Édition du 16 avril 2024

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Canada

La province et le fédéralisme pétrolifère

Nous publions ici un dossier que la revue L’Action nationale a rendu public. Ce dossier traite des conséquences économiques et environnementales pour le Québec du tournant pétrolier de la bourgeoisie canadienne. Ce dossier est paru dans le numéro de Novembre-Décembre 2013 de la revue. (Presse-toi à gauche !)


Éditorial - Le statut de province est hautement toxique

Robert Laplante Novembre-Décembre 2013

La province de Québec n’a pas de point de vue sur le monde. Elle vit dans l’espace folklorique que lui aménage le gouvernement canadian, le seul autorisé à fixer les conditions et les modalités d’échange. La province de Québec n’a pas d’intérêt vital, elle n’est que bénéficiaire d’une politique étrangère qui détermine qui aura la becquée. Elle frissonne dans l’espérance des retombées. La province de Québec n’a ni territoire ni conscience de territoire. Elle ne sait rien de la raison géostratégique. Elle ne sait rien de ce que sa terre représente pour les autres, ceux qui veulent la traverser, la piétiner, la souiller. La province de Québec se porte à merveille.

Et cela se sait à Calgary comme à Ottawa. C’est pourquoi elle est incapable de se penser dans la géopolitique du pétrole, ignorante des dynamiques continentales au point de n’avoir rien à dire sur ce que des forces hostiles cherchent à faire du Grand Fleuve. La province de Québec fleurit dans les esprits. Comme du chiendent perçant l’asphalte, elle a depuis longtemps traversé les mous raisonnements de trop nombreux souverainistes qui s’imaginent pragmatiques quand seulement ils renoncent et se défilent. La province de Québec est pusillanime et aveugle. D’une cécité morbide, celle de l’auto-aveuglement. Celle de l’indigence intellectuelle et de l’indolence satisfaite.

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Géopolitique canadienne du pétrole

Pierre-Paul Sénéchal Novembre-Décembre 2013

Vice-président du GIRAM (Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu), ex-gestionnaire et ex-conseiller socio-économique, gouvernement du Québec.

Avec ses 173 milliards de barils enfermés dans les sables bitumineux de l’Ouest canadien, le Canada de l’Ouest détient la troisième réserve mondiale connue de pétrole (Arabie saoudite, 264 milliards). Actuellement quelque 2,6 millions de barils par jour sont traités par les pétrolières albertaines. D’ici 5 ans, elles comptent doubler leur production, puis la porter à 10 millions de barils/j en 2030. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) anticipe qu’à cette époque, la consommation mondiale de brut pourrait approcher les 100 millions de barils/j.

À Ottawa, on voit grand. La « nouvelle richesse » issue du pétrole est un véritable cadeau du ciel, non seulement financier, mais politique. Par sa capacité de galvaniser le nationalisme économique canadien, cette richesse est vue comme une opportunité stratégique pour renforcer un rapport de force toujours difficile avec le Québec. Pour ce dernier, le véritable enjeu du pétrole de l’Ouest ne concerne pas son marché interne, finalement très peu significatif dans l’ensemble continental, mais essentiellement le choix qu’on fait actuellement de la route du Saint-Laurent pour « sortir » vers les marchés externes une grande partie de cet or noir disponible pendant encore au moins cinq décennies. Avec les deux oléoducs proposés, c’est 1,4 million de barils/jour qu’on souhaite faire transiter par le Québec à compter de 2017 (contre 0,83 million pour la desserte KeystoneXL des grands centres de raffinage des États-Unis). Et après 2017 ?

Rien n’est actuellement ménagé en termes d’efforts de persuasion et de lobbyisme pour faire adhérer l’élite économique et les élus du Québec à ce nouveau « Canada du pétrole ». La partie semble relativement facile. On a déjà commencé à convaincre le public que les exportations aux quatre coins de la planète seront source de richesse nationale pour plusieurs générations d’enfants. Le Québec saura-t-il enfin lever les paupières et analyser la réalité des impacts des pipelines terrestres, mais surtout « flottants », que les pétrolières s’affairent à installer sur son territoire ? Saura-t-il saisir à temps l’ampleur des risques qu’on fait planer sur le Saint-Laurent et l’économie industrielle qui en est largement tributaire ?

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Enbridge : lorsque le mensonge se drape de vertu

Bernard Dagenais Novembre-Décembre 2013

Professeur titulaire, Département d’information et de communication, Université Laval

Peut-on accorder quelque confiance que ce soit à des entreprises qui tiennent continuellement un double discours ? Lorsque des déclarations et des pratiques de séduction auprès du grand public sont en totale opposition avec les activités de lobby qu’exerce la grande entreprise pour orienter les décisions politiques dans le sens opposé à ses déclarations, il y a là un fossé rempli de mauvaise foi. Et lorsque les pouvoirs publics partagent cette mauvaise foi, le public est complètement berné. L’exemple de l’exploitation et de l’acheminement du pétrole des sables bitumineux de l’Alberta, qualifié « d’une forme avancée de désastres écologiques » par Guillaume Fraissard[1], va nous servir pour illustrer ces derniers propos.

Un pétrole sale non reconnu comme tel

Le pétrole est une énergie non renouvelable et en regard du développement durable, celui provenant des sables bitumineux de l’Alberta est qualifié tout particulièrement d’énergie sale. Les dégâts causés à l’environnement par son extraction ont dûment été documentés. En octobre 2013, un « total de 21 prix Nobel, dont deux Canadiens, pressent l’Union européenne de mettre en application une directive qui étiquetterait ce pétrole […] comme étant plus polluant que les autres formes de brut[2] ». Le pétrole des sables bitumineux du Canada est donc dénoncé comme étant celui, toutes provenances confondues, dont l’extraction cause le plus de dommage à l’environnement au monde. À ce double titre, ce pétrole ne peut en aucun temps faire partie du développement durable.

Pourtant, en Grande-Bretagne, Shell, un des partenaires dans l’extraction de ce produit n’hésite pas en 2008, à faire paraître des publicités affirmant que l’exploitation des sables bitumineux faisait partie du développement durable. L’organisme britannique de contrôle de la publicité (ASA) a alors jugé le groupe pétrolier Shell coupable de publicité mensongère pour cette campagne.

En mai 2013, le gouvernement canadien, dans sa croisade pour faire accepter ce pétrole, lançait un appel pour des projets de recherche dans lequel il présentait lui aussi ces sources d’énergie fossile comme des « ressources renouvelables[3] ».

Il s’agit donc d’un mensonge planifié tant par les entreprises que par le gouvernement canadien qui les supporte. Nous avons l’impression que l’industrie pétrolière doit continuellement habiller son discours de demi-vérités tellement la vérité risque d’être peu convaincante.

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Le Saint-Laurent : les conséquences non calculées du risque pétrolier

Pierre Blouin Novembre-Décembre 2013

Quelle est la probabilité d’un déversement pétrolier dans le fleuve Saint-Laurent dans la grande région de Québec ou dans l’estuaire ? Comment peut-on en imaginer les conséquences ? Cette question hante journalistes spécialisées et scientifiques depuis plusieurs années, depuis en fait le début de la navigation des grands transporteurs-citernes pétroliers sur le fleuve. Avec raison, on peut se questionner sur le transport fluvial sans cesse en croissance des matières dangereuses que sont les produits de l’industrie chimique et pétrolière en particulier : les conséquences d’un accident sous toutes ses formes (collision, échouement ou perte de contrôle) sont chaque fois d’une gravité qui ne doit pas être sous-estimée.

Parler des risques de la navigation sur le fleuve, c’est d’abord faire état de ce que cette voie de circulation est devenue depuis 20 ou 30 ans. Le Saint-Laurent, un orphelin, voire un mal-aimé, est à l’image de ce peuple de l’eau que furent d’abord les Québécois de la Nouvelle-France. Le grand, l’énorme Saint-Laurent que le célèbre géographe Jean-Claude Lasserre saluait comme le « cœur et le berceau de la nation québécoise », matrice de l’économie de traite et du peuplement en ruban du territoire, grande mer intérieure allongée, espace sacré des origines, ce Saint-Laurent est depuis peu de temps malmené. Placé depuis 1867 sous juridiction fédérale, privé de ses goélettes avec leurs hardis marins-habitants (« Aujourd’hui, on voit des cathédrales circuler sur le fleuve, mais on n’a pas l’idée d’adapter les bateaux en fonction du lieu où ils naviguent. On imagine plutôt d’adapter la géographie du lieu en question[1] »), dégarni de ses quais de villages, pollué par les égouts des villes et par ses industries, le fleuve au centre de notre vie est ignoré.

Depuis les commencements de l’occupation humaine, voie de pénétration et de conquête de l’Amérique par les coureurs des bois et explorateurs qui l’ont déroulée jusqu’au Mississippi, le Saint-Laurent s’est mué en creuset de notre renfermement de survie. De nos jours, plus aucun navire de croisière québécois ne le sillonne pour son paysage et sa majesté, sinon pour observer les baleines ou y débarquer sur ses îles. Ce sont plutôt les paquebots rutilants des croisiéristes internationaux qui débarquent leurs hordes de touristes dans la vieille ville de Québec pour y faire tourner l’économie locale. Désormais, tout domestiqué et canalisé, envahi par les espèces étrangères, avec même un débit contrôlé par un barrage (Moses-Saunders à Cornwall[2]), ce fleuve ne serait-il devenu qu’une voie de transit ou un corridor industriel, de plus en plus à haut risque ?

Aux plans politique et administratif, le gouvernement canadien en est le maître absolu. Il planifie et administre tout le Saint-Laurent, de manière opaque, sans consultation, pour ses intérêts propres (ceux de l’Est et de l’Ouest), puisqu’il en est le propriétaire. Ses administrations portuaires en font autant. Le Québec possède la bordure, les berges, selon un tracé de zonage allant jusqu’à la ligne de « basses eaux ».

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