Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique latine

Brésil. « Pendant la coupe, il y aura des luttes »

Le 22 mars, environ 2500 personnes de tout le pays se sont réunies pendant toute la journée à São Paulo afin de discuter des luttes qui se produisent aujourd’hui dans le pays et préparer les mobilisations autour de la Coupe du monde de football. C’étaient des militant·e·s du mouvement syndical, populaire et étudiant, provenant d’horizons très divers, s’indignant contre les injustices commises durant la préparation des jeux, notamment l’octroi de ressources publiques à la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) et les déplacements forcés d’habitants pauvres. Les militant·e·s réunis se préparent à se mobiliser contre tout cela, lors de la Coupe.

Mais cela n’a pas été chose facile. Si une simple manifestation de rue provoque déjà la crainte des gouvernements et de leurs appareils de répression, organiser un événement d’une telle importance suscite l’inquiétude des gouvernants et des autorités. Au point qu’ils ont essayé d’empêcher notre rencontre. Une semaine auparavant, une revue hebdomadaire connue, Veja, dont les méthodes se fichent de toute éthique journalistique a publié, le 17 mars, une chronique de Ricardo Setti affirmant que le PSTU (Parti socialiste des travailleurs unifié créé en 1990) se réunirait avec les Black Blocs et avec la courbe de fans [1] de Palmeiras [les supporters de ce club de football de São Paulo] afin d’organiser des actes de vandalisme durant la Coupe. Mention a été faite de la courbe de Palmeiras parce que nous avions prévu que notre réunion ait lieu dans les infrastructures des supporters du club de Palmeiras, du nom de Mancha Verde, un espace que nous louons pour réunir les participants qui se préparent déjà pour aller à São Paulo. Alors immédiatement, la direction de la courbe a commencé à recevoir des appels de la police et de la Fédération de football de São Paulo elle-même afin de faire annuler la location de l’espace loué. Et c’est ce qu’ils ont fait.

Ils ont rendu difficile la réunion, mais ils n’ont pas pu l’empêcher. Elle a même été assez représentative. Elle s’est tenue dans un lieu improvisé, c’est-à-dire dans les locaux d’un syndicat de la capitale. Il était évidemment trop exigu, mais cela n’a en rien limité notre rencontre. Il s’est produit là une vaste réunion qui a mis ensemble les principales forces sociales et politiques en train de se mobiliser actuellement. Elle a été organisée par la CSP-Conlutas (Coordination nationale des luttes-Conlutas), le regroupement du courant « la CUT peut plus » (qui réunit des syndicats affiliés à la CUT dans l’Etat du Rio Grande do Sul), la Confédération des travailleurs du Service public fédéral (Condsef) et la Feraesp (Fédération des travailleurs ruraux salariés de São Paulo). Mais elle a également réuni des organisations syndicales et des mouvements populaires venus de tout le pays, comme le Syndicat des doyens des universités brésiliennes (Andes) et le Jubileu Sul (réseau de mouvements sociaux qui maintiennent des relations avec l’Eglise catholique). Innombrables sont les organisations et les mouvements qui se sont trouvés côte à côte avec la jeunesse, les étudiants, les mouvements populaires et de lutte contre l’oppression.

Dans cette rencontre, c’est comme si nous avions réussi à réunir l’expression de ce qui s’est produit en juin 2013, à savoir la force et l’impulsivité de la jeunesse, avec les organisations plus classiques de la classe ouvrière, comme les syndicats, en plus des mouvements populaires. Nous avons également été impressionnés par la présence des représentants des principales grèves qui se sont produites dans ce pays au cours des derniers mois, comme les camionneurs de Porto Alegre, les ouvriers du Complexe pétrochimique de Rio de Janeiro (Comperj), qui étaient encore en grève et, principalement, une délégation des éboueurs venus de Rio. Ces grèves, dans des lieux et des secteurs différents, ont quelque chose en commun. Ce furent et ce sont des mobilisations très fortes qui ont fait irruption d’en bas et ont bousculé les directions de leurs syndicats respectifs. Celle des collègues éboueurs de Rio a reçu l’appui massif de la population et est devenue un véritable symbole.

Cette rencontre nous a donc permis d’avoir un reflet de la situation politique du pays après le mois de juin de l’année passée. Les mobilisations massives qui ont eu lieu dans tout le pays au cours de ce mois sont parvenues à battre en brèche les augmentations des tarifs du transport public dans plusieurs capitales, revendication qui a déclenché l’onde de protestations [voir articles à ce sujet sur le site alencontre.org, en juin et juillet 2013]. Et comme tout mouvement spontané, il a reflué par la suite, mais sans parvenir à donner une suite aux autres revendications qui étaient apparues, comme la question de la santé et de l’éducation publique par exemple. Mais d’un autre côté, après ce mois de juin, les travailleurs et travailleuses se sont sentis renforcés et plus confiants, parce qu’ils ont vu qu’avec la lutte il était possible d’obtenir des résultats et qu’il était possible de rendre la vie meilleure.

Ce que nous avons réussi au cours de cette rencontre, c’est d’avancer de manière importante dans notre volonté d’assurer une continuité aux mobilisations qui ont eu lieu depuis le mois de juin. Pourquoi cela est-il une nécessité ? Parce que les gouvernements [fédéral et des Etats] n’ont répondu à aucune des principales revendications issues du processus de mobilisation populaire. La santé publique continue à être un chaos, l’éducation publique va de mal en pis, les transports collectifs, le logement populaire, la réforme agraire, tout cela est abandonné par les gouvernements qui, à l’occasion de cette Coupe du monde, ne font que donner de l’argent à des grandes entreprises telles que la FIFA.

En plus du désintérêt officiel manifesté face à leurs revendications, les mouvements sociaux n’ont reçu de la part des gouvernements que répression violente et criminalisation de leurs luttes et de leurs dirigeants. C’est pour cela qu’il est absolument nécessaire d’assurer une continuité aux mobilisations populaires. La Rencontre du 22 mars a eu lieu pour réunir, au sein d’une seule lutte, les secteurs de la jeunesse qui ont pris la tête des journées de juin et les secteurs de la classe ouvrière qui se mobilisent en ce moment même en quête de meilleures conditions de vie.

Au mois d’avril 2014 déjà commenceront les protestations qui se poursuivront tout au long du mois de mai pour aboutir, le 12 juin, au grand moment que sera le premier match de la Coupe. Ce jour-là, dans toutes les grandes villes du pays, des travailleurs et des jeunes descendront dans les rues pour protester. L’argent parvient à la FIFA et aux entreprises. Nous voulons de l’argent pour la santé, l’éducation, le logement, les transports collectifs et la réforme agraire. Cela sera le fil conducteur de ces protestations. Qu’il ne subsiste aucun doute : « Pendant la coupe, il y aura des luttes. » (Article paru sur le site du PSTU, Zé Maria a été un des initiateurs du PT et est actuellement un des porte-parole de PST-Conlutas et du PSTU. Traduction A l’Encontre)

Notes

[1] On qualifie aussi les tribunes où se réunissent les supporters les plus actifs d’un club de kop. (Réd. A l’Encontre)

Zé Maria

Correspondante au Brésil pour À l’encontre.

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