Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Palestine : Chroniques d’une agression criminelle

Mercredi 9 juillet : C’est la guerre ?

Mardi soir, je rentrais d’Europe ou j’avais passé quelques jours. En route vers Jérusalem, j’ouvre la radio et réalise que c’est la guerre, ou plutôt que les dirigeants israéliens viennent de déclarer la guerre, une guerre préparée de longue date et qu’ils attendaient avec impatience. Le prétexte – représailles contre l’enlèvement et la liquidation de trois jeunes colons dans la région de Bethléem. L’objectif – repousser sine die toute velléité internationale de pousser Israël a des négociations avec la direction palestinienne. L’objectif – Gaza, sensé être le Hamasland.

La politique de Netanyahou est cousue de gros fil : après avoir accusé Mahmoud Abbas d’être responsable de l’enlèvement des jeunes colons, et être rappelé a l’ordre par les Etats-Unis (et les cercles sécuritaires israéliens) pour cette accusation aussi grossière que stupide, il pointe le Hamas, qui pourtant n’avait aucun intérêt dans une telle opération. Accuser le Hamas, c’est décider de bombarder, une fois de plus, la population de Gaza, comme si le siège criminel auquel elle est soumise depuis bientôt dix ans ne suffisait pas.

En arrière fond : forcer le Président Abbas à casser le gouvernement d’union nationale et se décrédibiliser ainsi encore d’avantage aux yeux de l’opinion palestinienne, ou apparaître comme solidaire du Hamas, et perdre alors des points dans la communauté internationale. Pour le Président palestinien c’est « à tous les coups on perd », a « loose loose game » diraient les anglo-saxons. C’est à cela, et rien d’autre, que se résume la politique du trio Netanyahou-Lieberman-Benett, repousser une fois de plus l’éventualité de pressions internationales pour que s’ouvrent des négociations avec les Palestiniens.

Le ton et les mots utilisés par le Premier Ministre israélien sont guerriers, et l’annonce de la mobilisation de 40,000 réservistes montre que Netanyahou veut jouer à la guerre. Jouer, car pour qu’il y ait guerre, il faut un minimum d’équilibre dans le rapport de forces, un équilibre inexistant. C’est donc, une fois de plus, a un massacre qu’il faut s’attendre, dont la population civile de Gaza fera les frais. Pauvre Gaza !

Jeudi 10 juillet : Deuil

L’assassinat sauvage du jeune Muhammad Abu Khdeir par des adolescents israéliens est aussi une histoire personnelle : deux de ses tantes, Abir et Hanna, ont fait partie de l’équipe de l’AIC, et la famille Abu Khdeir, liée au FPLP, a entretenu des relations politiques étroites avec l’AIC pendant plus de décennies.

Peut-être parce que c’est aussi une histoire personnelle, j’ai décidé de faire ma visite de condoléances avec mon gendre Hillel et mon neveu Noam. Les Israéliens ne sont pas les bienvenus chez les Abou Khdeir, et hier plusieurs visiteurs israéliens ont été priés de faire demi-tour. Pourtant, après une discussion assez animée au sein de la famille, on a finalement décidé de recevoir tous ceux qui viennent exprimer leur sympathie. C’est ce que me raconte Walid, un des oncles du jeune Muhammad. « Pourtant, ajoute-t-il, il y a une limite à tout : Sara Netanyahou nous a dit qu’elle voulait venir, en tant que mère a-t-elle jugé bon d’ajouter… On lui a répondu qu’on ne pourra pas garantir sa sécurité, et qu’elle ferait bien de penser aux mères de Gaza que son mari est en train de bombarder… »

Les murs du « Azza », la tente du deuil, sont couverts de portraits de Muhammad et de drapeaux du FLP, et les nombreux visiteurs, qui venus de toute la Cisjordanie, ont le regard plus sévère que triste. Car Muhammad a été sauvagement torturé avant d’être assassiné, a tel point que Walid, qui a été appelé par la police pour identifier les restes du jeune adolescent, a empêché le père du martyr de voir le corps de son fils.
C’est l’heure de la prière du soir, et nous quittons le Azza. Sur la route qui mène du quartier de Shuafat au centre ville, artère principale du nord de Jérusalem ou passe le tram, il ne reste pas une station qui n’ait été brulée, pas un signe de présence israélienne qui n’ait été saccage. Car les Abou Khdeir, la plus grande famille de Shuafat, ne sont pas des tendres, et les connaissant, je peux dire sans risque de me tromper que les comptes ne sont pas encore règles.

En attendant, dans tout Jérusalem Est, les confrontations entre jeunes palestiniens et police israélienne sont permanentes. Les contre coups de l’assassinat de Mohammad Abu Khdeir sont loin d’être derrière nous.

Vendredi 11 juillet : Les Israéliens veulent bien la guerre, mais pas en payer le prix…

Même pas une semaine d’agression criminelle contre la population de Gaza, que l’on peut déjà faire un premier bilan : Israël a raté son coup, et, malgré la supériorité militaire écrasante de l’Etat hébreu, c’est le Hamas qui a gagné cette manche. Les tonnes de bombes déversées sur le minuscule territoire de Gaza n’ont pas réussi à empêcher les résistants palestiniens de riposter par des centaines de roquettes qui parviennent a toucher des villes aussi éloignées que Hédéra voire Jérusalem.

Depuis quatre jours, plus d’un demi million d’Israéliens courent plusieurs fois par jour vers les abris pour se protéger des roquettes tirées de la Bande de Gaza, et toute la force de feu israélienne ne parvient pas à mettre fin a une situation qui a déréglé le quotidien des habitants.

Benjamin Netanyahou et son âme damnée Naftali Benett ont beau crier matins et soirs qu’ils vont liquider « une fois pour toute » les capacités militaires du Hamas, ce qui se dessine en réalité c’est un nouvel accord entre Israël et le Hamas, par l’intermédiaire du régime militaire égyptien. En attendant, ce sont des dizaines de civils Gazaouis qui payent le prix de l’agression israélienne.

Il est indéniable que la grande majorité des Israéliens soutient les attaques contre Gaza, perçues comme une riposte aux roquettes tirées sur les localités de ce qu’on appelle « l’enveloppe de Gaza ». Mais elle voudrait que le jeu soit unilatéral, ce qui n’est pas le cas. Si l’on prend l’agression contre le Liban en 2006 pour exemple, on se souviendra que dès que le Hezbollah a riposté aux bombardements israéliens, l’opinion publique israélienne, d’abord favorable, a retourné sa veste : on veut bien la guerre, mais pas en payer le prix. C’est le lot des pays forts et riches : leurs capacités à prendre des coups est des plus limitées. A l’inverse, les populations des pays ayant dû prendre l’habitude de se faire agresser développent des capacités de résilience souvent surprenantes.

Pour les Gazaouis, il s’agit maintenant de tenir bon quelques jours de plus, auquel cas la campagne militaire lancée par le gouvernement Netanyahou sera une nouvelle défaite de la politique d’agression israélienne.

Il reste cependant une option supplémentaire, défendue par le général de réserve (et conseiller militaire de Netanyahou) Amidror : une invasion de la Bande de Gaza avec comme objectif une occupation militaire a long terme, « comme en Cisjordanie » ajoute-t-il. En écoutant ce personnage connu pour son fanatisme et le peu de cas qu’il fait des victimes palestiniennes mais aussi israéliennes, on aurait envie de lui répondre : chiche !

Michel Warschawski

Journaliste et militant de gauche israélien, il est cofondateur et président de l’Alternative Information Center (AIC). Dernier ouvrage paru (avec Dominique Vidal) : Un autre Israël est possible, les éditions de l’Atelier, 2012.

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