Édition du 23 avril 2024

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Démocratie canadienne

Le projet C-23 doit être retiré

Le mois dernier, plus de 160 professeurs ont signé une lettre ouverte exprimant leur plus grande inquiétude au sujet des dommages que le projet de loi C-23 sur l’« intégrité des élections » pourrait causer à la démocratie canadienne. Nous sommes aujourd’hui encore plus nombreux à exhorter le gouvernement à retirer ce projet pour proposer plutôt une réforme qui soit véritablement équitable, après consultation réelle et ab initio des partis d’opposition, des experts non partisans, d’Élections Canada et du public.

Des comités de la Chambre des communes et du Sénat ont malgré tout entendu plusieurs experts et groupes de citoyens. Une vaste majorité d’entre eux ont exprimé de sévères critiques. En dépit des affirmations du gouvernement selon lesquelles le projet recevrait l’appui des « Canadiens ordinaires », un sondage récent suggère le contraire.

Le comité sénatorial a suggéré quelques amendements. Ceux-ci ne représentent qu’une tentative de rapiéçage d’un projet de loi foncièrement vicié. Parmi les objections formulées dans notre première lettre ouverte, seule est partagée par le comité celle qui va à l’encontre de la modification proposée des règles de financement des campagnes électorales. Les vices de fond suivants échappent donc à la critique du Sénat.

 Le projet de loi ne permet pas au commissaire aux élections de contraindre des personnes à témoigner lors d’enquêtes sur des infractions à la loi électorale. Un tel pouvoir est pourtant essentiel dans des cas tels que celui des appels automatisés frauduleux.

 Le projet de loi favorise la politisation du personnel électoral au profit du parti au pouvoir en exigeant d’Élections Canada qu’il nomme les superviseurs de centre de scrutin à partir de listes fournies par le candidat actuel du parti dont le candidat a remporté la dernière élection au sein de la circonscription.

 Au-delà d’une certaine considération pour l’actuel programme CIVIX relatif au vote étudiant, les amendements proposés par le comité sénatorial se résignent à prendre acte de cette aberration selon laquelle Élections Canada n’aurait « plus pour mandat de promouvoir la démocratie ». Les campagnes publiques de promotion de l’exercice du droit de vote sont pourtant monnaie courante dans de nombreux pays, dont l’Australie, l’Inde et la Nouvelle-Zélande.

 En éliminant la procédure d’identification - qui depuis 2007 exige une preuve d’adresse - des électeurs par assermentation devant un répondant aussi bien qu’au moyen de la carte d’information de l’électeur (CIE), le projet de loi restreint indûment l’exercice du droit de vote, un droit garanti par l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 Comme l’a soutenu l’ex-vérificatrice générale Sheila Fraser, le projet de loi minerait cet organisme électoral indépendant et de réputation internationale qu’est Élections Canada. Aussi, le mal que, sous forme d’attaques à l’encontre du directeur général des élections et de l’ex-vérificatrice générale, porte la réaction du gouvernement actuel est-il d’une gravité bien réelle. En remettant en question la nature non partisane du travail des agents indépendants du parlement, le gouvernement méprise nos institutions et viole les règles du jeu de notre démocratie.

De nombreuses autres composantes du projet de loi se dérobent à la vigilance du comité sénatorial. Il s’agit notamment de l’attribution au Conseil du Trésor d’un pouvoir d’approbation du traitement des conseillers que peut s’adjoindre Élections Canada, et du défaut de prévoir l’obligation pour les partis politiques de produire des justificatifs pour les dépenses électorales dont, lors d’élections générales, ils se font rembourser ensemble quelque 33 millions de dollars.

Nous implorons par conséquent chacun des membres du gouvernement pour qu’il respecte les faits, l’expérience et la raison. Le gouvernement devrait carrément retirer ce projet de loi ou les parlementaires voter contre son adoption pour que soit reprise, sur de bonnes bases, la révision de la loi électorale. Notre démocratie n’en demande pas moins.

Ont rédigés cette lettre

Melissa Williams, Professor of Political Science, University of Toronto ; Yasmin Dawood, Assistant Professor of Law, University of Toronto ; Maxwell Cameron, Professor of Political Science, University of British Columbia ; Monique Deveaux, Professor of Philosophy and Canada Research Chair in Ethics and Global Social Change, University of Guelph ; Genevieve Fuji Johnson, Associate Professor of Political Science, Simon Fraser University ; Patti Tamara Lenard, Assistant Professor, Graduate School of Public and International Affairs, University of Ottawa ; Ryoa Chung, professeur agrégée, Département de philosophie, Université de Montréal ; Martin Papillon, professeur agrégé, École d’études politiques, Université d’Ottawa ; Maxime St-Hilaire, professeur adjoint, Faculté de droit, Université de Sherbrooke ; Daniel Weinstock, professeur titulaire, Faculté de droit, Université McGill

Pour connaître la liste des signataires, consultez le http://www.democracy.arts.ubc.ca/fairelection.

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