Édition du 23 avril 2024

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Des funérailles nationales pour Duvalier auraient été une insulte à la mémoire des victimes de son régime

Selon les plus récentes informations, il n’y aura pas de funérailles nationales, en Haiti, pour l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, également surnommé " Bébé Doc ", malgré ce que le président du pays, Michel Martelly, avait précédemment laissé entendre. C’est au moins cela.

" Si cela avait été le cas, cela aurait une véritable gifleà tous ceux et celles qui sont épris de justice ", de souligner le chef du PCQ, André Parizeau. " Cela aurait d’abord et avant tout été une insulte à la mémoire de toutes les victimes du régime des Duvaliers, que ce soit avec le père ou le fils ".

" Nous, au PCQ, appuyons l’idée que les procédures judiciaires visant à l’origine Jean-Claude, pour cause de crimes contre l’humanité et contre le peuple haitien, puissent se poursuivre, malgré la mort de celui-ci, et que ces procédures puissent même être étendues aux autres représentants du régime des Duvalier qui sont encore vivants. Il y a un devoir de mémoire qui s’impose toujours ".

Ci-joint, nous reproduisons de larges extraits d’un texte qui nous vient de nos camarades communistes, en France, issu du site internet intitulé Solidarité Internationale PCF, et qui revient justement sur ce que fut ce fameux régime. Certaines corrections très mineures ont dü être apportées pour des raisons essentiellement de compréhension, des suites du fait qu’il ne s’agit que d’extraits.

(Merci à Guy Roy qui nous a signalé cet article - Rédaction de PTAG)

Les Duvalier ont marqué de leur empreinte 30 ans de l’histoire d’Haiti. 30 ans de dictature impitoyable, de corruption éhontée, de misère effroyable pour le peuple haitien. Le fils comme le père, étaient des amis de la France, des alliés des USA, et ils ne seront jamais inquiétés.

Jean-Claude Duvalier, alias « Bébé Doc » est mort, à l’âge de 63 ans, comme le général Pinochet au Chili, Videla en Argentine, ou Suharto en Indonésie. Il est mort sans jamais être inquiété pour ses crimes contre l’humanité. Il avait choisi le « camp du bien », pendant la Guerre froide, csoit elui de l’anti-communisme, celui du néo-colonialisme.

Ces derniers années, il a versé des larmes de crocodile sur ses " erreurs " pendant ses 15 années de règne, de 1971 à 1986. Les dizaines de milliers de Haitiens – entre 30 et 60 000 – morts dans ses prisons, sous les coups des « Tontons Macoutes » ne sont plus là pour témoigner.

Comprendre la dynastie Duvalier, c’est comprendre la tragédie haitienne, du premier pays noir à se libérer du colonialisme en 1804.

Dans les années 1950, Cuba et Haiti croupissaient dans la misère, l’humiliation coloniale. Mais pendant que Cuba, du Che et de Fidel, choisissait la révolution communiste et anti-colonalist,e contre les USA. Haiti, elle faisait le choix exactement contraire.

Le choix d’Haiti a été imposé par les Etats-unis et par la France ; ce fut le pouvoir autocratique de « Papa Doc », soit François Duvalier. Celui-ci, en 1957, impose alors une dictature impitoyable : suppression de l’opposition, des libertés civiles, mise au pas de la justice, de l’armée, abolition du parlement. En 1961, il est réélu président à 100 %, et en 1964 président à vie.

A partir de 1958, il crée un corps de volontaires nationaux surnommés « Tontons macoutes ». Ce groupe terroriste d’Etat, composé de près de 10 000 voyous, sème la terreur dans les rues, multiplie les viols, enlèvement, assassinats, qui feront des dizaines de milliers de victimes sous son règne.

Pourtant, « Papa Doc » ne fut jamais condamné. Mieux, il fut soutenu. Les Etats-unis appréciaient particulièerement sa position pro-américaine, face à Cuba la rouge, face au bloc communiste.

« Papa Doc » fut également soutenu par le Vatican qui a lui a pardonné sa reprise en main musclée de l’Eglise locale, et cautionné ses dérives vaudous – justifiant son culte de la personnalité – ainsi que sa gestion despotique et instrumentale du clergé national, avec le Concordat réaffirmé en 1966.

Malade à la fin des années 1960, l’autocrate Duvalier fait alors nommer son fils comme son successeur, en tant que président à vie. En 1971, à l’âge de 19 ans, Jean-Claude Duvalier, aka « Bébé Doc », devient alors le nouveau président de Haiti ad vitam eternam.

Soucieux de l’image de ses alliés, les pays occidentaux auront tôt fait de lui coller l’étiquette de « réformateur ». Ou tout du moins d’un dirigeant « pragmatique », préférant confier la politique aux spécialistes, plus soucieux qu’il était de concentrer èa participer aux diners mondains, amoureux de la bonne chair et de jolies femmes.

Réformateur, « Bébé Doc » ne le fut pas. Il y a l’adage « tout changer pour que rien ne change ». Lui, il n’a rien changé pour que rien ne change ! La justice est restée impuissante, l’armée sous contrôle, les libertés civiles supprimées, les élections faussées, la répression organisée conjointement par la police, les services de renseignement et les « Tontons macoutes ».

Un rapport d’Amnesty International, publié en septembre 2011, est édifiant. Selon ce rapport, la répression sous le fils Duvalier n’avait rien à envier à celle du père, dans son ampleur d’abord, avec sans doute près de 100 000 morts, directement imputables au régime dynastique.

On parle de tortures systématiques, morts en détention, conditions d’incarcération inhumaines, disparations forcées, assassinats ciblés. Le tout dans la plus complète impunité, et toujours au nom de la « lutte contre la subversion communiste », déclarée crime en 1969.

Amnesty International admet une différence majeure. La terreur sous Duvalier Père était plus visible, flamboyante, indifférenciée : fusillades en pleine rue, tortures à l’aéroport, furie des Tontons Macoutes. Sous le fils Duvalier, la terreur fut plus secrète, sélective, méthodique : enlèvements mystérieux, tortures dans des lieux secrets, cible des opposants subversifs. C’est sans doute pire.

Le rapport d’Amnesty rappelle les cas précis de dizaines de « disparus » dont nous ne saurons jamais le sort. On peut rappeler le cas de Rock Charles Derose, un militant du Parti communiste unifié des Haitiens (PCUH), arrêté en 1981 et qui voulait fonder un syndicat dans son entreprise, torturé puis porté disparu. On n’eut plus jamais de nouvelles de lui.

D’un côté, le « Camp de Fort Dimanche », ce camp de concentration effroyable où on peut entrer, mais d’où on ne sort pas. De l’autre, il y avait la Caserne Dessalines, le lieu des interrogatoires, tortures raffinées des services spéciaux. Enfin, il y avait le Pénitiencier national, où on meurt dans les prisons avec des cellules de 13 m 2, où s’entassent entre 40 et 50 détenus.

La marotte des tortionnaires haitiens, c’était le « djak » réservé aux « communistes présumés » : les détenus voyaient leurs mains et leurs pieds attachés ; ils étaient ensuite accrochés à une perche ou un bâton, roulés en boule puis violemment fouettés et bastonnés sur les parties du corps laissées plus vulnérables.

Pragmatique il était, oui, à coup sûr, quand il s’agissait de s’enrichir, lui et sa famille. Flambeur, coureur, personnage superficiel, « Bébé doc » laissait la politique aux experts groupés autour de sa mère et des « dinosaures » de la vielle garde paternelle.

Mais il ne perdait en même temps jamais le nord, accumulant des millions par la corruption massive, le détournement de fonds, l’enrichissement sur le dos d’un peuple miséreux.

Selon Transparency International, il était en 2004 le 6ème leader le plus corrompu du monde, avec jusqu’à 800 millions d’euros de fonds détournés. Il aurait ainsi détourné les ¾ de l’aide humanitaire adressée à l’île sinistrée.

Dans un pays, où aujourd’hui 78 % de la population vit dans la pauvreté absolue, Duvalier fils pratiquait le mépris le plus ostentatoire. On raconte que son mariage lui a coûté 3 millions d’euros, lui se contentait de jeter l’argent par les fenêtres à chacune de ses sorties publiques.

Pas plus que son père, Jean-Claude Duvalier ne fut inquiété. Les Etats-unis ont même développé les relations les plus cordiales avec lui en particulier sous les présidences Nixon et Ford. Après un refroidissement dans la période Carter, Ronald Reagan renouait avec son amitié puisqu’il demeurait un pilier de l’anti-communisme en Amérique latine, face à l’ « Empire du mal ».

Lorsque Jean-Claude Duvalier fut chassé du pouvoir par une révolte populaire en 1986, il trouva trouvé refuge … en France, où il y restera pendant 25 ans.

Haiti ne s’est pas relevé des trente ans de terreur, de corruption, et de misère imposée par en haut.

Aujourd’hui encore, Haiti demeure un des pays les pauvres du monde : il compte 78 % de personnes en pauvreté absolue, c’est-à-dire vivant avec moins de 2 $ par jour. Le PIB par habitant y est de 550 € par an, soit 50 € par mois, ou encore 1,7 € par jour !

La situation sanitaire y est désastreuse : l’espérance de vie est de 62 ans, la mortalité infantile de 50 pour 1 000 (5 % !), il y a 1 médecin pour 3 000 habitants. Le développement du SIDA est endémique, tandis que le choléra a tué par milliers en 2010.

Vu le niveau des infrastructures, l’état de la santé sur place, la misère des gens, la déforestation qui atteint les 98 % (!), chaque catastrophe naturelle est une tragédie humaine. Le séisme de 2010 a ainsi fait près de 250 000 morts, un chiffre inédit pour la région.

Impuissant à faire face à une telle situation, et non sans une certaine irone, le gouvernement très « capitaliste » haitien a dû finalement se résigner à faire appel au gouvernement « communiste » cubain. Des milliers de médecins cubains sont alors venus aider le peuple haitien, sauvant des milliers de vies face au séisme et à l’épidémie de choléra.

Mais, ne comparez pas en même temps Haiti à Cuba, car vous comprendriez alors encore mieux la tragédie du capitalisme dépendant haitien versus la réussite du communisme indépendant cubain.

Pour la même population, Cuba communiste possède un PIB huit fois supérieur à celui d’Haiti capitaliste. Son PIB par habitant est de 4 500 € par an, soit 430 € par mois.

Parlons maintenant de santé, et d’éducation. Cuba est le seul pays du continent latino-américain à avoir un taux d’alphabétisation et de scolarisation de 100 %, et le meilleur système d’éducation du sous-continent dixit l’UNESCO.

En matière de santé, le système cubain dépasse maintenant celui des Etats-unis, avec une espérance de vie égale de 78 ans, un taux de mortalité inférieur avec 5 pour 1 000 (8 pour 1 000 aux USA). Cuba est même le pays où il y a le plus de médecins par habitant au monde (1 pour 160 !).

La réussite est telle que désormais les centres de recherche cubains sont à l’avant-garde de l’investigation sur les vaccins contre le SIDA ou certains cancers. Des citoyens du monde entier préfèrent même se faire soigner à Cuba au vu de la qualité du service, et de son faible prix !

Haiti n’est en même temps pas plus libre, depuis la chute de Duvalier fils, qui se produisit en 1986.

Depuis 1986, les Etats-unis manoeuvrent pour empêcher toute transition progressiste sur l’île. Il suffit de penser à la trajectoire du prêtre Jean-Bertrand Aristide, homme de gauche, partisan de la théologie de la libération, soucieux d’égalité sociale et de liberté politique.

Aristide fut élu triomphalement, en février 1991, à 67 %, contre le candidat de droite soutenu par les USA, le clergé, le business local. Mais, en décembre 1991, il est déposé par un coup d’Etat fomenté par l’armée, les élites locales et les services secrets financés par la CIA.

En 1994, Aristide revient dans le fourgon des troupes de l’ONU, tandis que les USA sous pression de la communauté haitienne exilée, tâchent de se refaire une virginité politique.

Mais les choses ne tournent pas comme prévu pour les Etats-unis. Aristide refuse les plans d’ajustement structurel du FMI, de la Banque mondiale, les privatisations massives. Les Etats-unis refusent alors qu’Aristide – au nom de la Constitution – réalise un autre mandat.

Aristide tend alors la joue droite, après avoir été frappé sur celle de gauche. Il se retire, mais revient encore en 2001, après avoir été élu à 93 %, sauf que cette fois-ci la participation populaire sera ridicule. La démocratie haitienne est déjà morte née.

Le gouvernement d’Aristide est alors déstabilisé par une nouvelle rebellion armée. Il est finalement à nouveau déposé par un autre coup d’Etat, en 2004, bénéficiant toujours de la bienveillance américaine. Aristide est alors sommé de quitter Haiti, transporté hors de son pays à bord d’un avion ... américain.

Pour Aristide, contraint à l’exil en Afrique du sud, il ne fait pas de doute que la France et les Etats-unis l’ont renversé, dans ce qui s’apparente au « kidnapping » d’un président démocratiquement élu.

« Papa Doc » est mort, « Bébé Doc » est mort, mais l’héritage des tontons macoutes, du capitalisme de la misère, de la terreur anti-communiste, et du colonialisme dépendant est toujours là. Bien présent. Une véritable tragédie.

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