Édition du 26 mars 2024

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Se souvenir pour ne pas revenir 25 ans en arrière

Se souvenir pour ne pas revenir 25 ans en arrière. La lutte du mouvement des femmes entourant le droit à l’avortement est loin d’être terminée, la vigilance et la mobilisation sont de mise si nous ne voulons pas que les droits des femmes au Québec, comme au Canada, subissent de recul. C’est une question de dignité, de santé et de droit de choisir librement.

Depuis 1988, 44 motions ou projets de loi ouvrant la porte à l’interdiction ou à la limitation du droit d’avortement ont été déposés à la Chambre des communes ou au Sénat. Les plus récentes en date étant la motion défaite de Stephen Woodsworth, député conservateur, qui voulait redéfinir les droits du fœtus et celle de Mark Warawa, également député conservateur, qui souhaite criminaliser l’avortement dit « sélectif selon le sexe ». La motion de M. Woodsworth, bien que défaite en Chambre, a reçu l’aval de pas moins de huit ministres du gouvernement de Stephen Harper, dont celui de la ministre responsable de la Condition féminine, Rona Ambrose. Ce gouvernement se défend bien de vouloir rouvrir le débat, mais il multiplie les attaques.

Le 28 janvier 1988 : un grand moment de notre histoire collective

Il y a 25 ans de cela aujourd’hui, la Cour suprême du Canada rendait une décision qui entérinait plusieurs années de lutte pour le droit des femmes de disposer de leur corps. Cette décision, connue sous le nom d’arrêt Morgentaler, allait en effet décriminaliser l’avortement à la suite d’une très longue bataille.

La première loi canadienne traitant de la question de l’avortement date de 1869 et prévoyait une peine d’emprisonnement à vie pour toute personne pratiquant la procédure d’interruption de grossesse. Le tout a entraîné un nombre élevé d’avortements dangereux pratiqués par des personnes n’ayant pas les qualifications pour le faire. En 1966, selon un document de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, 45 000 femmes ont dû être hospitalisées à cause d’une tentative d’interruption de grossesse clandestine.

Ce scandale et les mœurs changeantes au tournant des années 1960 ont poussé la Chambre des communes à adopter le projet de loi C-150, un projet de loi omnibus, qui apporta plusieurs changements au Code criminel, notamment en décriminalisant l’homosexualité, en permettant la contraception et l’avortement, sans toutefois décriminaliser tout à fait ce dernier. Les interruptions volontaires de grossesse ne pouvaient être réalisées que par des médecins, et ce, après qu’un comité thérapeutique ait approuvé la procédure.

Une lutte soutenue du mouvement des femmes

Malgré ces changements législatifs, l’accès à l’avortement demeure difficile au Québec. En 1968, le docteur Henry Morgentaler fonde la Montreal Morgentaler Clinic dans laquelle il pratique des avortements, en contradiction avec le Code criminel puisque ces avortements n’ont pas préalablement été approuvés par un comité thérapeutique et qu’ils ne sont pas faits dans un hôpital ayant reçu la sanction pour le faire. En 1970, les policiers ferment la clinique et arrêtent le docteur Morgentaler qui a écopé en 1974 de 18 mois d’emprisonnement. Il passera dix mois derrière les barreaux à la prison de Bordeaux. Cela marquera le début d’une longue bataille juridique qui débouchera, en 1988, par une victoire pour le docteur Morgentaler, mais surtout, pour le mouvement des femmes.

Il s’agit d’une victoire pour le mouvement des femmes, car parallèlement au combat de Henry Morgentaler, les femmes du Québec s’organisent pour défendre leurs droits. Que l’on pense au Front de libération des femmes du Québec et leur « caravane de l’avortement » en 1970 ou au périodique Québécoises deboutte ! publié sous l’égide du Centre des femmes, le mouvement féministe québécois prend véritablement son envol et a fait du droit à l’avortement une lutte primordiale.

Le Québec à l’avant-plan

L’élection du Parti québécois en 1976 aura permis de faire avancer les choses. En effet, le ministère de la Justice a accordé l’immunité aux médecins qualifiés pratiquant les avortements. Au Québec, du moins, les médecins ne pouvaient plus subir l’opprobre de la Couronne pour avoir pratiqué un avortement sans l’assentiment du comité thérapeutique. Vers la fin de la décennie 1970, toutes les régions du Québec avaient une clinique ou un point de service pour obtenir un avortement, malgré le fait que la chose était illégale en vertu du Code criminel.

L’histoire n’était pas finie pour le docteur Morgentaler. Avec deux collègues, il a ouvert une nouvelle clinique, cette fois à Toronto. Il a donc été arrêté de nouveau en vertu du Code criminel. Cette fois, ses avocats ont remis en question la constitutionnalité même de la criminalisation de l’avortement. Il aura fallu attendre l’année 1988 pour que la Cour suprême déclare que la loi sur l’avortement contrevenait aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. La loi empiétait sur le droit des femmes à la vie, la liberté et la sécurité de leur personne. L’avortement est dès lors reconnu comme faisant partie de l’ensemble des procédures et des soins médicaux enchâssés dans la Loi sur la santé du Canada.

Cette victoire n’a pas mis fin au combat, loin de là, puisqu’on connaît la suite avec les attaques répétées des conservateurs.

Louise Chabot

Présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) (depuis 2012)

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