Édition du 26 mars 2024

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États-Unis

Sympathie contre xénophobie : aux Etats-Unis, l’afflux d’enfants immigrés divise l’opinion

Le 1er juillet, plus de 100 manifestant·e·s se sont rassemblés dans la ville de Murrieta pour arrêter les bus transportant des enfants réfugiés qui devaient être transférés du Texas en Californie. Brandissant des drapeaux américains et portant des bannières incitant à « stopper l’immigration illégale », les manifestant·e·s disaient vouloir arrêter l’entrée d’enfants sans-papiers, selon eux, « criminels » et « malades », qui seraient devenus un poids pour les contribuables.

La manifestation de Murrieta a déclenché une violente controverse politique donnant lieu à de nombreuses contre-manifestations, notamment de religieux libéraux, s’opposant aux xénophobes réactionnaires. Le gouverneur républicain du Texas, Rick Perry, a envoyé 1000 gardes nationaux à la frontière. Le président Barack Obama a incité les habitant·e·s d’Amérique centrale à stopper l’immigration de leurs enfants aux Etats-Unis.

Une immigration en rapide expansion

L’afflux croissant à la frontière sud des Etats-Unis de dizaines de milliers d’enfants non accompagnés et sans-papiers, la plupart adolescents, mais beaucoup âgés de moins de 12 ans, a créé une crise sociale à la frontière et une crise politique dans la société et au Congrès. Jusqu’à récemment, seuls 7000 mineur·e·s non accompagnés avaient franchis la frontière, mais tout à coup, en 2014, leur nombre a explosé. Cette année, 47’000 enfants ont été jusqu’ici arrêtés à la frontière ; 7000 d’entre eux ont moins de 12 ans, plus de 700 ont moins de 5 ans ; on estime qu’environ 90’000 enfants sans-papiers au moins vont tenter d’entrer aux Etats-Unis d’ici la fin 2014. Les trois quarts d’entre eux proviennent d’Amérique centrale (Honduras, Salvador et Guatemala) ; le quart restant est composé principalement de Mexicains. Si cette tendance se poursuit, le gouvernement évalue qu’il y en aura 130’000 en 2015.

Selon une loi adoptée initialement par le Congrès sous le gouvernement de George W. Bush et destinée à prévenir la traite des êtres humains, les enfants provenant de pays non frontaliers ne peuvent pas simplement être renvoyés. Alors que les enfants mexicains sont immédiatement expulsés, à moins qu’ils puissent établir qu’ils sont en danger chez eux, les enfants d’Amérique centrale qui entrent sans documents sont placés en détention par le gouvernement. Ces enfants, dont la plupart fuient la pauvreté, la violence, et parfois l’exploitation sexuelle ou le trafic de drogue, sont placés par le Bureau chargé de la réinstallation des réfugiés tout d’abord dans des établissements de type pénitentiaire où sont enfermés des centaines d’enfants. Environ 90 % d’entre eux sont relâchés relativement vite et confiés à des parents à travers les USA ; mais la plupart d’entre eux ne comparaissent pas devant les tribunaux de l’immigration et se fondent dans la masse des quelque 12 millions de sans-papiers qui vivent déjà aux Etats-Unis.

Barack Obama a demandé 3,7 milliards de dollars pour pouvoir répondre à la crise humanitaire, mais il a également appelé la population d’Amérique centrale à garder les enfants chez elle : « N’envoyez pas vos enfants seuls en train, ne les confiez pas à une bande de contrebandiers ». […]

En Amérique centrale, la violence qui conduit à cette émigration aujourd’hui est largement le résultat des politiques nord-américaines. En 1954, les USA ont renversé le gouvernement nationaliste progressiste élu au Guatemala. Puis ils ont appuyé durant 40 ans, les gouvernements militaires ou de droite au Guatemala et au Salvador, jusqu’à ce que les guerres civiles dans ces pays cessent au milieu des années 1990. Washington a ensuite été le pourvoyeur de la mondialisation et du libre marché, qui ont provoqué fermetures d’usines et chômage dans ces pays. Le travail manquant, les anciens soldats démobilisés sont souvent devenus des criminels, des extorqueurs et des trafiquants de drogue. Le kidnapping et le meurtre sont devenus choses communes dans ces trois pays, affectant toute la population, mais en particulier les travailleurs et travailleuses et les pauvres.

Sympathie contre xénophobie

La brusque augmentation du nombre d’enfants à la frontière a eu des répercussions dans tout le pays, donnant l’occasion à des groupes de droite d’appeler à hauts cris une nouvelle législation anti-immigration. Dans le Maryland, des graffitis sont apparus sur les murs dénonçant cette immigration « Pas d’illégaux ici. Pas de Démocrates sans-papiers ». Dans le Michigan, un groupe anti-immigré a marché, portant drapeaux et insignes, mais aussi fusils d’assaut et armes de poing. Dans le Massachussetts et à Rhode Island, à plus de 3000 km de la frontière texane, des manifestant·e·s ont défilés avec des pancartes où il était écrit « Stop à l’invasion ». Des groupes de droite anti-immigrés ont organisé plus de 300 manifestations à travers le pays le 19 juillet dernier, mais presque toutes étaient de petite taille, ne rassemblant qu’une poignée de gens.

[…] Nombre de Nord-Américains·e·s ne sont pas de farouches anti-immigrés et beaucoup ont de la sympathie pour les enfants. Une coalition de groupes religieux, allant des catholiques aux protestants traditionnels en passant par les évangéliques qui d’habitude se rangent du côté des conservateurs, s’est rassemblée pour appuyer les enfants immigrés. L’Eglise mormone et le parti républicain de l’Utah, dominé par les mormons, ont aussi exprimé leur sympathie aux enfants et affirmé qu’ils seraient bien accueillis dans leur Etat. Il y a également des mouvements d’immigrés comme CASA dans le Maryland qui ont marché sur la Maison-Blanche en portant des pancartes où l’on pouvait lire « Président Obama — Bas-toi pour nos familles ». Même si cela n’apparaît pas toujours ainsi, les enfants de la frontière ont plus d’amis que d’ennemis aux USA.

* Article écrit pour le périodique « solidaritéS » (Suisse).

Dan La Botz

L’auteur est un professeur d’université américain et un militant de l’organisation socialiste Solidarity.

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