Édition du 26 mars 2024

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Environnement

Le temps fuit pour les bélugas du St-Laurent

Le temps fuit, les jours déboulent, et portant chaque moment est si précieux qu’il ne faut pas en gaspiller un seul. Depuis quelques semaines, les événements se sont tellement précipités que j’ai à peine eu le loisir d’en faire le bilan. Incontestablement, nous avons progressé depuis le jour où j’envoyais ma Lettre aux pétroliers, dans laquelle j’écrivais « Over my dead body ! » et « Vous m’avez tiré de ma retraite. Ça va barder ! »

L’auteur est directeur scientifique de l’Institut national d’Écotoxicologie du Saint-Laurent.

Après un premier échec, la Cour supérieure du Québec nous a donné raison, à nous les requérants qui exigions un arrêt des travaux de TransCanada Pipelines dans la pouponnière des bélugas. Chaque étape de cette saga contribue à me rappeler que plus ça change, plus c’est pareil. Il y a 30 ans, je me battais pour faire reconnaître à nos gouvernements qu’un poison pour l’homme... est un poison pour la baleine. À cette époque, nous mesurions jusqu’à 800 ppm de BPC dans les tissus des bélugas du Saint-Laurent. Mais les autorités en minimisaient l’impact sur leur santé, alors que 5 à 10 ppm de BPC déversés dans un champ suffisaient à faire évacuer un village. Aujourd’hui, procéder à des forages dans la maison des bélugas leur semble normal, puisque comme ils le disent, « les bélugas du Saint-Laurent sont habitués au bruit.. . » La belle affaire ! Pourquoi pas : « Le patient a déjà ingurgité de l’arsenic et il respire toujours ; donnons-lui encore une dose... »

Entre les entrevues télé, je viens d’aller voir nos bélugas. Ces jours derniers dans Charlevoix et sur la Rive-Sud étaient tout simplement fabuleux : ciel bleu, montagnes sombres habillées de rouge et de jaune, Saint-Laurent d’un calme étincelant. Vendredi, des douzaines de bélugas remontaient le Saguenay par petits groupes. Je suis à chaque fois surpris et reconnaissant de les observer. Et toujours, ils gardent leur mystère : pourquoi diable remontez-vous ainsi le fjord aujourd’hui ? Où allez-vous ? Qu’y a-t-il là-haut que je manque pour ne pas en avoir entendu parler ?

Samedi matin, j’ai traversé sur la rive sud, au Bas-Saint-Laurent, pour faire une courte visite au cimetière des bélugas. De 1705 à 1930, il y avait de ce côté une « pêche à marsouins », c’est-à-dire un piège à fascines dans lequel des douzaines de bélugas se faisaient prendre et dépecer chaque année. 225 ans de chasse, ça fait combien de corps ? 2000 ? 10 000 ? Un nombre ahurissant. Assurément, la population de bélugas était nombreuse et la reproduction efficace. Tout sur la planète semblait en nombre illimité et inépuisable. Autres temps, autres mœurs. Nos bélugas sont moins de 1000 aujourd’hui, mais toujours au même endroit. Dans leur maison, quoi. On ne les chasse plus, ils sont protégés par la loi.

Sauf quand quelqu’un en haut lieu, qui croit en Dieu mais en rien d’autre, décide de changer la loi. Parce que nous avons tous besoin de pétrole. Et le plus sale possible, svp. À bien y penser, le bruit, c’est bon pour nous aussi. L’atmosphère se porte bien, les gaz ont de moins en moins d’effet de serre, n’avons-nous pas une fin septembre spectaculaire ? Taisez-vous donc, la parade a commencé. Faites comme les bélugas : regardez passer les pétroliers.

Mais savez-vous quoi ? Je ne me sens pas bien, assis dans l’estrade à regarder passer la parade. J’ai le goût de bouger et de prendre mon sort entre mes mains. Il ne reste que deux semaines et des poussières avant le 15 octobre. Je serai là pour m’opposer à la reprise des travaux. Viendrez-vous avec moi ?

Pierre Béland

Directeur scientifique de l’Institut national d’Écotoxicologie du Saint-Laurent

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