Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

L'exploitation au coin de ma rue...

Bruno-Pierre Guillette est un délégué syndical au SECHUM-CSN

En 2012 au Bangladesh, l’incendie d’une usine de textiles causant la mort de 111 personnes démontrait une fois de plus l’hypocrisie de notre système économique. Pour faire diminuer leurs coûts, les grands de ce monde confient une partie de leur production à des compagnies à numéros qui n’ont aucune considération pour les travailleurs-euses.
Pour voir ce phénomène à l’œuvre, si vous résidez à Montréal, vous n’êtes pas obligé de prendre un avion, vous n’avez qu’à prendre le métro pour vous rendre à votre travail. Ceux et celles qui distribuent les journaux 24hrs et Métro sont payés en-dessous de la table, au noir. Ils n’ont aucune reconnaissance légale, donc aucun droit. C’est la situation que vit, appelons-le Paul, depuis maintenant plus de 4 ans.

Il avait des soucis financiers, il a demandé au type qui distribuait le journal à la sortie du métro s’il pouvait travailler comme camelot. Il s’est fait donner un numéro de téléphone, il a rencontré quelqu’un et, le lendemain, il distribuait le journal. Depuis ce temps, il gagne le salaire minimum, n’a strictement aucun avantage social et ne connaît pas le nom de son employeur. Il tente un retour aux études, mais il n’a aucun papier officiel (T4, Talon de paie conforme) lui permettant de s’inscrire à un programme du gouvernement.

Pour son « employeur », il est travailleur autonome. Selon la loi, un travailleur autonome contrôle son travail et peut faire des profits, ce qui n’est absolument pas le cas de Paul. Il est davantage livré à lui-même, plutôt qu’ « autonome »…Du lundi au vendredi, tôt le matin, de 5 :30 à 9 :30, il doit distribuer des centaines de journaux. Il n’a aucun jour férié, aucune journée de maladie, aucune vacance. S’il tombe malade et ne peut se rendre au travail, il perd automatiquement sa priorité sur la liste de rappel ou il est tout bonnement congédié. Qu’il pleuve ou qu’il fasse – 50, il ne peut en aucun cas rentrer dans la station, sous peine d’amendes. Les Témoins de Jéhovah ont le droit de faire du recrutement pour Jésus, mais les camelots du journal Métro ne peuvent pas se réchauffer les pieds ! Son travail n’est également pas sans risques, certaines stations de métro sont dangereuses, et Paul a été victime d’agressions, verbales et physiques à plusieurs reprises. Lorsqu’il a demandé à son employeur de pouvoir travailler à une station moins risquée, il a été transféré, mais il a été obligé de travailler 5 heures de moins par semaine !

Alors, pourquoi accepter un tel emploi ? Quel autre emploi ? Il ne peut travailler ailleurs parce qu’il n’a pas de secondaire 5 et ne peut avoir de secondaire 5 parce qu’il n’a aucune reconnaissance légale ! Pendant que les politiciens s’attaquent à ceux qui travaillent au noir, en « oubliant » leurs propres paradis fiscaux, le système écrase des êtres humains.

Lorsque les politiciens parlent de l’importance de la création d’emplois, vous remarquerez qu’ils ne disent jamais « de bons emplois ». Parce que selon eux, comme le disait clairement l’ancien ministre des Finances Jim Flaherthy, « il n’y a pas de mauvais emplois. » Il n’y a rien d’autre à attendre de la part de personnes qui n’ont jamais eu à se salir les mains. Mais leur ignorance a un prix. Celle de la précarisation générale d’une part importante des travailleurs et des travailleuses, conséquence directe de la déresponsabilisation des grandes compagnies et de l’absence totale de volonté politique pour défendre ceux qui travaillent. Cette situation va perdurer tant et aussi longtemps que nous allons laisser nos vies entre les mains d’avocats et de comptables. Si nous ne voulons pas crever, nous n’avons pas d’autre option que nous organiser nous-mêmes.

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