Édition du 23 avril 2024

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Canada

Le piège qu'est l'entente Harper-Chine

L’entente avec la Chine passe devant les provinces, les Premières Nations quand il s’agit de projets énergétiques selon cet expert

L’APIE a des implications importantes régulatrices et sur le marché du travail pour le développement de l’industrie de liquéfaction méthanier.

La traduction libre de Johanne Dion (Les Amies du Richelieu) d’un reportage d’Andrew Nikiforuk publié dans TheTyee.ca

L’un des experts canadiens en traités d’investissements nous prévient que l’accord très préférentiel entre le Canada et la Chine pourrait avoir des implications importantes sur le développement de la ressource et l’industrie de liquéfaction du gaz naturel en Colombie-Britannique et dans le reste du pays.

L’Accord controversé sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APIE) entre le Canada et la Chine, que le gouvernement Harper a adopté sans débat parlementaire, "veut dire que n’importe quel gouvernement de la C.-B. ou législature, ou cour judiciaire serait maintenant assujetti aux obligations entendues entre le gouvernement fédéral et la Chine selon ce traité," dit Gus Van Harten, un professeur du Osgoode Law School.

Cela veut aussi dire que les obligations selon l’APIE peuvent infirmer les priorités et les droits des Premières Nations dans la province.

Van Harten donne deux exemples critiques sur la façon dont l’APIE pourrait impacter la province.

Si le gouvernement de la C.-B. décidait de changer les règles sur la fracturation hydraulique pour le gaz de schiste afin de protéger l’eau ou réduire les fuites de méthane, ces changements pourraient être contestés par les investisseurs Chinois qui les trouveraient injustes et une violation de leurs attentes au moment de leurs investissements.

De plus, si le gouvernement de la C.-B. stipule que davantage de citoyens de sa province doivent être engagés par l’industrie au lieu d’employés temporaires étrangers, alors les investisseurs Chinois pourraient contester ces changements également, comme étant des changements injustes des règles en place au moment où ils ont investi.

"Si ils veulent changer les règle sur l’extraction ou l’emploi, le gouvernement pourrait être restreint par les obligations dans l’Accord," ajoute Van Harten, l’auteur du livre "Investment Treaty Arbitration and Public Law".

Le gouvernement de la C.-B. a déjà signé une entente avec la Chine qui pourrait permettre l’importation d’employés faiblement rémunérés venant de la Chine pour construire les ports méthaniers.

Comment concilier l’APIE et cette convention collective ? se demande Van Harten.

"Les gouvernements de la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral doivent être très clairs sur leurs décisions et sur comment ils auraient pu être influencés par les obligations de cet Accord," ajoute le professeur en droit.

Donnez au public une "fenêtre" sur le traité

Le gouvernement de la C.-B. a activement subventionné le gaz de schiste et le développement de l’industrie de liquéfaction du gaz naturel grâce à de faibles redevances, des incitations financières pour les infrastructures, de l’eau gratuite, et une géoscience gratuite d’une valeur de plus d’un milliard de dollars d’argent du contribuable.

Un site Web du gouvernement de la C.-B. se vante en disant : "La Colombie-Britannique offre des taux de taxations faibles pour les corporations en recherche et développement, en machinerie et équipement."

Sous l’APIE, la cessation de n’importe lesquelles de ces subventions pourraient être mise au défi par les investisseurs Chinois également. Ce n’est pas facile à prévoir, remarque Van Harten, parce que sous l’APIE, la situation en subventions est beaucoup plus complexe. Certaines subventions sont permises par l’accord tandis que d’autres ne le sont pas.

L’expert en traités aimerait voir une législation provinciale ou fédérale qui fournirait au public "n’importe quelle information disponible au gouvernement sur les façons dont le traité a été invoqué par les investisseurs étrangers pour que le public puisse avoir une fenêtre sur les impacts du traité sur le gouvernement au Canada."

L’APPIE, qui fait toujours face à des litiges avec les Premières Nations, compte plusieurs chapitres controversés et se différencie grandement des autres ententes de libre-échange de plusieurs façons importantes.

L’expert nous donne sa liste de préoccupations

Voici juste quelques éléments uniques du traité examinés par Van Harten dans une étude en devenir et en profondeur pour l’Annuaire Canadien de droit international.

Il donne à la Chine le statut de Nation la plus favorisée, et "oblige le Canada, mais pas la Chine, à ouvrir son économie aux investisseurs de l’autre état."

Il permet aux investisseurs Chinois, en général, d’acheter des actifs au Canada que des investisseurs canadiens ne pourraient pas acheter en Chine.

Il limite la capacité du Canada de filtrer les investissements Chinois à évaluer selon la Loi sur Investissement Canada tout en préservant la capacité de la Chine de filtrer les investissements du Canada sur tous les niveaux de gouvernement et sans les limitations imposées par le filtrage de la Loi sur Investissement Canada.

Il permet aux investisseurs étrangers des deux pays de faire des réclamations les uns contre les autres, mais ne permet pas aux deux gouvernements de faire des réclamations contre les investisseurs étrangers : un déséquilibre évident.

Il passe outre une réserve conçue pour préserver les droits des Autochtones, ce qui est inclus dans toutes les autres 25 ententes d’investissements et de commerce très similaires.

L’accord a une durée de vie de 31 ans, une longévité qui dépasse la grande majorité des accords similaires signés par le Canada.

Il donne un statut spécial aux investisseurs étrangers comme le China National Offshore Oil Corp. (CNOOC) ou China Petrochemical Corp. (Sinopec) en leur accordant des protections légales substantielles que les autres parties privées n’ont pas, dont des compétiteurs du marché intérieur.

Il permet aux investisseurs comme les corporations qui sont possédées par l’état de la Chine de faire des réclamations contre le gouvernement en secret. (Van Harten dit que l’arbitrage devrait être rendu public seulement quand une attribution est accordée.)

De plus, la définition d’investissement dans l’accord est extrêmement large.

Le mot ne veut pas seulement dire des terres ou des édifices mais inclut aussi les droits de concession de la ressource, des instruments de la dette (ce qui veut dire les investissements de portfolios), les droits de propriété intellectuelle et "n’importe quelle autre propriété, tangible ou intangible, et les droits de propriétés qui y sont reliés, acquis ou utilisés pour des fins d’affaires."

Qui contrôle les bénéfices des usines de liquéfaction méthaniers ?

L’intérêt des Chinois pour les 14 projets de terminaux méthaniers est substantiel et se limite surtout aux corporations puissantes propriétés de l’état qui ont des liens directs avec le parti totalitaire Communiste de la Chine.

Ces méga-entreprises, parmi les plus importantes compagnies pétrolières de la planète, ont toutes été mêlées à des scandales et des enquêtes pour corruption partout au monde, dont au Canada.

Sinopec, la plus importante compagnie de la Chine selon le revenu, possède 15% des parts dans le projet du centre méthanier Pacific Northwest.

La CNOOC est propriétaire de 60% du projet de centre méthanier Aurora et cherche à investir dans le projet méthanier de Prince Rupert.

Et la compagnie PetroChina Co. Ltd est un partenaire important dans le consortium mené par Royal Dutch Shell dans la construction du projet méthanier à Kitimat.

Un rapport de 2013 fait par le conseil bilatéral US-China Business Council remarquait que "les restrictions d’accès aux investissements et au marché continuent d’être une préoccupation prioritaire" pour les compagnies des É.-U. et du Canada qui essayent d’opérer dans l’économie restrictive et très protectionniste de la Chine.

Aucun examen public indépendant sur les implications de cet accord sans précédents n’a eu lieu avant sa ratification.

Le commerce entre la Chine et le Canada est très déséquilibré. En 2013, le Canada exportait environ pour une valeur de $20 milliards de matières premières non transformées (minerai, poisson et pulpe de bois) vers la Chine, tandis qu’il importait une valeur de $50 milliards en machineries, en chaussures, en meubles, jouets et plastiques venant de la Chine.

Andrew Nikiforuk

Journaliste au journal indépendant The Tyee, Canada.

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