Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Retraites

S’inquiéter pour nos retraites

Depuis quelques mois des éluEs dans les municipalités ont ramené dans l’actualité ce qu’ elles identifient comme un problème majeur dans la gestion des caisses de retraite de leurs employÉes. Le gouvernement provincial a été saisi de l’enjeu et a décidé d’intervenir. Le gouvernement Marois avait préparé une législation celui de M. Couillard est passé à l’acte. Sa proposition soulève une vague de protestations impressionnante de la part des travailleurs-euses que la loi vise. Non sans raison.
Dans cet article je veux placer cet épisode particulier dans le contexte plus large du traitement général des retraites dans notre société. Je vais tenter de montrer comment on fabrique des soi-disant privilégiéEs, qui contrôle réellement les caisses de retraites, donner une idée des revenus des retraitéEs bénéficiant d’une rente d’un fond de pension, parler d’équité entre les générations et entre les contribuables et les travailleurs-euses du secteur public et parapublic et finalement envisager un autre modèle plus juste et plus solidaire.

Démonter quelques arguments

1- DES PRIVILÉGIÉ/ES

Cet argument est employé sous deux aspects quand il est question des retraites. On traite de privilégiéEs ceux et celles qui bénéficient d’une rente venant d’un fond de pension après y avoir contribué durant leurs années de travail. C’est l’équivalent d’un reproche quand ça n’est pas une insulte. Lorsque ces retraitéEs reçoivent leur rente d’un fond du secteur public la condamnation est encore plus vigoureuse puisque ce sont les contribuables qui en dernier ressort payent la part de l’employeur dans ces caisses. Et nous entendons à répétition en ce moment l’argument que « la majorité de ces contribuables ne bénéficient pas d’un fond de pension ».

La voilà la fabrique des privilégiéEs ! Dans notre pays riche, il n’existe aucun droit à des revenus de retraite raisonnables. Les fonds de pension ont été gagnés historiquement par des luttes syndicales. Donc, ces fonds sont concentrés dans les grandes entreprises où le personnel est syndiqué, où les luttes ont été menées avec succès dans le passé et ont soutenu leur maintient. C’est aussi le cas dans le secteur public et dans certains autres secteurs comme la construction.
Dans une société capitaliste, la rareté fait augmenter presque automatiquement la valeur d’un produit. Si vous pouvez vous le procurer c’est que vous faites parti des « privilégiéES ». C’est le cas avec nos fonds de pension : ils ne concernent qu’une partie des travailleurs-euses, ils sont donc classés dans les privilèges.

LE SCANDALE N’EST DONC PAS QU’UNE PARTIE DE LA CLASSE TRAVAILLEUSE BÉNÉFICIE D’UNE RENTE VERSÉE PAR UN FONDS DE PENSION AUQUEL ELLE A CONTRIBUÉ, MAIS QUE TOUS ET TOUTES N’AIENT PAS L’ÉQUIVALENT.

2- CES FONDS DE PENSION COÛTENT TROP CHER AUX EMPLOYEURS

Cet argument si lourdement utilisé par les administrations municipales en ce moment, est de plus en plus présent, même dans le secteur privé. À la base, pour constituer ces caisses les employeurs et les employéEs contribuent à un niveau déterminé par négociation comme pour toutes les autres spécificités du fonds. En général, la part de l’employeur est plus élevée que celles de son personnel. Avec l’approfondissement des règles néo libérales dans les industries et avec en plus la crise depuis 2008, les attaques contre les fonds de pension et contre leur structure de financement se sont accumulées. Et nos gouvernements ont soutenu indirectement cette tendance.

La part de l’employeur fait parti du coût global de sa main d’œuvre. Tous les moyens sont utilisés pour faire baisser ce coût. Vouloir diminuer sa part de contribution à la caisse de retraite sinon faire disparaître le programme, est un minimum. Là où les syndicats ne sont pas très forts, ou encore pas très combattifs, des aménagements ont été introduits au profit des employeurs. La menace de la disparition totale à fait son effet. Car, dans les faits, ces fonds appartiennent aux employeurs et c’est le rapport de force qui fait la différence pour les travailleurs-euses.

En introduisant divers instruments d’épargne pour la retraite, REER, RVER etc., les gouvernements soutiennent la tendance à la disparition des fonds de pension collectifs.

3- LES FONDS DE PENSION DES SECTEURS PUBLICS FONT AUGMENTER LA DETE DU QUÉBEC

C’est un mythe très bien entretenu par ceux et celles qui veulent faire disparaitre ce qu’ils et elles ont classé dans les « privilèges ». L’économiste Louis Gill considérait, qu’au 31 mars 2006, les engagements du gouvernement québécois envers ses régimes de retraite représentaient 30% de la dette totale. Mais ajoutait-il ce n’est qu’écriture comptable puisque le gouvernement honore les paiements des rentes mais n’a jamais mis de fonds réels dans la caisse [1]. Selon son niveau de revenu et le nombre de retaitéEs, le poids du paiement des pensions sera plus ou moins important dans sa comptabilité. Mais une grande partie de ces versements lui revient sous forme de taxes à la consommation car les retraitéEs continuent d’acheter !

4- LES FONDS À PRESTATIONS DÉTERMINÉES VONT VERS LA FAILLITE

Un régime à prestations déterminées signifie que les retraitéEs ont une garantie quand au niveau de rente qu’ils et elles percevront durant leur retraite. Avec ou sans indexation totale ou partielle au coût de la vie selon les règles de leur fonds. La hauteur de la rente est fixée selon des règles négociées entre les parties patronales et syndicales. La quasi-totalité des fonds de pensions au Québec sont de cette catégorie que ce soit dans le secteur privé ou public. Leurs caisses sont presque toutes en difficulté importante en ce moment et le gouvernement a mandaté au cours des dernières années une commission, la Commission D’Amour pour une étude approfondie de cette réalité et pour des propositions en vue d’en assurer l’avenir.

Cet article ne traitera pas de ces propositions, mais en général la commission n’est pas dans l’alarmisme. Si les fonds sont dans une si mauvaise situation financière cela tient à quelques facteurs déterminants. 1- Les caisses de retraites sont gérées par des institutions financières et les fonds accumulés sont placés à la bourse. Ils sont donc dépendants de l’évolution des marchés bousiers. Or, nous le savons, il y a eu une crise financière en 2007-08 et les rendements boursiers ont fondu comme neige au soleil. Les caisses de retraites en ont donc souffert comme une large partie des investisseurs-euses. Et meilleur est le gestionnaire meilleur sera votre rendement

……Certains fonds ont été touché plus que les autres. 2- Au cours des bonnes années de rendements bousiers, les années 80 notamment, où les taux d’intérêts étaient faramineux, les caisses avaient des ressources au-delà de leurs besoins immédiats. Les contributions des travailleurs-euses étaient aussi importantes : plus de monde travaillait et les salaires étaient meilleurs qu’en ce moment. Les employeurs ont donc pris « congé de cotisations ». C’est-à-dire qu’ils ont cessé d’assurer leur part dans la caisse. De leur côté, les travailleurs-euses ont, dans certains cas, aussi introduit des nouveaux avantages comme les départs à la retraite plus tôt, par exemple. Le rythme d’accumulation dans les caisses a donc été modifié et le trésor n’a plus augmenté comme il aurait pu le faire. 3- À la fin des années 80, avec l’approfondissement des politiques néo libérales qui donnent aux détenteurs-trices d’actions dans les entreprises le pouvoir d’exiger des rendements beaucoup plus élevés, souvent de 10 fois, les coupes dans le personnel et les fermetures d’usines se sont multipliées. Beaucoup de règlements de ces conflits sont passé par des mises à la retraite anticipées. Le nombre de retraitéES ayant droit à leur rente augmente donc plus vite qu’il ne l’aurait fait antérieurement et pour une plus longue période. L’espérance de vie augmente ! Il y a donc une pression supplémentaire sur les caisses.

La même politique s’est pratiquée dans le secteur public. L’enjeu de l’atteinte du déficit zéro de M. Bouchard a été, il faut s’en rappeler, une vaste opération de mise à la retraite anticipée pour des milliers de travailleurs-euses du secteur public et parapublic. Leur fond de pension, le REGOP, a dû suivre.

Mais, nous disent Frédéric Hanin et François L’Italien dans le magazine Vie économique sur le site Oikos, ce n’est pas l’augmentation du nombre de retraitéEs qui explique les déficits actuels qui sont 9 fois plus importants que ce qu’ils étaient antérieurement à la crise financière et boursière. C’est la conjoncture économique qui en est l’explication la plus importante. Quoiqu’il faille prendre en compte bien d’autres facteurs comme le nombre de participantEs qui est très important.
Ils ajoutent que nos fonds ne sont pas condamnés à la faillite et que des voies de renouvellement de ces régimes sont envisageables.

5- IL FAUT PENSER À L’ÉQUITÉ ENTRE LES GÉNÉRATIONS

Il est très curieux que ce n’est que lorsqu’il est question des retraites que cet argument ressort à pleine voix. Ces fonds qui couvrent encore 1,35 millions de personnes dont 88,65% sont dans le secteur privé ont une structure qui implique cette dimension d’équité. Elle n’est pas parfaite mais ce sont les contributeurs-trices d’aujourd’hui qui en très grande partie payent les retraites de ceux et celles qui les ont précédé.

Cet argument, qui vise à diminuer les retraites sinon à les faire disparaitre, repose sur le fait qu’il y a moins de travailleurs-euses en ce moment mais surtout qui gagnent de moins bons salaires que leurs prédécesseurEs. Les rentrées de fonds sont donc moins importantes. C’est bien une des contradictions du système capitaliste qui, pour protéger les profits, fait baisser les salaires souvent jusqu’à l’indécence et ensuite utilise l’argument des bas salaires pour faire cesser des instruments de solidarité au cœur des classes travailleuses.

La société néo libérale ne tolère pas la solidarité, surtout institutionnalisée. Elle construit et ne valorise que le chacun pour soi. En matière de pension comme du reste. Or, il existe à l’heure actuelle une pression immense venant des secteurs financiers et productifs pour que les retraites soient individualisées, que ChacunE économise et gère son fond de retraite. L’ex-président américain G.W. Bush a tenté à deux reprises au cours de ses mandats de faire disparaitre la fameuse Social Security qui est le fond de pension universel aux États-Unis. Il a échoué ! L’opposition et la résistance sont venues à bout de ce projet.

Les nouveaux véhicules que nos gouvernements inventent pour inciter la population jeune à épargner pour sa retraite vont tout-à-fait dans ce sens, rabais d’impôt à l’appui. Ces rabais ne favorisent que ceux et celles qui gagnent le plus. Le dernier né, le Régime d’épargne volontaire pour la retraite, s’adresse aux individus et ménage les employeurs qui ne sont pas du tout obligés d’y contribuer. Le volontariat est de ce côté-là.

Conclusion

Dans cet article il n’a été question que des régimes à prestations déterminées car ce sont eux qui sont sur la sellette en ce moment. Pourtant, toute la question des revenus de retraite est en cause dans tout le Canada, Québec y compris. Pour en finir avec les privilèges et les privilégiéEs dans ce domaine il faut absolument prendre le problème autrement.

Il faut que tous les travailleurs et toutes les travailleuses aient droit à des revenus décents pour cette étape de leur vie. L’introduction au cours des années 90 du RRQ (Régime des rentes du Québec), arrangement québécois du Canada Pension Plan, est un pas dans la bonne direction. Sa première vertu est d’être universel : toute personne qui travaille, où que ce soit, y contribue même ceux et celles qui bénéficient d’un fond à prestations déterminées. Sa structure n’est pas pour autant égalitaire ; il favorise les hommes et les hautEs salariéEs. Il y a un an environ, un regroupement de femmes de la FFQ et des grandes centrales syndicales ont mené une campagne pour qu’il soit révisé et amélioré pour mieux tenir compte des spécificités des emplois des femmes. Il ne verse que des rentes minimales. Personne ne peut compter sur ce fond pour vivre. Pourtant, alors qu’une majorité des provinces étaient d’accord pour l’améliorer, l’an dernier, le gouvernement fédéral a refusé.

Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un programme universel pour les classes travailleuses. Dans la plupart des pays européens et même aux États-Unis se sont des caisses de retraites centralisées qui perçoivent les contributions et gèrent les pensions garanties par les États. En général elles font mieux que les fonds privés. Ce fut le cas ici pour le RRQ au cours de la crise. Leurs frais de gestion sont bien moins onéreux. Et surtout il n’y a peu ou pas de dépendance envers la bourse. Le principe veut que ce soient les contributions d’aujourd’hui qui payent les rentes. C’est la vigueur de l’économie du pays qui garantie le programme.

Mais une condition impérieuse est à respecter : que la gestion soit vraiment collégiale entre toutes les parties dont les retraitéEs. Pas question de constituer quelque caisse que ce soit sur laquelle les gouvernements pourraient mettre la main comme le gouvernent fédéral l’a fait avec celle de l’assurance chômage dans les années 90.

Mais cette formule, qui présente quand même des problèmes réels, ne fait pas du tout l’affaire des institutions financières. Elle leur retire une grande partie de leur terrain de jeu et…..de profits. Tous les véhicules inventés par l’État canadien jusqu’à maintenant garantissent du travail et des profits aux banques et autres institutions financières qui en dernier ressort gèrent l’ensemble des fonds et épargnes pour la retraite de la population.

Nulle part dans le débat actuel cette possibilité est-elle invoquée. C’est un sujet tabou qui mérite pourtant une bien meilleure attention.


[11-Parlons propagande en effet ! Réplique à l’article Parlons propagande, de Mme Nathalie Elgraby de l’Institut économique de Montréal, publié sur Les classiques des sciences sociales, de l’UQAC. 2007

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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