Édition du 23 avril 2024

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Canada

De l'engagement politique radical et de la maladie mentale

Les deux événements violents survenus la semaine dernière au pays ramènent dans le débat le questionnement sur les motivations des protagonistes, sur les assises de leurs actes. Est-ce que ce sont des actes politiques, car le terrorisme est politique par nature, ou des actes qualifiés d’insensés commis sous l’emprise de la maladie mentale ?

Nous avons déjà joué dans ce film : rappelons-nous tout ce qui s’est dit autour de l’attaque contre les femmes de Polytechnique et de Marc Lépine l’auteur de la fusillade. Cela s’est répété lors de l’attentat au collège Dawson et plus tôt dans l’histoire récente, lors de celui de l’Assemblée nationale par le caporal Lortie, entre autre. La violence utilisée, en apparence gratuitement, dans ces événements révulse chacun de nous, des innocents-es y sont tués-es et cela mérite une ou des explications plausibles. La maladie mentale finit par combler le vide tant il est difficile d’admettre que la raison peut y être pour plus que le commun des mortels ne peut se l’imaginer.

L’action politique radicale et violente,

Cette forme d’intervention dans la vie politique est probablement aussi vieille que le monde. L’histoire est farcie de meurtres et batailles destructrices de toutes sortes au nom d’idéologies et autres causes. Les croisades se sont faites au nom du Dieu défendu par la catholicité. Il faut se le rappeler. Cette année est le 100ième anniversaire des assassinats de l’empereur d’Autriche qui a déclenché la première guerre mondiale et celle de Jean Jaurès qui s’opposait à la participation de la France à cette guerre. Dans les deux cas, les meurtriers ont avancé une position politique opposée à leurs victimes pour assoir leur acte. Plus près de nous, le mouvement souverainiste québécois, au début des années soixante-dix, a aussi utilisé les actes violents pour agir politiquement. Si cela a été largement condamné, jamais à ma connaissance, la maladie mentale n’a été invoquée pour expliquer ces actes. Et il en est ainsi dans la plupart des situations connues jusqu’à ces récentes années.

Il est vrai que nos sociétés démocratiques ne peuvent inclure la violence politique comme mode d’action. La démocratie est sensée introduire des mécanismes de dialogues et de négociation pour résoudre les conflits qui à la limite isolent les récalcitrants-es. Il n’y a qu’à voir l’indignation que soulèvent bien des grèves même non violentes et celle qu’a soulevé le « printemps érable » dans une grande partie de la population québécoise. La violence s’exerce autrement, la plupart du temps par les détenteurs-trices du pouvoir sur ceux et celles qui la subissent. Elle est insidieuse, on ne tire sur personne et on se sert d’analyses politico-morales et-ou économiques pour se justifier. Elle est dénoncée mais demeure présente.
Dans les cas qui nous occupent, ce qui déconcerte c’est que les auteurs des attentats agissent seuls. Ils ne font partie d’aucun réseau structuré, ne répondent pas à des ordres venus de plus haut qu’eux, ne donnent que des raisons floues pour expliquer leur action. Jusqu’à récemment, le terrorisme était le fait de réseaux plus ou moins organisés ; même Al Quaïda structurait des cellules et si des individus agissaient seuls, ils le faisaient avec une certaine entente avec « la base » (ce que signifie littéralement Al Quaïda). Nos deux criminels n’en sont pas là comme d’autres en Europe et ailleurs.

Peut-on dans ces cas parler de terrorisme comme s’est empressé de le faire M. Harper ? (Il donnait vraiment l’impression de se réjouir : enfin nous avions nos attaques terroristes, nous faisions partie du bon côté du monde, celui qui a la vérité de son côté et est attaqué pour cette raison). Et faut-il accorder une telle importance à ces gestes ? Est-ce que nous ne sommes pas en présence d’actes criminels violents comme nous en voyons malheureusement souvent ? Même la cible est symbolique : des militaires en uniforme, et on finit par trouver des références un peu floues au djihadisme.

Violence et maladie mentale

Au cours des récentes années, surtout aux États-Unis, le nombre de fusillades, en apparence gratuites, commises par des individus jusque-là inconnus, n’a cessé d’augmenter. Ce qui les distingue des cas immédiatement identifiés de « politiques » c’est justement le caractère isolé de l’assassin : il agit seul, n’appartient à aucun groupe structuré, ni à aucun parti politique qui aient la violence comme programme. Souvent les objectifs sont difficiles à trouver mais ils sont rarement sans références.

Ce sont ces personnes que l’on classe facilement et très vite dans la catégorie « fou », comme si cela n’avait aucune signification sociale et politique. On renonce à comprendre. L’assassin est seul responsable, si on n’implique pas son entourage, et nous avons tous et toutes la conscience tranquille. D’autant plus que la plupart du temps, le tireur est abattu par la police au cours de l’action et donc ne peut s’expliquer plus avant.

Cette réaction a deux conséquences : il n’est plus possible de trouver de motivations raisonnables à l’assassin, et elle efface toute signification à la présence de la maladie mentale dans nos sociétés.

Lorsque Marc Lépine a attaqué les jeunes femmes de polytechnique, il était mu par l’antiféminisme en réaction à la lutte féministe qui prévalait avec force à l’époque. L’enquête nous l’a révélé par la suite. Est-ce que tous les misogynes sont fous ? Est-ce que c’est le fait de passer à l’acte violent pour faire valoir ses convictions qui le classe obligatoirement dans la maladie mentale ? Est-ce que tous ceux qui rejoignent cette armée de djihadistes le font parce qu’ils ont perdu l’esprit ? Il existe une foule de raisons personnelles et sociales qui peuvent expliquer de tels engagements, pas que la folie. Et quand cela serait, est-ce que la signification d’un tel basculement dans notre ordre social ne nous enseigne rien sur les rapports de forces dans lesquels nous vivons ?

Les délires reposent toujours sur des éléments de connaissance qui ne sont pas particuliers à la personne en souffrance. Ils peuvent être d’un ordre extrêmement personnel et intime, mais aussi reposer sur des informations complètement familières dans la société. Ce sont leur interprétation qui est en cause. Il n’y a rien d’étonnant qu’en ce moment, des délires soient attachés au courant de l’Islam radical politique ; nous sommes inondés d’informations et d’images à son sujet et il faut bien le dire, l’Occident en a fait son ennemi principal. Mais n’oublions jamais, que les malades mentaux ne représentent qu’un tout petit pourcentage de la population et que c’est une part infime de ce petit pourcentage qui commet des actes violents, quelle qu’en soit la nature.

Nos sociétés matérialistes où la solidarité est presque combattue, où l’individualisme est le but à atteindre et à faire durer, créent des êtres qui ne trouvent plus de sens à leur vie et qui en cherchent un, qui ressentent ou vivent une absence de pouvoir. Les idéologies prétendent combler ce besoin. La version très limitée et très biaisée de l’Islam que donne le groupe armé État islamique offre cette opportunité. Et comme il incite ses sympathisants-es à agir seuls-es pas étonnant que certains-es passent à l’acte. Les instruments sophistiqués et omniprésents qu’il utilise ne font que renforcer l’incitation.

Conclusion

Nous sommes dans une situation où la manipulation est en marche et à haute vitesse. Le groupe armé État islamique manipule l’Occident, le provoque pour qu’il réagisse, et nos gouvernements sautent sur l’occasion pour nous convaincre que nous avons besoin d’une protection tellement accrue que nous y perdrons nos libertés.
Nous sommes à la merci des accusations pour délit d’opinion et des poursuites sur la base de soupçons. Et les amalgames entre violence politique, ou perçue comme politique, et la maladie mentale ne constituent qu’une autre face de cette course à la sécurité quasi absolue.
Les deux attaques que nous venons de vivre ont indéniablement un caractère criminel. Est-ce qu’ils sont des actes terroristes ou de folie ? Bien malin qui répondra à cette question avec certitude.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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