Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Écosocialisme

Salutation de Michaël Lowy à l 'Assemblée de fondation du Réseau écosocialiste suivie d'une entrevue ...

Chaleureuses félicitations pour l’Assemblée de fondation du Réseau écosocialiste de Québec solidaire ! Vous êtes en première ligne du combats en Amérique du Nord contre les plus grands pollueurs de la planète. Votre lutte, votre réflexion et votre courage d’aller contre le courant sont précieux pour tous ceux qui espèrent qu’un autre monde soit possible, un monde où les êtres humains et la nature ne soient plus réduits à la condition de marchandises.

Entrevue sur l’écosocialisme

Bernard Rioux : Pourquoi parler d’écosocialisme aujourd’hui ?

Michaël Lowy : Nous sommes confrontés à une crise écologique qui met en danger, sous la forme du changement climatique, la vie humaine sur la planète. A la racine de cette crise se trouve une civilisation - le capitalisme industriel moderne - fondée sur le productivisme, le consumérisme, le fétichisme de la marchandise, et l’accumulation illimitée du profit ; sa logique d’expansion sans bornes s’est révélé comme foncièrement incompatible avec la protection de la nature.

D’où la nécessité de proposer, dès aujourd’hui, une alternative radicale, antisystémique, anticapitaliste : l’écosocialisme. L’enjeu est décisif : il s’agit d’empêcher une catastrophe sans précédent dans l’histoire de l’humanité . L’écosocialisme est une tentative originale d’articuler les idées fondamentales du socialisme avec les avancées de la critique écologique. Son objectif est une nouvelle civilisation, un mode de vie alternatif, fondé sur des valeurs sociales et éthiques - la solidarité, l’égaliberté (Etienne Balibar) - et sur le respect de la nature .

BR : Quelles sont les suite de l’appel international DE 2001 sur l’écocialisme ? Quel est le rayonnement actuel de l’écosocialisme ?

Michaël Lowy : L’appel de 2001 a contribué à rélancer le débat sur l’écosocialisme, et à créer un réseau ecosocialiste international. Mais le rayonnement actuel de l’écosocialisme dépasse de loin cette initiative. On voit en Europe et dans les Amériques (du Nord et du Sud) une multiplicité les prises de position pour l’écosocialisme, chez différentes forces de gauche, et l’organisation d’assises, conférences et séminaires - à Paris il y a quelques mois, bientôt à Quito et à Caracas - autour de cette alternative. Aux États-Unis, des revues comme Capitalism, Nature and Socialism, Monthly Review ou Against the Current se réfèrent de plus en plus à l’écosocialisme (ou à une écologie socialiste).

BR. : L’exemple européen- NPA - Parti de gauche - Die Linke que ce soient des partis ou des populations entières comme les peuples autochtones d’Amérique latine, l’écosocialisme semble une perspective de plus en plus d’actualité ?

Michaël Lowy : Le fait que, en France, le NPA et la Gauche anticapitaliste, mais aussi le Parti de Gauche, ou même la Jeunesse Socialiste, se réclament de l’écosocialisme est important. Mais le développement le plus prometteur c’est l’essor des luttes socioécologiques des indigènes en Amérique Latine, qui se battent pour défendre leurs terres, leurs rivières et leurs forêts contre l’avidité destructrice des multinationales pétrolières, ou de l’agro-négoce capitaliste. Certains des dirigeants de ces mouvements indigènes, comme le péruvien Hugo Blanco, se réclament de l’écosocialisme. Pour lui, cette proposition correspond au mode de vie des communautés indigènes du continent depuis des siècles, fondé sur des pratiques collectivistes et le respect de la « Mère Terre ».

BR : N’assiste-t-on pas à une durcissement de la bourgeoisie et des gouvernements des principales puissances ? ( échec des accords de Kyoto - abandon des politiques contre le réchauffement climatique - relance de l’exploitation des énergies fossiles : sables bitumineux, gaz et pétrole de schiste) ?

Michaël Lowy : L’échec spectaculaire des Conférences internationales sur le Climat - de Copenhague à Doha, en passant par Rio – et des accords de Kyoto, ainsi que la relance frénétique de l’exploitation des énergies fossiles, y compris les plus « sales », destructrices de l’environnement et désastreuses du point de vue du climat - comme les sables bitumineux - c’est tout simplement le résultat de la logique du système. Les entreprises, les banques, les gouvernements et les dites « institutions internationales » (OMC, FMI, Banque Mondiale) agissent selon les impératifs du capitalisme : « expansion », rentabilité, profit maximum, competitivité, lutte féroce pour les parts de marché. Leur « dureté » est celle, impitoyable et aveugle, du système lui-même. Les oligarchies capitalistes semblent s’inspirer de ce vieux principe proclamé par Louis XV : « après moi le déluge ».

BR : Quels sont dans ce contexte les nouveaux défis du mouvement pour la justice climatique et les propositions des écosocialistes.

Michaël Lowy : Les propositions des écosocialistes partent du constat qu’une solution pour la crise écologique et notamment le réchauffement global, ne peut pas se faire dans les limites imposées par le système-monde capitaliste. Mais il faut commencer la lutte pour l’écosocialisme ici et maintenant, autour d’objectifs concrets et immédiats, comme ceux du mouvement pour la justice climatique. Le défi pour ce mouvement c’est de contribuer à une prise de conscience collective et à une mobilisation massive sur la question du changement climatique et de la justice sociale, avant qu’il ne soit trop tard. Il est essentiel pour cela de gagner le soutien des jeunes, des femmes, des travailleurs et des syndicalistes, en expliquant qu’une autre politique créerait des millions d’emplois « verts ».

BR : En Amérique du nord, avec la recherche de l’autonomie énergétique par les États-Unis et la relance de l’exploitation pétrolière et gazière, les enjeux sont plus importants que jamais ? Quelles sont les voies de la résistance ?

Michaël Lowy : Les pays capitalistes industrialisés de l’Amérique du Nord sont parmi les principaux responsables du processus de changement climatique. Le Canada a la particularité d’avoir un des gouvernements les plus rétrogrades, du point de vue écologique, de la planète. On assiste à une véritable fuite en avant dans l’exploitation des énergies fossiles, chaque fois avec des conséquences terribles pour l’environnement, comme c’est le cas du gaz de schiste, des sables bitumineux ou du petrole en haute mer (Golfe du Mexique !). La rentabilité à court terme est le seul et unique critère, chez les deux pays d’Amérique du Nord, dans les politiques énergétiques. La bataille contre le Pipeline XL est l’enjeu immédiat le plus important, et il est encouragent de voir le succès de la mobilisation, aux Etats Unis, contre ce néfaste projet. Il faudrait construire une résistance commune entre les habitants du Canada et des États Unis contre cette nouvelle infamie de l’oligarchie fossile.

BR : Quelles sont les principales tâches devant les écoscocialistes dans le contexte international actuel ?

Michaël Lowy : Nous devons participer à tout mouvement, toute lutte qui tente de bloquer la dynamique écocide du système, en essayant de faire converger mobilisations sociales et écologiques. En même temps, au sein de ces mobilisations, ainsi que dans le mouvement altermondialiste, et celui pour la justice climatique, nous proposons à la discussion nos analyses anticapitalistes et notre programme écosocialiste, l’utopie concrète (Ernst Bloch) d’une nouvelle civilisation. La tâche est immense et nos adversaires sont très puissants. Mais, comme le disait Bertolt Brecht, celui qui lutte peut perdre, mais celui qui ne lutte pas, a déjà perdu…

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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