Édition du 23 avril 2024

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Europe

Podemos : Le défi de la démocratie interne

Podemos [nouveau parti de gauche radicale dans l’Etat espagnol, voir http://www.avanti4.be/analyses/article/etat-espagnol-crise-du-bipartisme-et-percee-de] est un instrument démocratique au service de la citoyenneté. Tel est le message qu’ont porté partout ses dirigeants, ses promoteurs et sa base depuis la présentation de l’initiative. Comme preuve de cela : les élections primaires ouvertes (au sein de Podemos afin de désigner ses candidat-e-s aux élections, NdT) ou l’élaboration du programme électoral que Podemos a présenté aux élections européennes. Néanmoins, l’initiative à peine lancée, et après son succès électoral, le nouveau parti se trouve devant le défi de construire une nouvelle forme d’organisation politique qui ne reproduise pas les erreurs des partis traditionnels et qui permette de trouver l’équilibre parfait entre le rôle que doivent jouer ses dirigeants politiques, les plus de 400 cercles de base de Podemos répartis dans tout le pays et ses électeurs, qui ont été plus d’un million aux européennes, et que Podemos aspire à en gagner de nouveaux.

C’est avec ce débat d’idées, sur les types d’organisation et de formes de démocratie interne que, comme l’a signalé le journal « El Pais », s’est déroulé dimanche dernier une polémique animée entre une partie de la base, qui défend un plus grand pouvoir pour les cercles dans le processus de prise de décision, et le dénommé « groupe promoteur » de Podemos, qui défend un modèle avec moins de pouvoir pour les cercles et plus ouvert aux citoyens et aux électeurs. La question de fond, en définitive, est de définir la forme d’organisation que doit adopter Podemos et le rôle que doivent avoir les cercles et les citoyens non inscrits dans ces derniers dans la prise de décision du parti.

On a jusqu’à présent identifié dans ce débat deux pôles supposément en confrontation. D’une part, Izquierda Anticapitalista (IA, Gauche anticapitaliste), parti politique intégré au sein de l’initiative depuis sa fondation et, d’autre part, le groupe promoteur de Podemos, avec à sa tête Iñigo Errejón, Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero. Néanmoins, les deux parties sont d’accords pour souligner que le débat est beaucoup plus transversal, qu’il affecte et divise les cercles eux-mêmes et que, bien plus qu’un « affrontement » ou qu’une « rébellion de la base contre le sommet », il s’agit d’ « un débat sain et ouvert » sur la forme d’organisation qui permette de trouver « les équilibres » entre les deux projets.

Ainsi, pour essayer d’éclaircir le débat, et au risque de simplifier à l’excès les positions, on trouve d’une part la position défendue par le groupe promoteur, que nous explique Iñigo Errejón, chef de campagne de Podemos ; « Le débat se centre sur la manière de trouver le point de gravité qui permette l’équilibre entre les deux possibilités ouvertes en ce moment : que les décisions fondamentales soient prises par des délégués des cercles dans une sorte d’assemblée de délégués, ou que, au contraire, les décisions les plus importantes soient ouvertes aux citoyens à travers différents instruments de participation ». Errejón considère qu’en ce moment « de situation politique exceptionnelle », Podemos doit œuvrer afin de laisser les décisions les plus importantes au choix des citoyens, qu’ils participent ou non dans les cercles. « Nous ne pouvons pas ignorer le fait que tout le monde n’a pas le temps de participer à un cercle de manière active », plaide-t-il.

Face à cette option, une autre position, défendue par Izquierda Anticapitalista et par une partie de la base, considère que les cercles Podemos étant la base organisationnelle du parti, ceux-ci doivent avoir plus de voix au chapitre et de poids dans la prise décision car, dans le cas contraire, on risque de « tomber dans une démocratie plébiscitaire », où les dirigeants prennent les décisions qui sont ensuite soumises au vote des citoyens en ignorant le rôle important que doivent jouer les cercles et les « envies de participation démocratique des citoyens ».

Comme l’explique Jaime Pastor (membre d’IA, NdT) ; « C’est un peu ce qui s’est passé avec la question du groupe de gestion qui doit mener Podemos jusqu’à son assemblée constituante, mais s’il ne s’agissait que de cela, ce n’est pas bien grave. Le groupe promoteur a décidé qu’il fallait procéder à une élection par des listes fermées d’une équipe technique qui conduise le processus constituant, ces listes ont été communiquées et soumises au vote ». Pastor considère qu’une telle situation devrait être évitée par la participation des cercles dans la prise de décision afin de déterminer « ce qui est soumis au vote et avec quelles modalités ».

« Par exemple, poursuit Pastor, si Podemos veut poser une question aux citoyens, il ne s’agit pas alors de discuter si seuls les cercles peuvent voter ou tous les citoyens : il s’agit de savoir si ce sont les cercles qui peuvent participer à la manière dont on formule cette question et de parvenir à un consensus entre eux et le groupe promoteur pour ensuite la soumettre à l’ensemble des citoyens qui veulent participer ». Selon lui, si Podemos opte pour cette voie, il parviendra à construire un leadership plus collectif.

Risques inhérents

Le débat n’est pas simple et se pose, bien souvent, en termes théoriques. Ainsi, Errejón considère que la position qu’il défend « ne vise pas à éliminer les cercles » du processus de prise de décision car ils joueront toujours un rôle très important, par exemple « dans la construction de Podemos dans tout le pays ». Mais le parti doit tenir compte du fait qu’il se doit de répondre aux attentes de nombreux citoyens qui, pour des raisons personnelles ou professionnelles, ne peuvent pas participer quotidiennement, ou hebdomadairement, aux assemblées, ou qui ne sont pas intéressés à participer activement à la politique.

Par conséquent, Errejón argumente qu’un processus de prise de décision plus centré sur le consensus entre les délégués des cercles peut faire courir le risque au parti de « reproduire les fonctionnements traditionnels des partis politiques qui finissent par regarder plus à l’intérieur d’eux que vers les électeurs ». « Nous devons être conscients que l’idéal du citoyen activiste qui participe tous les jours activement à la politique n’existe que dans les rêves de nombreux militants », souligne-t-il.

Face à cet argument, Pastor répond que, dans le modèle défendu par le groupe promoteur et soutenu par une multitude de militants de base, le risque est inverse. Autrement dit, si on adopte un modèle de prise de décision plus ouvert pour continuer à gagner de plus en plus d’électeurs, on peut finir par dégénérer en un « parti électoraliste » qui ignore les demandes et les positions de ses militants, et qui s’éloigne ainsi complètement de sa base.

Troisième voie

Les deux camps considèrent que les propositions en lice ne sont pas « s’excluent » pas entre elles, qu’il est au contraire nécessaire de les confronter, de les débattre et d’analyser les risques de chacune d’elles pour tenter de trouver les meilleurs instruments politiques permettant d’articuler l’hétérogénéité de Podemos dans une majorité sociale. Ainsi, Errejón assume qu’on peut courir le risque d’écarter la base des processus de prise de décision et, pour cela, il plaide pour « élaborer des mécanismes permettant que les décisions fondamentales puissent être votées » par tout le monde, tout en « continuant à renforcer une structuration interne de prise de décision ».

Pour sa part, Pastor considère lui aussi qu’un nouveau parti qui donnerait un poids excessif aux cercles au détriment d’autres formules de participation finira par exclure de Podemos ces citoyens qui n’ont presque pas de temps libre. Mais il prévient aussi qu’on ne peut courir le risque d’accorder « une capacité de décision excessive aux dirigeants ». « Nous sommes dans une nouvelle étape où il faut chercher un espace hybride, qui mêle des formes internes de décision avec des formes de participation à travers les réseaux sociaux, les listes de courrier électronique, etc. », souligne-t-il, tout en affirmant que « ce qui est clair », c’est que Podemos doit être « quelque chose de nouveau » qui ne ressemble ni au PSOE, ni à Izquierda Unida, ni à Izquierda Anticapitalista.

Et Errejón de conclure : « Ce sont des problèmes inhérents à la création réellement démocratique d’un parti, ils sont donc les bienvenus. Nous devons chercher des mécanismes qui tentent d’éviter le risque, en laissant la majorité sociale en dehors, de finir par regarder plus à l’intérieur qu’à l’extérieur. Et, d’autre part, il faut chercher des contrepoids qui permettent la participation militante de sorte qu’on n’ait pas l’impression que Podemos n’appelle à la participation que pour voter des propositions déjà décidées ».

Rencontre citoyenne

Le samedi 14 juin, Podemos organise une rencontre (voir l’article ci-dessous, NdT) qui doit servir à préparer l’Assemblée Citoyenne « Oui, on peut », qui aura lieu à l’automne. On présentera à cette occasion le groupe de gestion élu afin de mener le parti jusqu’à cette assemblée constituante. Dans ce sens, Errejón considère que l’enjeu « fondamental » de cette rencontre est qu’elle serve à « mettre sur les rails [le parti] vers cet événement politique qu’est Assemblée Citoyenne (...), qui ne doit pas reproduire le type de congrès fermés, mais être un événement ouvert qui aide à forger les instruments pour la construction d’une nouvelle majorité politique dans ce pays ».

Source :
http://www.cuartopoder.es/alsoldelacalle/podemos-ante-el-reto-de-decidir-que-tipo-de-democracia-interna-desea/2424

Alejandro Torrús

Collaborateur au site Avanti (Belgique).

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