnes d’une pauvreté abjecte qui frappait les paysans et les femmes, ni plus ni moins des esclaves dans l’ancienne Chine capitaliste. Plusieurs imposteurs qui apparaissent comme de grands sinologues ne disent jamais que ce fait unique dans l’histoire a été le résultat d’une grande révolution menée par le PCC qui par la suite a construit des millions d’écoles et d’hôpitaux, redistribué les terres et donné aux Chinois et surtout aux Chinoises le droit d’exister en tant qu’êtres humains. Sur le plan démocratique –parlons-en, le pouvoir s’est construit de manière décentralisée en laissant passablement de place aux instances locales et communales. Il est bien connu que les cadres du PCC sont régulièrement critiqués, voire démis, par la pression populaire. Avant qu’on me dise que je suis un maoïste non-repenti, je dirais que le PCC a échoué sur plusieurs plans dont celui d’institutionnaliser des équilibres de pouvoir, de libérer la parole publique et de calibrer le développement économique à court terme avec l’impératif du développement durable à long terme. Aujourd’hui en Chine, il y a un grand débat précisément sur ces questions.

Mais mon argument est simplement ceci : tout ce fatras sur « notre » démocratie et « leur « dictature est une épouvantable escroquerie intellectuelle.

Une fois dit cela, le débat ne s’arrête pas là. La démocratie, une démocratie réelle et profonde, ça veut dire quelque chose : le pouvoir des citoyens et des citoyennes de décider de leur vie. Comment faire cela ? De toute évidence, les systèmes en place actuels sont insatisfaisants.

Un peu partout dans le monde, des gens de bonne volonté élaborent des projets de réformes des systèmes politiques pour améliorer la situation. Ici au Québec, on pense par exemple aux propositions du Mouvement pour une démocratie nouvelle où notre ami Paul Cliche s’acharne depuis des années à mettre sur la table des idées largement consensuelles (scrutin proportionnel, limites aux dépenses électorales, transparence du système, etc.) qui pourtant sont refusées par les partis de « gouvernance », notamment le PLQ et le PQ. Je renvois les lecteurs aux textes très explicites et clairs de Paul Cliche sur la question.

Plus récemment dans la foulée des Carrés rouges et des mouvements citoyens ici et là, l’idée émerge que la démocratie sous sa forme représentative (élire des représentantEs) n’est pas une condition suffisante pour assurer une réelle appropriation populaire. Sans nécessairement nier la validité de l’exercice de choisir des représentantEs par le vote, de plus en plus de gens estiment qu’il est indispensable d’avoir des mécanismes participatifs, où citoyens et citoyennes puissent non seulement être consultés, mais aussi prendre part aux décisions. Des expériences sont en cours à ce niveau au Brésil sous le label des « budgets participatifs ».

Si cette idée est prise au sérieux, on peut penser à une nouvelle architecture politique faisant appel à la décentralisation, à la délibération, à l’élaboration collective. Wang Hui, un chercheur chinois (jamais convoqué par nos chers médias), très critique des contraintes à la démocratie dans son pays, propose de revenir à quelques unes des bonnes idées élaborées à Athènes il y a 2500 ans. Les citoyens (et non les citoyennes !) se réunissaient régulièrement en grandes assemblées (agoras) pour délibérer et prendre part aux décisions. Pour assurer le suivi (et non pour prendre les décisions à leur place), on tirait au sort ceux qui allaient voir à la réalisation (l’exécution) des décisions. D’une part, les décisions en question avaient été débattues largement, et pas seulement par une poignée d’« experts ». Dans la vie normale de la cité, les citoyens avaient le droit et même le devoir de s’informer, de discuter, de se faire une impression et de voter. D’autre part et en continuité avec les principes, l’autre idée était qu’il était préférable que tous les citoyens puissent exécuter les décisions publiques, sur une base temporaire (on les remplaçait à chaque an), sans privilèges, révocables en tout temps, et surtout sans la possibilité de s’incruster au pouvoir. Ce système a fonctionné jusqu’à temps que les élites le mettent à terre.

Mais en fin de compte, cette bonne vieille idée de la démocratie directe n’est jamais disparue du décor. On l’a vu réapparaître dans la modernité lors de la Commune de Paris, des soviets en Russie et en Allemagne, des administrations autogérées en Espagne et plus récemment, dans le sillon des explosions populaires en Argentine, en Espagne et ailleurs. À une grande ou à une petite échelle, des milliers d’expériences sont en cours où les citoyenNes demandent beaucoup plus que des élections. Ils veulent qu’on mette fin à la véritable dictature, celle qui exclut la majorité populaires des décisions concernant leur travail et leur vie et qui sont monopolisés par une oligarchie financière, laquelle par ailleurs a tous les moyens au monde pour pervertir les systèmes électoraux.

Les mêmes médias berlusconisés, les mêmes politiciens de service et les mêmes élites nous diront bien sûr que tout cela, c’est utopique et que le meilleur système, c’est celui qu’on a. Vous ne serez pas surpris …

PS

Pour ceux et celles qui veulent connaître les débats en Chine au-delà des inepties des « experts », on peut consulter le site où Wang Hui et plusieurs autres soulèvent les vraies questions.

Sur le même thème : Blogues

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...