Édition du 26 mars 2024

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Le retour de la guerre de George Orwell et Big Brother en Palestine ; l'Ukraine et la Vérité

« Le despotisme est un mode de gouvernement légitime si l’on a affaire à des barbares, à condition que le but soit leur amélioration, et les moyens sont justifiés par l’accomplissement effectif de ce programme. »
 John Stuart Mill, « De la liberté », 1859

(Traduction : Nicolas CASAUX du 4ème Singe)
(tiré du journal Le Marxiste-Léniniste, no. 98, 10 août 2014)

L’autre soir, je suis allé voir une interprétation de 1984, de George Orwell, dans un théâtre de Londres. Bien qu’une mise à jour contemporaine eut été intéressante, l’avertissement d’Orwell n’y fut présent que sous la forme d’un exercice de style : distant, pas le moins du monde menaçant, quasiment rassurant. Comme si Edward Snowden n’avait rien révélé, que Big Brother n’était pas devenu un espion numérique, et qu’Orwell lui-même n’avait jamais dit : « Pour être corrompu par le totalitarisme, nul besoin de vivre dans un pays totalitaire ».

Encensé par les critiques, cette production talentueuse était à la mesure culturelle et politique de notre époque. Quand les lumières se sont rallumées, les gens étaient déjà en train de sortir. Ils ne semblaient pas avoir été touchés, ou peut-être que d’autres distractions les attendaient. « Quelle prise de tête ! », s’est exclamée une jeune demoiselle, en allumant son téléphone.

À mesure que les sociétés avancées se dépolitisent, les changements sont à la fois subtils et spectaculaires. Dans les discours quotidiens, le langage politique est une inversion, comme Orwell l’avait prédit dans 1984. « Démocratie » n’est plus qu’un outil de rhétorique. « La Paix » c’est en réalité un état de guerre perpétuelle. « Global » signifie impérialiste. Le concept de « réforme », autrefois porteur d’espoir, signifie aujourd’hui régression, voire destruction. « Austérité » signifie le passage au capitalisme extrême pour les pauvres et au socialisme pour les riches : un système ingénieux où la majorité travaille à rembourser des dettes, au profit de la minorité.

Dans les arts, l’hostilité vis-à-vis des vérités politiques est un article de la foi bourgeoise. « La période rouge de Picasso », titrait un journal, « et pourquoi la politique et l’art ne font pas bon ménage ». Imaginez cela dans un journal qui aurait fait la promotion du bain de sang de l’Irak en tant que croisade libérale. L’opposition au fascisme qui a marqué la vie de Picasso n’est plus qu’un détail, comme le radicalisme d’Orwell qui s’est détaché de son nom.

Il y a quelques années, Terry Eagleton, alors professeur de littérature anglaise à l’université de Manchester, admit que « pour la première fois depuis deux siècles, il n’y a pas d’éminent poète britannique, de metteur en scène, ou de romancier prêt à remettre en cause les fondamentaux du style de vie occidental ». Aucun Shelley ne parle pour les pauvres, pas de Blake pour défendre les rêves des utopistes, ni de Byron pour maudire la corruption et la classe dominante, et pas de Thomas Carlyle ni de John Ruskin pour révéler le désastre moral qu’est le capitalisme. William Morris, Oscar Wilde, HG Wells, George Bernard Shaw n’ont aucun équivalent aujourd’hui. Harold Pinter fut le dernier à s’insurger. Parmi les voix du "consumé-féminisme", aucune ne fait écho à celle de Virginia Woolf, qui décrivait "les arts de domination des autres peuples de régner, de tuer, d’acquérir la terre et le capital". »

Au théâtre national, une nouvelle pièce, « Grande-Bretagne », satirise le scandale des écoutes téléphoniques, qui aura fait juger et condamner des journalistes, dont un ancien éditeur du « News of the World » de Rupert Murdoch. Décrite comme une « farce avec des crocs qui soumet l’ensemble de la culture médiatique incestueuse au ridicule impitoyable », les cibles de la pièce sont les personnalités « heureusement très drôles » de la presse tabloïd britannique. C’est bien bon, et si familier. Mais qu’en est-il des médias non-tabloïd qui se considèrent eux-mêmes comme crédibles et réputés, et pourtant jouent le rôle parallèle de bras armé du pouvoir de l’État et du capital, en promouvant et en soutenant les guerres illégales ?

L’enquête Leveson sur les écoutes téléphoniques a légèrement laissé entrevoir ce phénomène. Tony Blair énonçait des preuves, se plaignant auprès de monsieur le juge du harcèlement des tabloïds sur sa femme, quand il fut interrompu par une voix qui s’éleva du public. David Lawley-Wakelin, un réalisateur, demandait l’arrestation de Blair et son jugement pour crimes de guerre. Il y eut un long silence : le choc de la vérité. Lord Leveson se leva, ordonna l’expulsion de celui qui osait dire la vérité, et s’excusa auprès du criminel de guerre. Lawley-Wakelin fut condamné, pas Tony Blair.

Les complices aguerris de Tony Blair sont plus respectables que les hackers de téléphone. Quand le présentateur de la BBC, Kirsty Wark, le reçu pour le 10ème anniversaire de l’invasion de l’Irak, elle lui offrit un moment dont il ne pouvait que rêver ; elle lui permit d’agoniser sur sa décision « difficile » sur l’Irak au lieu de lui rappeler ses crimes. Ceci rappelle la procession de journalistes de la BBC qui en 2003 déclaraient tous que Blair pouvait se sentir « justifié », et la série qui s’ensuivit sur la BBC, « Les années Blair », pour laquelle David Aaronovitch fut choisi comme écrivain, présentateur, et interviewer. Un serviteur de Murdoch qui fit campagne pour la guerre en Irak, en Lybie, et en Syrie.

Depuis l’invasion de l’Irak — l’exemple d’un acte d’agression non-provoquée, ce que le procureur de Nuremberg Jackson qualifiait de « crime international suprême qui diffère des autres crimes de guerre en ce qu’il les contient tous » — Blair et son porte-parole et principal complice, Alastair Campbell, ont eu droit à pas mal de place dans le Guardian afin de réhabiliter leurs réputations. Décrit comme une étoile du Labour Party, Campbell a voulu s’attirer la sympathie des lecteurs en prétextant une dépression, et a montré son intérêt, à l’instar de Blair, bien que cela ne soit pas son assignement actuel comme conseiller, pour la tyrannie militaire égyptienne.

Alors que l’Irak est démembré suite à l’invasion de Blair et Bush, un titre du Guardian énonce : « Renverser Saddam était juste, mais nous nous sommes retirés trop tôt ». Ceci dans un article phare du 13 juin écrit par un ancien fonctionnaire de Blair, john McTernan, qui a aussi travaillé pour le dictateur Irakien installé par la CIA, Iyad Allawi. En appelant à répétition à l’invasion d’un pays que son ancien maître avait aidé à détruire, il ne fit jamais référence aux 700 000 morts, ni aux 4 millions de réfugiés et au tournant sectaire qui avait eu lieu dans une nation autrefois fière de sa tolérance.

« Blair personnifie la corruption et la guerre », a écrit le journaliste radical du Guardian, Seumas Milne, dans un article très inspiré en date du 3 juillet. Dans le milieu on appelle cela « la balance ». Le lendemain, le journal publia une pleine page de publicité pour un bombardier américain. Sur la photo menaçante du bombardier était écrit : « le F-35, Génial pour l’Angleterre ». Cette autre personnification de « corruption et de guerre » va coûter aux contribuables britanniques 1,3 milliard de £, les précédents modèles de la gamme F ayant déjà servi à massacrer des gens un peu partout dans le monde en développement.

Dans un village d’Afghanistan, où vivent les plus pauvres des pauvres, j’ai filmé Orifa, s’agenouillant devant les tombes de son mari, Gual Ahmed, un tisserand, et de 7 autres membres de sa famille, dont 6 enfants, et de deux enfants qui furent tués dans la maison d’à côté. Une bombe « de précision » de 500 livres est directement venue s’exploser sur leur petite maison de boue, de pierre et de paille, laissant à la place un cratère de 50 pieds de long. Lockheed Martin, le fabricant de l’avion a le privilège de bénéficier de pages publicitaires dans le Guardian.

L’ancienne secrétaire des affaires étrangères des USA et aspirant présidente, Hillary Clinton, est récemment passé à la BBC, à l’émission « Women’s Hour », la quintessence de la respectabilité médiatique. La présentatrice, Jenni Murray, présenta Mme Clinton comme l’exemple même de la réussite féminine. Elle ne rappela pas à l’audience les propos déplacés de Mme Clinton qui prétendait que l’Afghanistan était envahi afin de libérer les femmes comme Orifa. Elle ne posa aucune question à Mme Clinton sur la campagne de terreur de son administration qui utilise des drones pour tuer femmes, hommes et enfants. Elle ne fit pas non plus mention de la menace de Mme Clinton, durant sa campagne présidentielle, d’ « éliminer » l’Iran, et rien non plus sur son soutien aux surveillances illégales, et son acharnement contre les lanceurs d’alertes.

Murray posa une question « osée ». Mme Clinton avait-elle pardonné à Monica Lewinsky d’avoir eu une affaire avec son mari ? « Le pardon est un choix, répondit Mme Clinton, pour moi ce fut le bon choix ». Cela nous rappelle que dans les années 90 et pendant la période secouée par le scandale « Lewinsky », le président Bill Clinton envahissait Haïti et bombardait les Balkans, l’Afrique et l’Irak. Il détruisait aussi les vies d’innombrables enfants Irakiens ; l’Unicef rapporte la mort d’un demi-million d’enfants Irakiens de moins de 5 ans, en conséquence de l’embargo mis en place par les USA et la Grande-Bretagne.

Ces enfants furent ignorés par les médias, tout comme les victimes des invasions soutenues par Hillary Clinton — l’Afghanistan, l’Irak, le Yémen, la Somalie — sont ignorés par les médias. Murray n’y fit jamais allusion. Une photo d’elle et de son invité de marque fut mise en avant sur le site de la BBC.

En politique, comme dans le journalisme et dans les arts, il semblerait que la contestation autrefois tolérée dans les médias mainstream se soit abaissée à un simple désaccord : un sous-sol métaphorique. Quand j’ai commencé ma carrière à Fleet Street en Angleterre dans les années 60, il était acceptable de critiquer fortement le pouvoir occidental. Il suffit de lire le rapport de James Cameron sur les explosions des bombes à hydrogène à l’atoll Bikini, où celui sur la guerre de Corée et sur le bombardement américain du Nord-Vietnam. La grande illusion de notre époque est ce mythe de l’ère de l’information, alors qu’en vérité nous vivons à une époque où la propagande des multinationales et du monde de l’entreprise est insidieuse, contagieuse, efficace et libérale.

Dans son essai de 1859 « De la liberté », auxquels les libéraux modernes rendent hommage, John Stuart Mill écrivait :

« Le despotisme est un mode de gouvernement légitime si l’on a affaire à des barbares, à condition que le but soit leur amélioration, et les moyens sont justifiés par l’accomplissement effectif de ce programme. »

Les « barbares » étaient de larges sections de l’humanité dont « l’obéissance implicite » était exigée.

« C’est un mythe utile et commode de croire que les libéraux sont pacifistes et les conservateurs belliqueux, écrivait l’historien Hywel Wiliams en 2001, mais il est possible que l’impérialisme du libéralisme soit plus dangereux de par sa nature explicite : sa conviction qu’il représente une forme supérieure de vie ». Il avait en tête un discours de Tony Blair dans lequel l’ex premier ministre promettait de « remettre de l’ordre dans le monde autour de nous » selon ses propres « valeurs morales ».

Richard Falk, autorité reconnue sur la loi internationale et rapporteur spécial de l’ONU sur la Palestine, a décrit une « bien-pensance, unilatérale, un écran légal/moral avec des images positives des valeurs occidentales et de l’innocence dépeinte comme menacée, justifiant une campagne de violence politique sans restriction ». Et « largement acceptée au point d’en devenir virtuellement incontestable. »

Favoritisme et mandature récompensent les gardiens. Sur la Radio 4 de la BBC, Razia Iqbal reçut Toni Morrison, la lauréate Afro-Américaine du prix Nobel. Morrison se demandait pourquoi les gens étaient « si énervés » contre Barack Obama, qui était pourtant « cool » et souhaitait seulement construire une « économie et un système de sécurité sociale solide ». Morrison était fière d’avoir parlé au téléphone avec son héros, qui se trouvait avoir lu un de ses livres et l’avait invité lors de sa prise de fonction.

Ni elle ni la présentatrice n’évoquèrent les sept guerres d’Obama, dont sa campagne de terreur par drones, à cause de laquelle des familles entières, leurs secouristes et leurs proches furent assassinés. La seule chose qui semblait avoir de l’importance était qu’un homme de couleur « qui s’exprime bien » s’était élevé au plus haut échelon de l’échelle du pouvoir. Dans « Les damnés de la terre », Frantz Fanon écrivait que « la mission historique » des colonisés était de servir de « ligne de transmission » aux dirigeants et autres oppresseurs. À notre époque, l’utilisation des différences ethniques par le pouvoir occidental et ses systèmes de propagandes est perçue comme essentiel. Obama incarne parfaitement cette idée, bien que le cabinet présidentiel de George W. Bush — sa clique belliciste — ait été le cabinet le plus multiracial de l’histoire présidentielle.

Alors que la cité Irakienne de Mosul tombait aux mains des djihadistes d’ISIS, Obama fit la déclaration suivante : « Le peuple américain a beaucoup investi et sacrifié afin que les Irakiens aient l’opportunité de se choisir une meilleure destinée ». À quel point ce mensonge est-il « cool » ? À quel point s’est-il « bien exprimé » lors de son discours à l’académie militaire de West Point le 28 mai ? Lors de son discours sur « l’État du monde » à la cérémonie de remise des diplômes de ceux qui « vont prendre la direction des États-Unis » à travers le monde, Obama déclara que : « Les États-Unis utiliseront la force militaire, unilatéralement s’il le faut, quand nos intérêts seront menacés. L’opinion internationale compte, mais l’Amérique ne demandera jamais la permission »

En répudiant la loi internationale et le droit de souveraineté des nations, le président américain s’octroie un droit divin basé sur la puissance de son « indispensable nation ». C’est un message d’impunité impériale familier, bien que toujours étonnant à entendre. Évoquant la montée du fascisme des années 30, Obama a dit « Je crois en l’exceptionnalité américaine de tout mon être ». L’historien Norman Pollack écrivait « Au lieu de ceux qui marchent au pas, on substitue l’apparemment inoffensive militarisation de la culture. Et au lieu du leader grandiloquent, nous avons le réformateur manqué, qui travaille allègrement, planifie et exécute des assassinats, tout en souriant ».

En février, les USA préparaient un de leurs coups d’États contre le gouvernement élu d’Ukraine, en exploitant de véritables protestations contre la corruption à Kiev. La conseillère nationale à la sécurité d’Obama Victoria Nuland ,sélectionna personnellement le leader d’un « gouvernement d’intérim ». Elle le surnomma « Yats ». Le Vice-Président Joe Biden se rendit à Kiev, tout comme le directeur de la CIA John Brennan. Les troupes de choc de leur putsch étaient des fascistes ukrainiens.

Pour la première fois depuis 1945, un parti néo-nazi ouvertement antisémite contrôle des secteurs clés du pouvoir étatique d’une capitale européenne. Aucun leader européen n’a condamné cette résurgence fasciste près de la frontière où l’invasion des Nazis d’Hitler couta la vie à plusieurs millions de Russes. Ils étaient soutenus par l’UPA, une armée d’insurgés Ukrainiens, responsable de massacres de juifs et de russes qu’ils appelaient « la vermine ». L’UPA est l’inspiration historique du parti actuel Svoboda et de leurs compagnons de droite. Oleh Tyahnybok, leader de Svoboda a appelé à une purge de « la mafia Mosco-Juive » et des « autres vermines », dont les gays, les féministes et tous ceux de gauche.

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, les USA ont entouré la Russie de bases militaires, d’avions de guerre et de missiles nucléaires, suivant le projet d’élargissement de l’OTAN. Reniant la promesse faite au président soviétique Mikhail Gorbatchev en 1990 de na pas étendre l’OTAN « d’un centimètre vers l’Est », l’OTAN occupe militairement l’Europe de l’Est. Dans l’ancien Caucase soviétique, l’expansion de l’OTAN est le plus important chantier militaire depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Le cadeau de Washington au régime issu du coup d’État à Kiev est un plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN. En août, l’opération « Rapid Trident » placera les troupes américaines et britanniques à la frontière entre la Russie et l’Ukraine et l’opération « Sea Breeze » placera des navires de guerre américains en vue de ports russes. Imaginer les conséquences si ces actes de provocations, ou d’intimidations, s’effectuaient contre les États-Unis.

En récupérant la Crimée — que Nikita Khrouchtchev avait illégalement détachée de la Russie en 1954 — les Russes se défendent comme ils l’ont fait depuis presque un siècle. Plus de 90% de la population de la Crimée a voté pour le rattachement à la Russie. La Crimée, c’est aussi la base navale de la mer Noire, et sa perte signifierait la mort de la flotte Russe et un trésor pour l’OTAN. Semant la confusion au sein des parties belliqueux de Kiev et de Washington,Vladimir Poutine retira les troupes russes de la frontière ukrainienne et urgea les ethnies russes de l’Est de l’Ukraine d’abandonner le séparatisme.

Suivant une logique Orwellienne, cela a été traduit à l’Ouest par « la menace Russe ». Hillary Clinton compara Poutine à Hitler. Sans ironie aucune, les commentateurs d’extrême-droite allemands firent de même. Dans les médias, les néo-nazis ukrainiens ne sont plus que des « nationalistes » ou « ultra-nationalistes ». Ils ont peur que Poutine soit habilement en quête d’une solution diplomatique, et qu’il réussisse. Le 27 juin, en réponse au compromis de Poutine— sa requête devant le parlement Russe de révoquer la législation qui lui avait octroyé le pouvoir d’intervenir en faveur des ethnies russes d’Ukraine — le secrétaire d’État John Kerry publia un autre de ses ultimatums. La Russie doit « agir dans les prochaines heures, littéralement » pour mettre un terme à la révolte en Ukraine de l’Est. Nonobstant le fait que Kerry soit largement considéré comme un guignol, le propos sérieux de ces « avertissements » est de conférer le statut de paria à la Russie et de faire écran de fumée aux nouvelles de Kiev et de la guerre que mène le régime intérimaire contre son propre peuple.

Un tiers de la population ukrainienne est russophone et bilingue. Ils souhaitent depuis longtemps la naissance d’une fédération démocratique qui reflèterait la diversité ethnique ukrainienne et qui serait autonome et indépendante de Moscou. La plupart ne sont ni « séparatistes » ni « rebelles » mais des citoyens qui veulent vivre en paix sur leur terre natale. Le séparatisme est une réaction à l’attaque la junte de Kiev sur ces mêmes citoyens, causant l’exode de plus de 110 000 d’entre eux (estimation de l’ONU) vers la Russie. Pour la plupart, des femmes et des enfants traumatisés.

Comme les enfants de l’embargo irakien, et les femmes et les jeunes filles « libérées » d’Afghanistan, terrorisées par les seigneurs de guerre de la CIA, ces ethnies d’Ukraine ne sont pas les bienvenues dans les médias occidentaux, leurs souffrances et les atrocités auxquelles elles sont soumises sont minimisées, ou passées sous silence. L’intensité de l’assaut mené par le régime n’est pas retransmise par les médias occidentaux mainstream. Ce n’est pas une première. En relisant le chef d’ uvre de Phillip Knightley « Première victime : le correspondant de guerre comme héros, propagandiste et faiseur de mythes », je renouvelle mon admiration pour le journaliste du Guardian Philips Price, le seul reporter occidental à être resté en Russie pendant la révolution de 1917 et à avoir rapporté la vérité sur les invasions désastreuses des alliés occidentaux. Objectif et courageux, Philips Price à lui seul dérange ce que Knightley appelle un « silence sombre » antirusse en occident.

Le 2 mai, à Odessa, 41 ukrainiens d’origines russes furent brulés vivant dans le QG des syndicats, sous les yeux de la police qui regardait sans rien faire. Il y a de nombreuses preuves vidéo sans équivoque. Le dirigeant de droite Dmytro Yarosh a dit de ce massacre qu’il était « un jour glorieux pour l’histoire de la nation ». Dans les médias américains et britanniques, ceci fut présenté comme une « sombre tragédie » résultant d’affrontements entre « nationalistes » (néo-nazis) et « séparatistes » (des gens collectant des signatures pour un référendum pour une Ukraine fédérale). Le New York Times passa cela sous silence, ayant classé comme propagande russe les avertissements sur les politiques fascistes et antisémites des nouveaux clients de Washington. Le Wall Street Journal a maudit les victimes — « Un incendie ukrainien mortel probablement l’ uvre des rebelles, selon le gouvernement ». Obama félicita la junte pour sa « retenue ».

Le 28 juin, le Guardian dévoua une quasi pleine-page aux déclarations du « président » du régime de Kiev, l’oligarque Petro Poroshenko. Encore une fois, la règle Orwellienne d’inversion s’appliqua. Il n’y avait pas eu de putsch ; pas de guerre contre les minorités ethniques ; les Russes étaient à blâmer pour tout. « Nous voulons moderniser mon pays, écrivit Poroshenko. Nous voulons introduire la liberté, la démocratie et les valeurs européennes. Quelqu’un n’aime pas ça. Quelqu’un ne nous aime pas pour cela. »

À la lecture de son article, le reporter du Guardian, Luke Harding, n’a jamais questionné ces affirmations, ou mentionné les atrocités d’Odessa, les attaques aériennes et de l’artillerie du régime sur des zones résidentielles, le meurtre et le kidnapping de journalistes, les incendies des journaux d’opposition, et la menace de « libérer l’Ukraine des poussières et des parasites ». Les ennemis sont « des rebelles », des « militants », des « insurgés », des « terroristes » et des larbins du Kremlin. Allez chercher dans les archives de l’histoire les fantômes du Vietnam, du Chili, du Timor-Est, d’Afrique du Sud, d’Irak, vous remarquerez les mêmes qualificatifs. La Palestine est la pierre angulaire de cette escroquerie sans fin. Le 11 juillet, à la suite des derniers massacres à Gaza, commis par les Israéliens, équipés par les Américains — 80 personnes dont 6 enfants de la même famille — un général Israélien écrivait dans le Guardian, le titre de son article : « Une démonstration de force nécessaire ».

Dans les années 70, j’ai rencontré Leni Riefenstahl et je lui ai posé des questions sur ses films qui glorifiaient les Nazis. À l’aide de caméras révolutionnaires et de techniques d’éclairages, elle a produit une sorte de documentaire qui hypnotisa les allemands ; son film « le triomphe de la volonté » est réputé avoir scellé le destin d’Hitler. Je lui ai posé des questions sur la propagande des sociétés qui s’estimaient supérieures. Elle répliqua que « les messages » dans ses films ne dépendaient pas « d’ordres venant d’en haut » mais d’un « vide de soumission » au sein de la population germanique. « Cela inclut-il la bourgeoisie libérale et éduquée ? » ai-je demandé, « tout le monde » m’a-t-elle répondu, « et bien sûr l’intelligentsia ».


* John Pilger est un journaliste, cinéaste et auteur, Australien d’origine, basé à Londres,. Pour ses reportages à l’étranger et de les guerres, allant du Vietnam et du Cambodge au Moyen-Orient, il a remporté deux fois le plus haut prix de la Grande-Bretagne pour le journalisme. Pour ses films documentaires, il a remporté un British Academy Award et un Emmy américain. En 2009, il a reçu le prix des droits humains de l’Australie, le prix Sydney de la Paix.

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