Édition du 16 avril 2024

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Commentaire sur l'article « Mario Beaulieu, une victoire qui ressemble à une défaite », d'André Frappier

Je suis globalement en accord avec l’analyse d’André Frappier concernant l’élection de Mario Beaulieu à la tête du Bloc québécois. Le Bloc ne peut être une alternative au gouvernement conservateur en place. Il a eu son utilité comme outil de protestation au début des années 90. Depuis, il s’est tellement intégré au fonctionnement du système politique fédéral, qu’il en est devenu comme un alibi. Effectivement, « si ce rôle est utile, alors pourquoi faire la souveraineté ? » Dans ce contexte, on doit reconnaître que Mario Beaulieu veut changer les choses en mettant l’accent sur la seule indépendance au détriment de la « défense des intérêts du Québec », qui pouvait vouloir tout dire ou son contraire.

 En fait, la vision de Mario Beaulieu semble se rapprocher de celle de Bernard Landry à l’effet que « l’indépendance n’est ni de gauche ni de droite, mais en avant », soit une vision désincarnée et unidimensionnelle, ne mettant l’accent que sur la question nationale, au détriment de tout autre enjeu social ou politique. Là où je décroche, c’est lorsque André Frappier après s’être demandé si le Bloc « peut favoriser la construction d’une alternative contre les politiques de droite du gouvernement Harper », il affirme que « c’est sous cet angle et uniquement sous cet angle qu’on doit évaluer la pertinence du Bloc et des propositions apportées par le nouveau chef ». N’est-ce pas là troquer une vision unidimensionnelle de ce que devrait être la mission du Bloc, pour une autre, tout aussi réductrice ?

 Or, dans le cadre du mode de scrutin actuel quelle est la meilleure façon de se débarrasser du pouvoir conservateur ? C’est bien sûr d’appuyer les libéraux de Justin Trudeau dans une approche de vote stratégique. C’est-à-dire changer un parti inféodé aux forces néo-libérales, pour un autre défendant la même idéologie et représentant exactement les mêmes intérêts. Avec un nouveau look, une approche plus subtile, philosophie plus libérale (c’est le cas de le dire...), mais fondamentalement on aura gagné quoi au-delà des apparences ?

 Pour moi, toutes les alternatives au gouvernement Harper ne sont pas égales. On prétend tabler sur la jonction des mouvements sociaux. Fort bien, mais de quels mouvements parle-t’on et surtout quels partis politiques précis représentent ces mouvements sociaux ? Je n’avale pas l’argument que tout ce qui n’est pas conservateur est progressiste, comme l’article semble le laisser croire.

Enfin, pour échapper au cul-de-sac du vote stratégique, qui nous force à choisir le plus petit dénominateur commun, il y a la possibilité de changer de mode de scrutin, en passant à la proportionnelle (diverses modalités sont possibles, dont la plus intéressante est le modèle mixte compensatoire), comme le réclament depuis des années Fair Vote/Représentation équitable Canada au niveau fédéral, le Mouvement démocratie nouvelle(MDN) au Québec et des partis politiques comme Québec solidaire et les Verts. Dans un tel contexte l’alternative au gouvernement actuel serait une coalition au sein de laquelle la gauche serait représentée et aurait un poids significatif. Ne vaudrait-il pas la peine de mener cette bataille avec autant de vigueur que toutes les autres, compte tenu des bénéfices qui en découleraient pour la démocratie ? Le plus évident étant que la proportionnelle rendrait impossible un gouvernement Harper (ou Trudeau…) majoritaire, avec une minorité de voix.

Luc Bordeleau

9 juillet 2014

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